Richard II de William Skakespeare, traduction et adaptation de Clément Camar-Mercier, conception de Guillaume Séverac-Schmitz/collectif Eudaimonia
C’est l’histoire tragique du roi Richard II qui, après un règne de vingt-deux ans, abdiqua. Son oncle, le duc de Gloucester est assassiné par des gens de Richard II ; à la suite d’accusations réciproques de ce meurtre, Bolingbroke, fils aîné de Jean de Gand, cousin du roi, et le duc de Norfolk règlent leur contentieux devant un tribunal présidé par Richard II qui les condamnera à l’exil, Bolingbroke à six ans et Norfolk, à vie.
Jean de Gand meurt et le roi s’empare alors de sa fortune pour aller faire la guerre en Irlande, déshéritant ainsi Bolingbroke qui va quitter sa terre d’exil, la France, et au Nord de l’Angleterre, rassemblera des troupes et marchera vers le Sud. Il fait aussi exécuter les opposants, restés fidèles à Richard II qui, abandonné par ses derniers partisans et trahi par les amis de Bolingbroke, est capturé par ses troupes.
Bolingbroke réclame l’héritage de son père, ce qui lui est accordé, mais, peu de temps après, il ravira, sans aucun droit, la couronne d’Angleterre.
Richard II abandonnera sans lutter son titre royal, comme s’il était fatigué du pouvoir et de ses pourritures. Et Bolingbroke sera couronné sous le nom d’Henri IV. Mais en prison, Richard II meurt assassiné…sans doute par un proche du nouveau roi.
La pièce moins souvent jouée que Richard III, fascine souvent les jeunes metteurs en scène comme Jean Vilar; ce fut la première pièce de cette semaine d’art en Avignon en septembre 1947 qui devait devenir… le très fameux festival.
Comme aussi Patrice Chéreau qui la monta avec succès vingt-trois ans plus tard. Et Ariane Mnouchkine, vingt-deux ans après. Cette presque régularité temporelle est peut-être aussi une indication de la difficulté qu’il y a à monter la pièce.
D’une intense force dramatique par moments, mais souvent longuette, elle se révèle aussi complexe pour un public du XXI ème siècle, ignorant les méandres de l’histoire d’Angleterre et demande à être adaptée. Elle comprend une trentaine de personnages dont la reine, Isabelle de Valois, épouse de Richard II, le duc d’York, Bolingbroke, Norfolk, la duchesse d’York, la duchesse de Gloucester, et de nombreux officiers, serviteurs, gens du peuple.
Le collectif Eudaimonia a donc entrepris d’en faire une adaptation à partir d’une nouvelle traduction. Non sans “un travail dramaturgique nécessaire pour appréhender les lignes de tensions, les enjeux, les situations, les objectifs, l’espace de jeu. Et aux acteurs de s’emparer de ce matériau pour le rendre vivant.”
Et cela donne quoi? Du pas très intéressant comme dans une première mise en scène, et du très bon, voire de l’excellent. Ce travail fait justement penser à celui du jeune Patrice Chéreau qui avait presque le même âge que Jean Vilar et Guillaume Séverac-Schmitz quand ils montent la pièce, et que William Shakespeare écrit à trente-et un ans…. Curieux, non pas vraiment: il faut l’énergie de la jeunesse pour écrire et/ou monter cette longue histoire sanglante de famille, filiation et trahisons!
Cette mise en scène comporte des erreurs mais aussi de grandes qualités: la direction d’acteurs très inégale correspond à une note d’intention assez prétentieuse: “cette dualité (de changement de rôle) oblige les acteurs à troquer la globalité d’un jeu linéaire pour la versatilité d’un jeu protéiforme. Ainsi, la vie peut arriver sur scène”.
Et la vie arrive, heureusement! quand un Thibaut Perrenoud, très crédible et souvent sublime, s’empare du rôle de Richard II et abandonne la couronne royale avec ces vers célèbres: “J’échange mon sceptre contre une canne de marche (…) et mon très grand royaume contre une petite tombe, une toute petite, petite tombe, très sombre. Cela ne changera pas grand-chose, car mon cœur, aujourd’hui, est lui-même piétiné”.
