Polyeucte

Polyeucte de Pierre Corneille, mise en scène Brigitte Jaques-Wajeman

 

  24449627009_cbf59bfc2b_oOn ne peut lire Polyeucte aujourd’hui sans penser à la folie des nouveaux convertis islamistes, à leur attirance pour la mort. Certes, les martyrs chrétiens, comme le fait remarquer avec bon sens Stratonice, la confidence de Pauline, quand elle se veut rassurante, meurent mais ne tuent pas: leur «fureur ne va qu’à briser les autels» et ils «n’en veulent qu’aux dieux et non pas aux mortels ».  
Mais l’élan iconoclaste est aussi violent. Polyeucte, tout juste marié à Pauline qui a fini par l’accepter et  l’aimer, malgré le souvenir douloureux d’un premier amour, s’arrache des bras de sa femme pour recevoir le baptême chrétien. Cette eau baptismale, il ne cherche qu’à la changer en sang, le sien, après avoir vu couler celui de son ami Néarque.
    Dans une première scène, étrange, Néarque a parfois les accents du futur Tartuffe, et on comprend mal le revirement de Polyeucte,  quittant à regret les bras de son épouse,  pour se  hâter d’aller recevoir le baptême. Comme si Corneille lui-même tâtonnait à trouver la cohérence de ses personnages.
Mais ensuite les enjeux sont clairs et directs : Polyeucte a choisi, il a parié, aurait dit Blaise Pascal. Une éternité de félicité gagnée au prix du plus grand amour terrestre qui soit, ce n’est pas cher payé. Et il pourra aller au martyr avec confiance : les fameuses stances de Polyeucte ne  sont pas le moment du choix, déjà fait, mais un moment de «pleurs de joie», aurait encore dit Pascal. Clément Bresson les chante, les danse, en avant-goût des jouissances du ciel.
  Polyeucte est le héros d’une véritable tragédie ce qui n’est pas toujours le cas  dans le théâtre de Corneille dans la mesure où il met sous nos yeux un homme aveuglé, ambigu, un «innocent coupable». Mais tous les personnages sont des héros: Sévère (Bertrand Suarez-Pazos), soldat triomphant revenu trop tard de chez les morts, retrouve son premier amour mariée à un autre : il fera de son malheur le ressort de sa liberté et de sa grandeur d’âme, renonçant à se venger. Félix (Marc Siemiatycki), le gouverneur romain, fait partie de ces faibles arrivés au pouvoir, soucieux de leur carrière et de leur confort, que Corneille aime cerner d’un trait juste et vif, qui nous fait rire. Lui, il n’a d’autre ennemi que sa peur et ses calculs, et iĺ sera le premier à s’exclamer :« Que je suis malheureux ! ». Plus étrange : le cas de Pauline (Aurore Paris), vraie fanatique du devoir et de l’obéissance à son père, où elle puise sa force.
La direction des acteurs va dans le sens de cette force : ils sont tous « trop », petit adverbe qui revient comme un tic sous la plume de Corneille. Et ce «trop» est le moins qu’on puisse leur demander: cela les place exactement où il faut : sur le théâtre, ici et maintenant.
Les costumes contemporains ne les rapprochent pas plus d’aujourd’hui, que du temps de l’écriture de la pièce mais nous permettent de la lire à la fois dans sa résonance actuelle et dans son historicité, là où elle nous renvoie à un catholicisme d’État qui prétend interroger ses origines et absoudre ses excès.
Mais Brigitte Jaques-Wajeman a délibérément cassé ce fonctionnement, somme toute respectueux de la lecture d’un classique. Elle a mis dans la bouche de Sévère, non cette absolution mais la parole de Nietzsche : «Les martyrs furent un grand malheur dans l’histoire : ils séduisirent. »
  Geste politique important et signifiant: il n’y a ni éternel retour, ni fatalité, même si  l’histoire semble bégayer. La metteuse en scène prend parti, avec une lucidité qui a du corps.

 Christine Friedel

Théâtre de la Ville-Les Abbesses, Paris jusqu’à 20 février. T :01 42 74 22 77.

 


Archive pour février, 2016

Le Coup droit lifté de Marcel Proust

Le Coup droit lifté de Marcel Proust, d’après Du côté de chez Swann de Marcel Proust, création collective des Possédés dirigée par Rodolphe Dana

   8-prous4Le titre de cette performance est  inspiré de la technique du tennis :tandis que le coup droit est effectué bras ouvert, du côté de la main qui tient la raquette, on imprime un lift à la balle afin que sa rotation suive le sens de sa trajectoire bombée qui prend de la vitesse au moment du rebond.
Ce parcours physique et aérien pourrait être métaphorique de la tension de la phrase proustienne, si bien articulée, ordonnançant, précisant encore et se reprenant sans cesse. D’un côté du balancier, l’œil du spectateur contemple la balle dans le ciel, la beauté du geste, et de l’autre, le regard de l’observateur réfléchit et interprète.
La mise en scène dirigée par Rodolphe Dana éclaire l’image de cette envolée sportive, évoquant la mise en lumière de l’œuvre proustienne, considérée comme une trajectoire faite de rebonds, reprises et corrections, à travers l’ensemble de ses thèmes mais aussi à l’intérieur de sa phrase romanesque.
À la recherche du temps perdu suit l’itinéraire du héros-narrateur, traversée patiente des lieux,  milieux et temps, au hasard de rencontres amicales, amoureuses ou mondaines, et d’ expériences disséminées au fil du récit.

