Je suis Fassbinder de Falk Richter

Je suis Fassbinder de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort, mise en scène de Stanislas Nordey et Falk Richter

   20152016_Spectacles_JeSuisFassbinder_%C2%A9FERNANDEZJeanLouis_003Comme en écho à l’appel identitaire: Je suis Charlie, lors des manifestations qui suivirent les attentats de janvier 2015 à Charlie-Hebdo, résonne aujourd’hui cette pièce-laboratoire de Falk Richter, écrite au jour le jour et sur le vif des répétitions qu’a menées sur le fil du rasoir, le metteur en scène et directeur du Théâtre National de Strasbourg, Stanislas Nordey, qui a élaboré la mis en scène en compagnonnage avec l’auteur.  
  Résonance en effet des plus  immédiate avec les actes terroristes et leurs menaces qui nous questionnent tous en Europe,après ceux des Etats-Unis, et ceux d’hier au Mali et en Côte d’Ivoire; résonance enfin  avec  les courants  de populations déplacées qui fuient les régimes tyranniques et fanatiques du Moyen-Orient.
Cette écriture théâtrale est aussi comme une plongée symbolique et esthétique dans l’art de Rainer Werner Fassbinder (1945-1982), cinéaste et metteur en scène  de l’Allemagne terroriste de la Bande à Baader-Meinhof. Il avait su en son temps poser des questions subversives : terrorisme, xénophobie, homophobie, antisémitisme, violence faite aux femmes jusque dans le mariage codifié.
   À partir de l’analyse de l’Allemagne post-fasciste faite par Rainer Werner Fassbinder en 1977,  Falk Richter évoque les nouveaux courants d’extrême-droite qui se développent partout en Europe, avec une vision rétrograde de la famille et une place réductrice assignée à la femme: un point de vue plutôt dépassé en Allemagne…
Le léger décalage, historique et culturel, entre l’Allemagne et la France, instaure comme une distanciation brechtienne judicieuse et permet de mieux  comment de nouveaux dirigeants anti-démocrates  veulent prendre le pouvoir outre-Rhin et en France.
«La Pologne, dit Falk Richter, n’est déjà plus une démocratie, la Hongrie devient un régime de plus en plus fasciste, la Russie est redevenue avec Wladimir Poutine une dictature guerrière où les artistes et journalistes critiquant le régime, sont poursuivis, emprisonnés, ou exécutés.» Il évoque aussi les trois viols commis à Cologne par des migrants du Proche Orient.
Des images extraites de L’année des treize lunes, La troisième génération, Le droit du plus fort, L’Allemagne en automne de Rainer Werner Fassbinder défilent sur trois écrans suspendus. Les relations existentielles sont ici répertoriées par le cinésate: l’homme avec l’amant, l’amante, l’épouse, et la mère: une figure fascisante en pleine Allemagne terroriste, etqui exprime la pensée d’une majorité d’ Allemands en 1977.
« Doit arriver au pouvoir, écrit Falk Richter, un dirigeant autoritaire et gentil, un souhait comparable à ceux de Marine Le Pen, Viktor Orban, Jaroslaw Kaczynski, «pour débarrasser les pays des réfugiés,  étrangers et musulmans… sans guerre, sans que l’Europe se retrouve encore en cendres. »
Sur le plateau d e ce théâtre-laboratoire, une reconstitution des décors des films de Rainer Werner Fassbinder, comme  le tapis de laine blanc-cassé et les grands canapés des Larmes amères de Petra von Kant,  avec des photos glamour de magazines de mode, musique et cinéma des années 70, accrochées çà et là, ou jonchant le sol et les marches d’escalier. Les scènes des uns sont filmées par les autres acteurs, et il y aussi des reprises de séances de répétition :  dégradé chatoyant de théâtre dans le théâtre, en une mise en abyme à plusieurs degrés.
Avec un collectif de comédiens, surarmé de talent : Thomas Gonzalez en fieffé histrion et bon chanteur ; Éloïse Mignon, gracieuse, et posant les questions avec tact; Laurent Sauvage jouant avec sincérité  la mère de Fassbinder ; Judith Henry, en Europe radieuse, malgré les réserves que l’on peut faire sur l’allégorie, et Stanislas Nordey incarnant le maestro avec brio.
La pièce, au-delà de raccourcis simplificateurs, accapare à bon escient et dans un souffle dévastateur et vivifiant, l’attention des jeunes générations inquiètes.