Le reste de la distribution est beaucoup moins convaincant; fréquentes criailleries, manque d’unité dans le jeu et on comprend très mal Olivia Corsini, ce qui plombe les scènes où elle apparait… A qui la responsabilité? On ne saura pas, puisque c’est, revendiquée, l’œuvre d’un collectif…
La traduction a le mérite de reprendre des mots crus contemporains quand il s’agit d’injures: Clément Camar-Mercier a eu raison de faire figurer : connard, mec, etc. : exact reflet de la violence verbale et des niveaux de langage que l’on trouve chez Shakespeare mais semble aussi parfois approximative: des habits de pauvre deviennent “torchon”; “obscure grave” en anglais, est bizarrement traduit par tombe “très sombre”, alors qu’il s’agit plus, comme le contexte le montre, sans doute d’un “humble tombe anonyme”, affublée ici de quatre fois : “petite”, au lieu de trois dans le texte original.
L’adaptation, pas toujours très claire, aurait mérité l’affichage d’un résumé des événements comme l’avait fait Ivo van Hove pour Kings of war. Guillaume Séverac-Schmitz nous dira sans doute que l’on n’a pas besoin de tout comprendre mais cela aurait facilité la saisie de la pièce ici largement adaptée; un couple d’étudiants, assis près de nous, avait du mal à se retrouver dans cette série de personnages interprétés par sept acteurs seulement, qui jouent donc jouent plusieurs rôles.
Le metteur en scène aurait pu aussi nous épargner ces stéréotypes très en vogue comme cette mise en abyme et ce théâtre dans le théâtre. (Avec plateau nu, sans pendrillons donc pas de réverbération et où les voix se perdent souvent), tubes de faux sang que l’on fait gicler à vue comme chez Philippe Macaigne, fumigènes déversés à gogo et soufflés par de gros ventilos, jeu dans la salle qui reste parfois éclairée, (c’est revendiqué mais ce “ rapport actif entre scène et salle » fait ici pschitt!) et, à la fin, pétales rouges tombant des cintres, grognements de basses et musique sans grande unité, à la fois baroque avec Les Vêpres de la vierge de Monteverdi, John Dowland et Thomas Tallis mais aussi Nirvana, Pink Floyd et Le Sacre du Printemps de Stravinki.
Bref, le Conservatoire national n’a pas bien joué son rôle; enseigner, c’est aussi mettre en garde contre la mode et le snobisme. Mais bon, pas très grave et cela peut être revu. Enfin, pour une fois, on aura échappé à la vidéo, autre fléau des temps actuels.
Mais le spectacle a aussi des vertus et non des moindres: par exemple, ce prologue avec le meurtre de Gloucester dans une baignoire, belle image picturale, très soignée; même s’il vaut mieux avoir lu la pièce pour comprendre que l’auteur de cet assassinat est bien Richard II. Il y a aussi cette violente dispute, arbitrée par le roi, entre Bolingbroke et Mowbray, duc de Norfolk, ces quelques drapeaux qui flottent dans le vent pour figurer la grande armée de Bolingbroke, la pluie fine qui tombe sans fin sur les combattants, cet impressionnant drap taché de sang, ou cette vison d’enfer quand Richard, à la fin, emprisonné, est allongé nu devant une fenêtre avec une lumière des plus glauques…
Autant de moments forts mis en scène avec une belle maîtrise de l’espace, chose pas si fréquente chez les jeunes metteurs en scène, et loin des approximations du Richard III de Thomas Jolly. Surtout avec une pièce aussi difficile que Richard II. C’est, redisons-le, une première mise en scène dont on oubliera les erreurs et il faut faire confiance au temps. En tout cas, Dominique Bluzet a eu raison de l’inviter à Marseille.
Philippe du Vignal
Spectacle vu au Théâtre du Gymnase 4 rue du Théâtre français, Marseille, le 5 février. Les 12 et 13 février, Scène Nationale-Le Cratère d’Alès (Gard) ;
le 16 février, Théâtre Roger Barat à Herblay (Yvelines); le
19 février, Espace Lino Ventura de Garges-lès-Gonnesse (Val-d’Oise) ; les
13 et 14 mars, Le Figuier Blanc, Argenteuil (Val-d’Oise).