 Du côté de chez Swann évoque l’enfance à Combray, la mer à Balbec, l’amour de Marcel Proust pour sa mère et Gilberte Swan. Cette soirée commence dans la nuit de la mémoire et de l’imaginaire, avec un noir scénique et avec l’écoute simultanée de la voix de la vieille Céleste, gouvernante et confidente de Marcel Proust, qui assista l’écrivain dans ses derniers moments.
  Antoine Kahan contrefait cette voix âgée et l’articulation discursive de l’époque, en un moment émouvant d’amitié dévouée. Suit l’attente dans le soir, du baiser maternel pour l’enfant couché, le futur narrateur , avant qu’il ne s’endorme, leitmotiv fondateur.
  Grand-mère, parents et invités sont à table dans le jardin, et le grelot de la porte d’entrée sonne quand Swan vient faire sa visite. La vue des clochers de Martinville participe de cette quête de la saisie du temps et de son sens : arbres aux  feuillages mouvants soumis aux aléas du vent, musique légère et intime mêlée à des souvenirs de parfums de fleurs et feuilles.
 L’épisode de la petite madeleine fait son petit effet: réminiscence, extase de la mémoire et moment de bonheur qui n’apporte pas encore de résolution au sentiment de la perte du temps.
Un ébranlement préparateur pourtant à la compréhension de l’aventure romanesque, qui n’est comprise qu’à la fin, au Temps retrouvé, au-delà du vieillissement et du passé vécu. Et ici, les instants et les personnages se succèdent : belle dignité de Katja Hunsinger  avec petit col claudine blanc sur haut et pantalons noirs -, convaincante Marie-Hélène Roig au chemisier de soie claire, Antoine Kahan – chemise et gilet blanc, qui joue la suffisance grotesque du bourgeois Legrandin, parvenu en mal de reconnaissance. Le long poème en prose est aussi un roman social.
Mémoire involontaire ou pas du spectateur, rien de ce qui a été déclamé de La Recherche n’est perdu, comme rien n’est perdu, de ce qu’a vécu le narrateur.

Un spectacle restreint certes, mais absolument  juste et sincère dans l’éloge de la musicalité proustienne, de son chant entêtant sur l’art lié au sentiment existentiel.

Véronique Hotte

Théâtre de la Bastille jusqu’au 19 février. T : 01 43 57 42 14.

 

Un héros de notre temps, d’après Mikhail Lermontov

Un héros de notre temps, d’après l’œuvre de Mikhail Lermontov, chorégraphie de Yuri Possokhov, scénographie, costumes, adaptation et mise en scène de Kirill Serebrennikov.

FullSizeRender«Le héros de notre temps, mes très chers lecteurs, est réellement un portrait, mais non celui d’un seul individu. Ce portrait a été composé avec tous les vices de notre génération, vices en pleine éclosion. À cela, vous me répondrez qu’un homme ne peut être aussi méchant : mon Dieu ! Si vous croyez à la possibilité de l’existence de tous les scélérats de tragédie et de romans, pourquoi ne croiriez-vous pas que Pechorin ait pu être ce qu’il est dans ce livre ? Si vous avez aimé des fictions beaucoup plus effrayantes et plus difformes, pourquoi ce caractère ne trouverait-il pas grâce auprès de vous, comme toute autre fiction ? Peut-être se rapproche-t-il plus de la vérité que vous ne le désirez, disait Mikhail Lermontov  à propos de son personnage.
 Kirill Serebrennikov a adapté pour les danseurs du Bolshoi, Bela, Taman, et La Princesse Mary, trois nouvelles de cette œuvre dont l’action se situe entre 1827 et 1833, pour ce spectacle créé l’été dernier avec succès, et maintenant au répertoire de cette grande institution.
L’adaptation chorégraphique suit strictement l’œuvre de Mikhail Lermontov; les aventures de Pechorin, sont ici contées par un narrateur dans Bela, et par le héros lui-même dans les deux autres parties. Le projet initial avait été conçu par Sergey Filin, ex-directeur artistique du Ballet du Bolshoi, victime d’une agression en 2013 qui voulait créer cette œuvre. Il en avait confié la scénographie à Kirill Serebrennikov, et la chorégraphie à Yuri Possokhov.
  L’orchestre joue avec fougue la belle partition aux tonalités classiques d’Ilya Demutsky, jeune compositeur célèbre pour sa musique d’ouverture  des J.O. d’hiver 2014, à Sotchi. Chaque volet du triptyque débute par un solo instrumental, comme celui, remarquable, au saxophone, accompagnant le monologue de Pechorin dans La Princesse Mary.
 Yuri Possokhov met en valeur les mouvements du corps de ballet plutôt masculin et les pas-de-deux, d’une grande sensualité, et très appréciés du public russe.

