La Nuit et le moment
Cycle de lecture : Un feuilleton théâtral et épistolaire à travers le XVIIIème siècle :
La Nuit et le moment ou Les Matines de Cythère de Crébillon fils, lecture dirigée par Clément Hervieu-Léger
Claude-Prosper Jolyot de Crébillon dit Crébillon fils, publie, il y déjà presque trois siècles, ses premiers contes qui ont souvent fait la joie des metteurs en scène contemporains, entre autres, Jean Vilar avec Le Hasard du coin du feu (1965), Jean-Luc Lagarce avec Les Egarements du cœur et de l’esprit (1986); Jean-Louis Thamin avec La Nuit et le moment (1978), etc.
Matines de Cythère? On ne fait pas assez attention aux sous-titres ! « Premier office du cursus de l’office divin, destiné à sanctifier le temps de la nuit. Caractérisé par une psalmodie prolongée, entrecoupée de lectures longues et du chant de répons destinés à l’intériorisation des lectures, dit le dictionnaire. Mais du divin à l’érotisme, et réciproquement, il n’y a qu’un pas, comme Georges Bataille et Roland Barthes l’ont clairement montré. …
La Nuit et le moment, paru en 1755, roman très dialogué entre deux amants dans un style des plus remarquables qui annonce Choderlos de Laclos, est déjà presque du théâtre, avec de vrais personnages principaux et secondaires, une intrigue sur fond de séduction amoureuse, et nombre de didascalies.
Cela se passe dans la belle chambre d’une marquise ; Cidalise et le comte Clitandre, parlent d’eux et surtout des autres, leurs anciens amants ou maîtresses. Conversation sur un lit, et Clitandre essaye de séduire Cidalise qui ne dit jamais vraiment oui ni non. Clitandre, séducteur tenace, lui parle et lui raconte comment la belle Célimène, Araminte, Julie, Lucinde, Aspasie et Bélise ne lui ont pas résisté…
Cidalise, de son côté, apprécie, sans le dire, cette conversation des plus acidulées mais se moque de Clitandre, et ne se prive pas d’évoquer la visite de Cléonte, Valère ou Oronte. En fait, cette nuit leur permet de se révéler l’un à l’autre par le biais d’un langage sensuel et discrètement érotique où rien n’est vraiment dit mais où tout est suggéré.
Bien entendu, au bout de ces indispensables préliminaires où Crébillon fils conjugue, avec toute l’habileté de la langue française portée à un extrême degré de raffinement, les stratégies amoureuses, les caresses mais aussi parfois une certaine violence sexuelle chez Clitandre, le langage des corps suivra…
Sur le plateau de l’Auditorium, juste un lit vaguement dix-huitième, une chaise et un appareil radio à CD. Les deux comédiens, texte à la main en laissent tomber chaque feuille après l’avoir lue (interprétée?). On est ici aux frontières entre lecture d’un texte adapté, et représentation théâtrale, sans que cela ne soit gênant… Clément Hervieu Léger a dirigé avec une grande efficacité Audrey Bonnet et Loïc Corbery, ses camarades de la Comédie-Française qui, décidément, est toujours meilleure dans les petites formes que dans les grandes mises en scènes de la salle Richelieu.
Seul bémol : pourquoi ce recours aux micros HF dans un salle de petite jauge ? L’élégance et le velouté des formidables dialogues concoctés par Crébillon fils n’ont guère besoin de voix amplifiées ! Même bien réglés, ces foutus micros donnent souvent un côté cassant et dur aux répliques, et bien peu compatible avec l’érotisme d’un langage aussi raffiné.
Le public n’a pas boudé son plaisir. A déconseiller tout de même aux anciens présidents de la République qui détestent La Princesse de Clèves et son langage, et qui applaudissent debout les fadeurs théâtrales de Bernard-Henri Lévy… De toute façon, ces lectures n’ont lieu qu’une fois par mois, donc trop tard pour La Nuit et le moment mais le cycle continue…
Attention : l’accès n’est pas simple pour se rendre à l’Auditorium du Louvre une fois le Musée fermé, malgré la gentillesse des gardiens qui vous renseignent; donc prévoyez quatre bonnes minutes de plus pour arriver jusque là…
Philippe du Vignal
Prochaines lectures à l’Auditorium du Musée du Louvre par Marina Hands, Maria de Medeiros, Audrey Bonnet, Judith Chemla, Adeline Chagneau, Clémence Boué, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery de la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger de la Comédie-Française et Daniel San Pedro.
Samedi 20 février à 20h : Le Petit-Maître corrigé de Marivaux.
Dimanche 20 mars à 16h : L’Entretien d’un philosophe avec la maréchale de *** de Denis Diderot.
Lundi 25 avril à 20h : Sémiramis de Voltaire.
Lundi 23 mai à 20h: Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos.