Transsibérien je suis
Transsibérien, (Faut-il à tout prix réaliser ses rêves?) texte et mise en scène de Philippe Fenwick
»Après avoir écrit et mis en scène Atavisme, (voir Le Théâtre du Blog) et réalisé, avec ce spectacle,une tournée de Brest vers Vladivostok en 2012, je souhaitais raconter, de manière burlesque et tragique, dit Philippe Fenwick, le cauchemar kafkaïen des 1.300 jours que nous avons passés avec notre troupe, à poursuivre un rêve. Pour porter sur scène ces trois ans de course effrénée, je désirais me tourner vers la création d’un spectacle hybride et résolument « contem-forain ».
Suite à la mort de son père en avion, Philippe Fenwick s’était en effet lancé dans une tournée qui ne se réalisera pas vraiment, avec une proposition de théâtre-cirque jouée chaque soir: soit près de 15.000 kms en train… Mais il en aura quand même, avec son assistante Nathalie Conio, accompli une partie.
Dans ce spectacle-miroir, il rencontre ici une sorte de double : Jacques Mercier, un pauvre chanteur de music-hall qui n’a qu’un seul rêve : partir pour Vladivostok! Assis dans sa loge de théâtre côté cour, il nous raconte ce voyage imaginaire. Côté jardin, dans un salon minable, le comédien-chanteur sibérien Sergeï Vladimirov traduit ce rêve inassouvi, avec une belle présence.
Le vrai chanteur Jacques Mercier a bien existé. Atteint d’hallucinations, il s’était inventé, dans le journal qu’il tenait, une tournée en Russie mais avait disparu mystérieusement en 1983, dans sa chambre pourtant fermée à clé de l’intérieur, à Brest où il avait chanté pendant dans un petit cabaret, La Belle de Recouvrance.
La première partie de Transsibérien je suis se passe en Dramatie, petite république située entre Normandie et Picardie. La capitale du pays, Liberta (1 million d’habitants) est une ville où l’activité culturelle est une des plus intense au monde. Le (MCEI) Ministère de la Culture et de l’Éducation Intensive emploie 30% de la population active et pourrait financer sa tournée.
La deuxième partie se passe à Marseille, à Brest et en Russie. Le spectacle, on l’aura compris, se balade entre fiction et réalité, entre vie réelle et vie fantasmée, avec des moments forts, émouvants et poétiques comme ces belles images qui défilent, en ombres chinoises, par la fenêtre d’un train, d’une Russie traditionnelle avec ses églises et ses bois de bouleaux…
Ou ce petit orchestre qui accompagne le chanteur, un numéro de voltige acrobatique, les démêlés du metteur en scène avec la D.R.A.S. (alias, la D.R.A.C., bien entendu) quand il veut obtenir un rendez-vous pour se faire financer son projet (un peu longuets mais tout de même très drôles), et l’arrivée sur le plateau de Simone Héraut, bonne comédienne qui est aussi la fameuse voix, reconnaissable entre toutes, de la S.N.C.F., annonçant les départs de train, etc. Et aussi de courtes interventions en vidéo de cette autre bonne comédienne qu’est Muriel Picard.
La mise en scène de grande qualité et la direction d’acteurs sont réglées au millimètre; il y a des moments de véritable grâce et d’humour malgré un texte d’une indéniable poésie encore brut de décoffrage, avec des redites et quelques redoutables fausses fins que Philippe Fenwick aurait pu nous épargner…
Trop long, le spectacle aurait besoin d’urgence de coupes et de rééquilibrage. Bon comédien, Philippe Fenwick s’écoute quand même un peu trop jouer et se lance parfois dans des monologues pas toujours bien passionnants où il fait la part belle au théâtre dans le théâtre, véritable tarte à la crème du spectacle contemporain, et c’est dommage.
Ce Transsibérien, somme toute, attachant, a encore sérieusement besoin d’être revu et corrigé.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 27 février au Théâtre 13 (Paris).
Théâtre National de Nice du 7 au 10 avril, et Théâtre National de la Criée à Marseille du 11 au 14 mai.