  Scénographie, dramaturgie, et didascalies du roman dites en voix off, rendent très lisibles ces trois histoires. Le thème de Bela est tristement actuel :  Pechorin, un officier, interprété par  Michail Lobukhin a été envoyé dans le Caucase. «Alors l’ennui me vient, raconte le jeune homme. (…) Bientôt, on m’envoya dans le Caucase : ce fut la période la plus heureuse de ma vie. J’espérais que l’ennui ne survivrait pas sous les balles tchétchènes…».
Une forteresse domine la scène. Là, il séduit Bela, une belle musulmane voilée (interprétée avec grâce par Ana Turazashvili) qui sera lapidée par des montagnards de sa communauté  voyant cette union comme un déshonneur !
 La scénographie réaliste de Taman nous transporte dans un port de la Mer noire, où Pechorin, dansé par  Artem Ovcharenko,  tombe amoureux d’une étrange beauté, Udine, la sculpturale danseuse-étoile Ekaterina Shipulina, rayonnante dans une robe rouge. Au cours d’un rêve, les amoureux s’engagent dans un beau duo tendre et violent, mais la réalité est toute autre : Udine est en fait la compagne de Yanko, chef des contrebandiers. Pechorin, rejeté, se retrouvera à nouveau seul.
Certains tableaux font penser à une comédie musicale de Broadway. La princesse Mary clôt ce triptyque en beauté. Pechorin, Ruslan Skvortsov, tombe amoureux de Mary  mais en même temps que Grushnitski, un sous-officier claudicant interprété par le touchant Denis Savin.
Mikhail Lermontov dévoile le caractère ironique de son héros : «Il parle vite et abondamment, dit Pechorin de son rival Grushnitski, et il est de ces hommes qui ont pour toutes les situations de la vie quelques phrases prêtes à temps ; de ces hommes que la beauté simple n’émeut pas et qui se drapent dans des passions extraordinaires et des souffrances exclusives.»
  Nous sommes dans un beau et  grand gymnase en bois blanc, où se côtoient princesses, ballerines et officiers. Les hommes font du sport et les femmes dansent. Trois de ces officiers, interprétés par des handicapés en chaise roulante de la Fédération russe de danse et sport, participent brillamment à l’ensemble du spectacle.
Svetlana Zakharova, prima ballerina de la Scala de Milan et étoile du Bolshoi,  en  robe blanche, impressionnante, joue Mary saluée de bravos à chacune de ses apparitions. Vera, dansée par Kristina Kretova que nous avions appréciée dans L’Appartement de Mats Ek, (voir Le Théâtre du Blog), entre en concurrence avec Mary dans le cœur de Pechorin, et un duel au pistolet opposant les deux soupirants, se conclura par la mort de Grushnitski, montré ici comme le véritable «héros de notre temps », un homme au destin fragile,  à l’image de Mikhail Lermontov mort dans un duel à vingt-sept ans.
« L’âme est en moi corrompue par le monde, mon imagination est inquiète, mon cœur est insatiable, écrivait le célèbre écrivain russe ; donnez-moi  tout, c’est encore trop peu. »
Ce troisième volet possède tous les critères du romantisme… Aux saluts, le public a longuement ovationné tous les artistes, et à juste raison.  

Jean Couturier  

 Spectacle au répertoire du Bolshoi et repris en mars.
www.bolshoi.ru

 

Millibar, une ritournelle chorégraphique

Millibar, une ritournelle chorégraphique, chorégraphie de Geisha Fontaine et Pierre Cottreau, film de Pierre Cottreau, d’après L’Irréversible et la Nostalgie de Vladimir Jankélévitch.

  millibarL’une danse, l’autre filme. La même petite pièce, depuis 1998, répétée à l’infini, en plein air, dans une centaine de villes : «Aussi longtemps que je pourrai danser, dit Geisha Fontaine.» Quarante secondes, captées de voyage en voyage, d’année en année, aux quatre coins de la planète : sur une terrasse du Caire, sous les remparts d’Alep, dans les ruines de Beyrouth en 1999 ; sous les gratte-ciel de Shanghaï en 2007; une manifestation à Athènes, en 2013… Sur une terrasse, le linge vole au vent ; dans le port de Valparaiso, une petite fille regarde intriguée la danse ; sur une place de Saint-Denis, un passant virevolte ; au large du pont de Brooklyn, une péniche se profile…
Les paysages contrastés du monde varient, les témoins de la danse sont cosmopolites, sans que le costume de la danseuse, ni le format super 8 du film ne changent. Mais le temps passe…
Qu’adviendra-t-il de ces quelques pas déclinés au gré de ces voyages, et fixés dans l’intemporalité des images de Millibar?  Et d’ailleurs, que reste-t-il d’une danse ? Et de la pellicule, support fragile se dégradant à chaque projection ? Et des lieux, comme la citadelle d’Alep aujourd’hui bombardée ? L’éphémère ne réside pas seulement dans le mouvement dansé…
Pour répondre à ces questions, à l’issue de la projection du film, montage dynamique et coloré de multiples séquences, Geisha Fontaine reprend sa petite pièce, au présent du plateau, et la confronte avec les interprétations proposées par trois autres danseurs. Chacun y va de sa chorégraphie personnelle. Commentaires à l’appui, les artistes définissent ce qui appartient au passé dans les mouvements de la ritournelle et pourrait la moderniser, et quelle en serait la forme dans le futur.

