Le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky et Mouvements d’Henri Michaux
Le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky et Mouvements d’Henri Michaux, chorégraphies de Marie Chouinard
Deux œuvres contrastées : l’une tellurique, l’autre plus aérienne. De trente-cinq minutes chacune , elles composent une soirée de qualité exceptionnelle. En 1990, Marie Chouinard, soliste et chorégraphe, fonde sa compagnie qui a, depuis, donné plus de mille représentations dans les plus prestigieux festivals et les plus grands lieux dont le Théâtre de la Ville qui l’invite souvent, comme, en ce moment, à la Maison des Arts de Créteil.
On a plaisir à voir ou à revoir ce Sacre du printemps qu’elle a créé en 1993, et présenté régulièrement. Les douze danseurs et danseuses, dont Carol Prieur, déploient un élan vital à la mesure de la musique d’Igor Stravinsky et du ballet chorégraphié par Vaslav Nijinski pour les Ballets russes de Serge de Diaghilev qui, en 1913, avaient défrayé la chronique par leur modernité. Le spectacle avait été en effet qualifié à l’époque, par un chroniqueur grincheux, de «massacre du printemps ».
Sous la direction de l’artiste québécoise, les interprètes, torses et jambes nus, muscles bandés, célèbrent l’éveil de la nature par leurs corps aux allures androgynes, avec des solos, duos, trios, ou tous ensemble, et vibrent sur la partition d’Igor Stravinsky. «Il n’y a pas d’histoire dans mon Sacre, dit Marie Chouinard, pas de déroulement, pas de cause à effet. Seulement de la synchronicité. C’est comme si j’avais abordé la première seconde suivant l’instant de l’apparition de la vie dans la matière. Le spectacle, c’est le déploiement de cette seconde. »
Les interprètes, sans distinguo de sexe, répondent aux soubresauts d’une sève montante avec des gestes d’animaux. Chez les danseuses, de petits chignons dessinent comme des oreilles, de chaque côté de leur tête qui bouge de haut en bas, d’avant en arrière.
D’abord isolés, chacun dans son rond de lumière, les artistes galopent sur place, où exécutent de petits sauts caprins. Ces courts solos se démultiplient jusqu’à envahir l’immense plateau d’une faune étrange et remuante. Puis des groupes se forment, d’où certains s’échappent pour traverser la scène à grands bonds.
Les rythmes, saccadés ou plus fluides, sont induits par la tonalité et le tempo des trompettes bouchées, trombones, cordes et grosse caisse qui dictent les mouvements. Parfois, les bras s’agitent, prolongés par de longues griffes plus végétales qu’animales, et les danseurs s’agglutinent en buisson mouvant. Exhibant deux cornes, l’une au front, l’autre au niveau du sexe, ils s’avancent les uns vers les autres, gonflés de désir. C’est la nature qui parle à travers ces jeux de scène exubérants, puissants et expressifs !
Mouvements publié en 1951 par Henri Michaux (1899-1984) où de nombreux dessins à l’encre de chine, véritables calligraphies, se déploient sur soixante-quatre pages, représente un véritable défi pour la chorégraphe… Projetés sur deux grandes pages lumineuses, en fond de scène, ils impulsent une gestuelle à laquelle les danseurs vont tenter de répondre en esquissant des figures, à mesure que les dessins s’inscrivent sur l’écran.
Aux spectateurs de comparer les originaux et leurs interprétations dans l’espace. Vêtus de noir des pieds à la tête, les artistes se meuvent sur un tapis de danse blanc, dans le sens de la lecture, de gauche à droite, et deviennent d’étranges pictogrammes aux membres déformés, tantôt écartelés, tantôt tassés sur eux-mêmes.
Le livre est feuilleté de A à Z , y compris le long poème du milieu, ici récité et qui nous éclaire sur la démarche et l’état d’âme d’Henri Michaux. Jusqu’à la première et quatrième de couverture, avec ses dessins blanc sur noir, en réserve, que les danseurs incarnent, nus cette fois, s’agitant dans l’obscurité sur des lumières stroboscopiques….
Les interprètes mettent littéralement en branle les calligraphies du peintre, ces « mouvements à jets multiples, fête de taches, gammes des bras (…) poussière d’étoile». Au terme de cette «course qui rampe/ rampement qui vole/ unité qui fourmille/ bloc qui danse», on ne peut qu’admirer leur virtuosité, leur élégance hiératique quand ils se succèdent sur la scène, ou s’agglutinent en multitudes.
De temps en temps, tels des bêtes, ils émettent feulements et croassements : «homme bouc/homme à crêtes/ à piquants, à raccourcis/homme à huppe, galvanisant ses haillons/homme aux appuis secrets, fusant loin de son avilissante vie», continue le texte.
Une véritable réussite esthétique qui met à l’honneur la danse, et aussi un immense poète.
Mireille Davidovici
Maison des Arts de Créteil jusqu’au 12 mars.
Mouvements : Grand théâtre Massenet, Saint-Étienne, le 16 mars ; Bregenzer Frühling, Bregenz, (Autriche) le 28 mai; Sadler’s Wells, à Londres, les 20 et 21 juin.
Le Sacre du printemps : Le Moulin du Roc, Niort le 22 mars ; Danse Danse, Théâtre Maisonneuve, Montréal du 31 mars au 2 avril.