Mêlant la finesse d’analyse à l’intelligence de leur gestuelle, les quatre interprètes offrent au public une histoire illustrée de la danse contemporaine, une réflexion amusante et ludique. La compagnie Mille Plateaux Associés, dont le nom et la démarche font référence au livre Mille Plateaux de Gilles Deleuze et Félix Guattari, explore les  formes actuelles du spectaculaire, en abordant des thèmes tels que la beauté, le mouvement, le regard…
Ici, danse et cinéma interrogent le temps: «L’irréversibilité même du temps définit la temporalité, écrit Vladimir Jankélévitch (…) L’homme est toute temporalité, et ceci de la tête au pied, et de part en part, jusqu’au bout des ongles (…) L’homme est un irréversible en chair et en os. »
Le spectacle, présenté deux soirs, en clôture du festival Faits d’hiver (13 janvier-11 février), organisé à Micadanses (Mission Capitale danses), mériterait de  trouver le chemin vers d’autres scènes.

 Mireille Davidovici

Vu à Micadanses le 11 février.
A lire : Les Danses du temps, de Geisha Fontaine, publié par le Centre national de la danse.

 

Tartuffe (reprise) mise en scène de Luc Bondy

Tartuffe de Molière mise en scène de Luc Bondy (reprise)

 tartuffeLuc Bondy, récemment disparu, avait  adapté Tartuffe en version allemande en 2012 à Vienne, puis l’avait créé à l’Odéon-Ateliers Berthier, il y a presque deux ans. Son épouse Marie-Louise Bischofberger et Vincent Huguet ont  repris le flambeau, dans la même mise en scène mais avec quelques acteurs différents.
 Chantal Neuwirth (Dorine) a quelque chose d’espiègle et de roué qui voit clair dans cet impasse où s’est fourré Orgon mais dommage, ne la comprend pas toujours bien comme Christiane Cohendy dans madame Pernelle (à la place de François Fabian), par moments presque inaudible…  Marie-Louise Bischofberger aurait eu intérêt à se faire assister par quelqu’un qui sache faire dire correctement les alexandrins… On ne voudrait pas jouer les puristes mais, de ce côté-là, le compte n’y est pas tout à fait !
 Samuel Labarthe qui remplace Gilles Cohen, propose une autre conception d’Orgon avec un personnage plus effacé, plus mou, mais tout aussi fasciné par ce curieux parasite/escroc des plus cyniques, qu’il connaît depuis peu, jusqu’à lui promettre sa fille en mariage et à lui faire une donation !
 Audrey Fleurot, que l’on connaît surtout par la fameuse série Un Village français, mais qui a joué aussi au théâtre, notamment avec Laurent Pelly, a remplacé Clotilde Hesme; elle apparaît plus comme une victime de Tartuffe, trop discrète sans doute, que comme l’épouse d’Orgon capable d’une certaine séduction pour arriver à prendre le faux dévot sur le fait.
Micha Lescot, longiforme, toujours étonnant, reprend le rôle de Tartuffe, et nous a semblé pousser, davantage que lors de la création, le personnage vers une espèce de gourou, noir d’habit et de cœur, très porté sur le sexe féminin, et sans aucun scrupule, quand il s’agit pour lui d’escroquer une famille honorable mais fragilisée par le laisser-aller d’Orgon. C’est parfois un peu gros (comment cet être aux pieds nus, au pantalon effrangé,et somme toute assez repoussant, peut-il avoir une certaine influence sur Elmire?).
Mais cela fonctionne quand même grâce à la formidable présence de Micha Lescot qui concentre tous les regards dès qu’il entre en scène.

 Et on retrouve avec grand plaisir les deux scènes muettes de la création,  intelligemment imaginées par Luc Bondy qui en disent beaucoup sur la pièce : au début, celle du petit déjeuner où l’on sent déjà un véritable malaise dans cette grande maison, et celle à la fin, avec un dîner où toute la famille grande bourgeoise, enfin réunie et délivrée du maléfique Tartuffe, déguste du poulet que les deux femmes de chambre apportent sous des cloches en argent.
Au total, un spectacle sur lequel nous avons toujours les mêmes réserves qu’à la création (voir Le Théâtre du Blog), dont le rythme demanderait à être resserré et qui doit encore se roder… Mais dans les meilleurs moments, comme cette fameuse scène où Tartuffe essaye de séduire Elmire, on entend l’essentiel de cette  pièce, absolument unique dans le théâtre français, dont les dialogues, trois siècles après, sont restés d’une précision et d’une radicalité étonnantes. Et c’est loin d’être négligeable…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier 1 rue André Suarès Paris XVIIème. T: 01 44 85 40 40. A 20 h du mardi au samedi et à 15 h, le dimanche jusqu’au 25 mars. 

 

La Nuit et le moment

Cycle de lecture : Un feuilleton théâtral et épistolaire à travers le XVIIIème siècle :
La Nuit et le moment ou Les Matines de Cythère  de Crébillon fils, lecture dirigée par Clément Hervieu-Léger

Claude-Prosper Jolyot de Crébillon dit Crébillon fils, publie, il y déjà presque trois siècles, ses premiers contes qui ont souvent fait la joie des metteurs en scène contemporains, entre autres, Jean Vilar avec Le Hasard du coin du feu (1965), Jean-Luc Lagarce avec Les Egarements du cœur et de l’esprit (1986); Jean-Louis Thamin avec La Nuit et le moment (1978), etc.
Matines de Cythère? On ne fait pas assez attention aux sous-titres ! « Premier office du cursus de l’office divin, destiné à sanctifier le temps de la nuit. Caractérisé par une psalmodie prolongée, entrecoupée de lectures longues et du chant de répons destinés à l’intériorisation des lectures, dit le dictionnaire. Mais du divin à l’érotisme, et réciproquement, il n’y a qu’un pas, comme Georges Bataille et Roland Barthes l’ont clairement montré. …

 La Nuit et le moment, paru en 1755, roman très dialogué entre deux amants dans un style des plus remarquables qui annonce Choderlos de Laclos,  est déjà presque du théâtre, avec de vrais personnages principaux et secondaires, une intrigue sur fond de séduction amoureuse, et nombre de didascalies.
  Cela se passe dans la belle chambre d’une marquise ; Cidalise et le comte Clitandre, parlent d’eux et surtout des autres, leurs anciens amants ou maîtresses. Conversation sur un lit, et Clitandre essaye de séduire Cidalise qui ne dit jamais vraiment oui ni non. Clitandre, séducteur tenace, lui parle et lui raconte comment la belle Célimène,  Araminte, Julie, Lucinde, Aspasie et Bélise ne lui ont pas résisté…
Cidalise, de son côté, apprécie, sans le dire, cette conversation des plus acidulées mais se moque de Clitandre, et ne se prive pas d’évoquer la visite de Cléonte, Valère ou Oronte.  En fait, cette nuit leur permet de se révéler l’un à l’autre par le biais d’un langage sensuel et discrètement érotique où rien n’est vraiment dit mais où tout est suggéré.

Bien entendu, au bout de ces indispensables préliminaires où Crébillon fils conjugue, avec toute l’habileté de la langue française portée à un extrême degré de raffinement, les stratégies amoureuses, les caresses mais aussi parfois une certaine violence sexuelle chez Clitandre, le langage des corps suivra…
    Sur le plateau de l’Auditorium, juste un lit vaguement dix-huitième, une chaise et un appareil radio à CD.  Les deux comédiens, texte à la main en laissent tomber chaque feuille après l’avoir lue (interprétée?). On est ici aux frontières entre lecture d’un texte adapté, et représentation théâtrale, sans que cela ne soit gênant… Clément Hervieu Léger a dirigé avec une grande efficacité Audrey Bonnet et Loïc Corbery, ses camarades de la Comédie-Française qui, décidément, est toujours meilleure dans les petites formes que dans les grandes mises en scènes de la salle Richelieu.
 Seul bémol : pourquoi ce recours aux micros HF dans un salle de petite jauge ? L’élégance et le velouté des formidables dialogues concoctés par Crébillon fils n’ont guère besoin de voix amplifiées ! Même bien réglés, ces foutus micros donnent souvent un côté cassant et dur aux répliques, et bien peu compatible avec l’érotisme d’un langage aussi raffiné.
  Le public n’a pas boudé son plaisir. A déconseiller tout de même aux anciens présidents de la République qui détestent La Princesse de Clèves et son langage, et qui applaudissent debout les fadeurs théâtrales de Bernard-Henri Lévy… De toute façon, ces lectures n’ont lieu qu’une fois par mois, donc trop tard pour La Nuit et le moment mais le cycle continue…
Attention : l’accès n’est pas simple pour se rendre à l’Auditorium du Louvre une fois le Musée fermé, malgré la gentillesse des gardiens qui vous renseignent; donc prévoyez quatre bonnes minutes de plus pour arriver jusque là…

Philippe du Vignal

Prochaines lectures à l’Auditorium du Musée du Louvre par Marina Hands, Maria de Medeiros, Audrey Bonnet, Judith Chemla, Adeline Chagneau, Clémence Boué, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery de la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger de la Comédie-Française et Daniel San Pedro.
Samedi 20 février à 20h  : Le Petit-Maître corrigé de Marivaux.
Dimanche 20 mars à 16h : L’Entretien d’un philosophe avec la maréchale de *** de Denis Diderot.
Lundi 25 avril à 20h : Sémiramis de Voltaire.
Lundi 23 mai à 20h:  Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos.

 

 

Revenir

Revenir!  Épisode 1 : Quand parlent les cendres ( Théâtre-Lecture-)Performance, texte et mise en scène de Barbara Bouley.

©MaiwennTacher-460x280Catherine Fourty, en robe noir et blanc, se tient seule,  juste éclairée par de petites bougies,  espace de recueillement et de deuil où gît un gros galet blanc à la couverture immaculée et lisse, l’urne funéraire.
La narratrice porte avec délicatesse l’urne des cendres de son père sur une chaise et va raconter face public, visage grave et sourire généreux, l’histoire douloureuse de ce jeune appelé qui a dû faire la guerre d’indépendance en Algérie (1954-1962).
Guerre sans nom dont on a longtemps caché les actes inavouables : tortures blessures, viols, dégradations de la dignité humaine. Revenu en France, l’appelé n’a cessé d’éprouver l’humiliation et la culpabilité des bourreaux qui ont obéi sans pouvoir réagir ni s’opposer aux  ordres cruels des gradés.
 Les souffrances, souvent invisibles, produites par la torture, complexes et durables, sont difficiles à exprimer par ceux qui ont survécu aux traitements humiliants visant à les détruire en tant qu’êtres humains. Épouses et enfants ont été aussi de manière indirecte, des victimes collatérales, au même titre que les appelés eux-mêmes, à la fois bourreaux et victimes.
 La narratrice se souvient des peurs enfantines provoquées par les éclats du père, violences verbales, discours de folie et d’insultes contre le monde et soi-même. Comment comprendre les effets existentiels de la torture, pour celui qui n’a pas assisté aux actes d’effroi et de bestialité, à travers l’inouï, le non-dit de ceux qui en reviennent, témoins passifs ou acteurs ?        
Revenir ! de Barbara Bouley, qui fait aussi la mise en scène, correspond au troisième programme de recherche de sa compagnie qui porte sur les blessures invisibles de la guerre et plus particulièrement sur le P.T.S.D (Post Traumatic Stress Disorder). Elle s’est fondée sur un recueil de témoignages auprès de ceux qui reviennent de zones de conflits: soldats, victimes civiles, journalistes, humanitaires, médecins, et leurs familles.
  Cette forme scénique cherche à exhumer de l’oubli les traumatismes causés par les guerres des XX ème et XX ème siècles sur le psychisme des hommes et femmes qui y ont consacré un temps de leur existence mais aussi à la manière dont ces trouées dans leur mémoire affectent les cellules familiales, leur environnement et la société dans son ensemble.
Le Centre Primo Levi, par exemple, est la plus importante structure en France  pour les soins aux victimes de la torture et de la violence politique, réfugiées sur notre sol. À partir de l’expérience acquise dans ce centre, l’association entend témoigner inlassablement de ces effets de la torture. «Depuis lors, à une heure incertaine, 
Cette souffrance lui revient, 
Et si, pour l’écouter, il ne trouve personne, 
Dans la poitrine, le cœur lui brûle», écrivait Primo Levi.
Un spectacle éloquent avec une comédienne investie pour des temps de violences…

Véronique Hotte

Anis Gras-Le Lieu de l’Autre à Arcueil, le 11 février à 19h30, et le 12 février à 14h30 et 19h30.

Le Joueur d’échecs

Le Joueur d’échecs, de Stefan Zweig, adaptation d’André Salzet, mis en scène d’Yves Kerboul

  le-joueur-d-echecsCette remarquable nouvelle  de Stefan Zweig est devenue célèbre; ami de Sigmund Freud, Arthur Schnitzler, Richard Strauss, Romain Rolland… il fit partie de l’intelligentsia juive de Vienne, avant de quitter l’Autriche en 1934. Lucide, il avait prédit l’effondrement du monde occidental face à Hitler. Il se rend à Londres puis en Argentine et en  Uruguay pour donner des conférences. Il revient ensuite à New York, puis de retour au Brésil durant l’été, rédige ses mémoires qu’il expédie à son éditeur, la veille de son suicide.
Le Jour d’échecs, écrit en 42 et publié à titre posthume la même année, met en scène un exilé autrichien que les nazis ont poussé à la folie. Bien entendu, soixante-dix ans après, le récit évqiue la tragédie d’un Stefan Zweig psychologiquement détruit par l’exil et la guerre qui, le 22 février 1942, s’empoisonnera aux barbituriques avec sa compagne Lotte.

Sur un paquebot pour l’Argentine, deux champions d’échecs jouent devant des passagers passionnés. Le narrateur essaye de comprendre comment ce  Mirko Czentović, né dans un famille très pauvre et inculte, qui, à force d’intelligence, de travail et de volonté, est devenu redoutable champion du monde. L’autre, un aristocrate a découvert les échecs enfermé dans une prison  par les nazis qui occupaient l’Autriche.
  Le narrateur, un Autrichien sur un paquebot en route pour l’Argentine, apprend que  Mirko Czentović, un champion mondial des échecs est à bord. Passionné par la psychologie, il essaye de comprendre ce curieux personnage qu’est ce jeune et pauvre orphelin, élevé par le curé du village, fort peu doué par les études… Un soir, le curé et un ami, maréchal des logis, disputent leur partie d’échecs quotidienne mais le prêtre doit aller porter d’urgence l’extrême-onction.
Le maréchal des logis joue alors avec Mirko qui, n’ayant jamais joué… bat pourtant son adversaire deux fois de suite. Le curé comprend vite qu’ils ne pourront jamais battre Mirko, et le font jouer avec d’autres qu’il bat aussi le plus souvent. Le jeune homme continuera, grâce à leur générosité,  à apprendre les échecs à Vienne, et à vingt ans, devient champion du monde.

  Le narrateur voudrait bien disputer une partie contre Mirko Czentović qui accepte de faire une partie contre eux. Il accepte contre de l’argent, et gagne facilement. Mais un Autrichien inconnu, très doué, les aide de ses conseils et ils obtiennent le match nul. Il leur précise qu’il n’a pas joué depuis plus de vingt ans, puis se retire.
Le narrateur fait raconter son histoire à ce M. B. qui dissimula longtemps de fortes sommes aux nazis qui le mettent en prison…dans une chambre de grand hôtel. Mais il n’a aucun contact avec l’extérieur, n’a rien à lire et rien pour écrire, et le gardien qui lui apporte ses repas, reste muet. Il  devra subir de nombreux interrogatoires de la Gestapo et complètement isolé, commence à sombrer dans le désespoir.

 Un jour, il vole un livre qu’il aperçoit dans une veste d’officier pendue au porte-manteau, et qui se révèle être un manuel de grandes parties d’échecs avec des formules qu’à force de volonté, il finira par comprendre. Il fera de son drap quadrillé un échiquier, et de boulettes de mie de pain, des pièces de jeu ; il apprend par cœur puis  joue mentalement les 150 parties du livre mais s’en lasse.
Il jouera alors des parties contre lui-même mais sent que son esprit se dédouble, se rue contre le gardien, se blesse, perd connaissance, devient schizophrène et se réveille dans un hôpital. Un médecin prend soin de M.B. et le fait passer pour fou ou irresponsable et il sera donc libéré. Mais il lui recommande malgré tout de ne plus jouer aux échecs…

M. B.  affrontera pourtant Czentović mais abandonne une première partie et veut en jouer une deuxième mais est vite déboussolé. Czentović joue sur la lenteur (pourtant convenue entre les deux adversaires) ce que ne supporte pas  M.B. qui anticipe mal les coups et se retire du jeu. « Dommage, dit le joueur professionnel avec un certain mépris, l’offensive n’allait pas si mal. Pour un dilettante, ce monsieur est en fait remarquablement doué. »
 Dans le récit principal, viennent s’intercaler deux longs récits ; construire une adaptation théâtrale à partir de cette nouvelle n’est donc pas chose facile…  Ce remarquable récit constitue une sorte de miroir de la tragédie qu’a connue  le grand écrivain autrichien a tenté nombre d’acteurs et metteurs en scène.
André Salzet reprend ce spectacle qu’il avait déjà joué dans la mise en scène d’Yves Kerboul. Sur scène rien qu’une chaise et la projection de hublots pour  figurer le paquebot. Dans la première partie, très à l’aise, André Salzet maîtrise bien les choses et sait donner au texte une force dramatique indéniable mais, mal et/ou peu dirigé, il se met ensuite à bouler le texte, à criailler, à gesticuler sans raison… Et l’on a tendance à décrocher. 

Dommage. Rien n’est perdu mais il faudrait que le metteur en scène resserre de toute urgence les boulons. La prose magnifique de Stefan Zweig mérite mieux que cette reprise approximative.

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire, rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris, jusqu’au 13 mars.

Cuando vuelva a casa voy a ser otro

 marianopensotti İbeniamin boar_0Cuando vuelva a casa voy a ser otro(Quand je rentrerai à la maison je serai un autre), texte et mise en scène de Mariano Pensotti (spectacle en espagnol sur-titré)

 

Le passé ne peut ni se saisir ni se rattraper, variable et fuyant à l’infini ; à chaque fois qu’on tente de se l’approprier, il se rétracte et n’est plus accessible. Révélateur de ce temps qui passe pour ne jamais plus revenir, le tapis roulant plutôt comique du dispositif scénographique de Mariana Tirantte, installé de jardin à cour sur le plateau, participe d’ un spectacle pétillant et facétieux.
Santiago Gobernori, Andrea Nussembaum, Mauricio Minetti, Agustin Rittano et Julieta Vallina, joyeux et enthousiastes, défilent sous les yeux du public amusé par ce travelling cinématographique impromptu, du théâtre animé fait d’apparitions et disparitions.
Pourtant, le cadre initial de ces vies répertoriées: un père, son fils, une chanteuse de rock et un militant de gauche, ces derniers quarantenaires, prend sa source pendant la dictature militaire argentine, en 1976.
Le père redécouvre quarante ans après les avoir enfouis dans le jardin parental, des trésors de guerre, des documents politiques compromettants, cachés pour sa survie d’opposant politique. Mais la vie et ses jours irréversibles nous échappent : « 
Nous sommes tous faits de récits, nous sommes ce que nous racontons de nous-mêmes. »
Qu’est devenu le combat du père dans ce présent amoindri et assoupi ? Le fils tente de ressaisir cet esprit subversif qui œuvrait dans le risque pour changer le monde et initier des aventures nouvelles et régénératrices, politiques et sociales. Le présent désenchanté et sans risques s’annonce décevant, sans idéal collectif ou même individuel : l’héritier de cette histoire fondatrice a lui-même connu un certain succès avec
El Rio, un spectacle qu’il a écrit et mis en scène, voici quinze ans déjà.
Depuis, il travaille pour des campagnes électorales et des partis approximativement de gauche. Il utilise dans ces aventures commerciales une chanson retrouvée dans le sac politique paternel, dont l’origine est perdue. La chanteuse de rock reconnaît dans cet air une composition de son père disparu, et rencontre un compagnon de route du défunt. Quant au dernier militant de gauche, il a renoncé à la politique, et en quête désœuvrée de lui-même, a usurpé l’identité de l’auteur de
El Rio.
La réflexion de Mariano Pensotti s’attache à cette reconnaissance identitaire et à la figure du double qui serait un autre soi-même à traquer et à retrouver pour exister.
La scène accumule des éléments d’arts visuels et de cinéma, des techniques narratives du roman, des restes légendaires du Musée Archéologique de Patagonie disparu que l’auteur a visité dans son enfance. Avec images vidéo, musiques rock,  vignettes  commentant les scènes successives,  parades enfantines de petits objets de collectionneurs obsessionnels et facétieux, et acteurs toniques qui changent d’aspect en tourbillonnant, jusqu’à incarner des  travestis paraguayens chantant les Beatles. L’interrogation esthétique et philosophique se fait ici le lieu juste du théâtre.

Véronique Hotte
Maison des Arts de Créteil, du 10 au 13 février. T: 01 45 13 19 19. Théâtre de Nanterre-Amandiers, du 17 au 20 février. La Filature de Mulhouse, les 25 et 26 février.

Blé, Clinic Orgasm Society

Blé conception et direction artistique de Ludovic Barth et Mathylde Demarez

  e4c6030d6ad999c2e534f235e3399fb2 Le collectif belge Clinic Orgasm Society s’est lancé, depuis quelques années, dans un triptyque autour du concept de  normalité.
Blé, créé au Manège de Mons en 2013 en constitue le deuxième volet (après Pré et avant Fusée ) .
«Le jeu est de faire un spectacle avec des gens qu’on ne connaît pas et qui ne savent rien de ce qui va se passer, expliquent les metteurs en scène. (…) Ils ne le sauront toujours pas à la fin du spectacle. C’est très excitant pour nous de monter sur scène chaque soir et de découvrir ces nouvelles personnes. Leur corporalité, leur voix, l’énergie du groupe. »

Ludovic Barth et Mathylde Demarez expliquent le principe de la «reconstitution» à laquelle nous sommes conviés. Puis, sans pour autant disparaître du plateau, laissent la place à cinq comédiens amateurs, censés les représenter tous les deux, c’est-à-dire le père et la mère, ainsi que d’autres membres d’une famille.
Recrutés au hasard des tournées, et différents chaque soir, affublés de casques,  ils vont découvrir, au fur et à mesure,  texte, déplacements et gestes qui leur seront dictés. Ils investissent cuisines et dépendances, sous l’œil inquiet des deux metteurs en scène qui s’agitent (beaucoup !) en contre-champ, l’un fournissant des accessoires à leur recrues, l’autre, maître du temps et des cérémonies, tournant les aiguilles de la pendule, ou dépeçant un lapin promis à la casserole.

C’est un dimanche ordinaire, chez des gens banals, entre 16 heures 07 et 23 heures 06. La mère cuisine, les enfants jouent, le père cherche le chien, la grand-mère tire les cartes… Ils échangent des propos d’une absolue platitude… Il ne se passe rien, jusqu’au dénouement, tragique, qui transforme cette histoire en fait divers sanglant, objet de cette reconstitution .
  L’écriture s’est faite au plateau, à partir d’improvisations réécrites par une auteure (Marielle Pinsard), puis enregistrées. Le texte est assez sobre, minimaliste, mais sans aucun relief, ennuyeux. Les «casqués», chacun téléguidé par un instructeur, réagissent aux ordres de manière décalée, ce qui les rend un peu bizarres avec des allures d’aliens ahuris. Ne les comparent–on pas à des intrus, des zombis, à l’instar de Boucle d’or dans la maison des trois ours? Trop normaux pour être normaux ?
Mais cet effet de Verfremdung, d’inquiétante étrangeté, ne dure qu’un temps et, malgré une musique rappelant celle des films de David Lynch, le rythme devient pesant à force de fadeur…
Le non-jeu des comédiens cobayes, d’abord fascinant, voire amusant, finit par lasser, et les nombreux temps morts ne ménagent aucun suspense.
Les comédiens amateurs suivent les consignes, que pourraient-il faire d’autre ? Pour leur plus grand plaisir et celui du public, semble-t-il. La plupart ont apprécié cette aventure, et certains se disent troublés d’avoir pris goût à être télécommandés.
Mais à quoi bon cet exercice ? Que veut-on démontrer ? Que la banalité engendre la folie meurtrière ? Que toute famille porte en elle ses propres névroses ? Que la manipulation est chose dangereuse ?
Concept séduisant, dispositif sophistiqué bien rôdé, mais on sort de cette expérience plutôt perplexe…

Mireille Davidovici

Le Tarmac Paris  jusqu’au 13 février. T. 01 43 64 80 80

 

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