 Véronique Hotte

Théâtre National de Strasbourg, du 4 au 19 mars. MC2 Grenoble, du 24 mars au 2 avril. Théâtre National de Rennes, du 15 au 20 avril. Théâtre Vidy-Lausanne, du 26 avril au 4 mai.
Théâtre de La Colline à Paris, du 10 mai au 4 juin.

 


Archive pour 14 mars, 2016

Sacré Sucré, Salé de Stéphanie Schwartzbrod

Sacré Sucré, Salé de Stéphanie Schwartzbrod, mise en scène de  l’auteure et de Nicolas Struve

 

94ba038039603447dcae6fc02978ebfaProposition a priori alléchante : la metteur en scène et comédienne nous invite à partager les traditions culinaires liés aux religions du Livre avec pour chaque mois, un rituel : Noël, puis l’Epiphanie, Pourim, Pessah, le Carême, Pâques, l’Aïd el kebir…          
Tour à tour juive, catholique et musulmane, elle prépare et fait mitonner, sur une gazinière, la chorba du Ramadan (excellente !) qu’elle servira au public à la fin du spectacle.  De son livre de cuisine, Saveurs sacrées : Recettes rituelles des fêtes religieuses, Stéphanie Schwartzbrod a tiré un spectacle : « La scène s’est transformée en un espace de conte, de sketch, même de cinéma avec un court extrait des Dix Commandements… »
  Après un prologue emprunté au Repas de Valère Novarina, invoquant l’espace, le temps, la vie, la mort et le théâtre, elle s’active au fourneau en nous donnant ses recettes au fil de l’an. À chacune, correspond une anecdote et une symbolique de la nourriture : à Pessah, on mange des matsos (pains azymes) en souvenir de Moïse guidant son peuple au-delà de la Mer Rouge, sans que le pain ait eu le temps de lever, explique-t-elle. Le jeûne du Ramadan brûle les péchés, comme le soleil brûle le sol : étymologiquement « ramadam » : être brûlant, et « ramada »:  coup de chaleur…
Pour la fête de Pourim, célébrant la victoire d’Esther, épouse du roi Assureus sur le méchant ministre Aman qui voulait exterminer les Juifs, représentés par Mardochée, la comédienne fait participer le public à son récit. Au nom d’Aman, on agite des crécelles, tandis que Mardochée est acclamé.
Facile mais peu efficace, bien que la démarche corresponde à l’esprit de Pourim, fête de la transgression où l’on s’enivre, l’on joue et l’on se déguise. « On apprend beaucoup de choses sur ce qu’on mange mais aussi sur ce qu’ «ils» mangent, écrit la comédienne. Les coutumes de ces trois religions sont profondément reliées (…). En les abordant par leurs pratiques festives et culinaires, on trouve un moyen de mettre en avant ce qui les rapproche. »
 Au-delà d’une démarche et d’un concept intéressants, et malgré la mise en scène de Nicolas Struve qui a mis la main à la pâte, le projet peine à trouver sa véritable dramaturgie. Ni le texte de Stéphanie Schwartzbrod, (plus didactique que théâtral) ni son interprétation, parfois caricaturale, n’ont su nous convaincre. Mais elle nous incite à puiser dans les recettes de son livre.

Mireille Davidovici

Théâtre de l’Aquarium, jusqu’au 26 mars. T. 01 43 74 99 61
Saveurs sacrées : recettes rituelles des fêtes religieuses, est publié aux éditions Actes-Sud

 

 

Werther ! d’après le roman de Johann Wolfgang von Goethe

werther-csamuelrubio-27-br-1Werther ! d’après le roman de Johann Wolfgang von Goethe, mis en scène  de Nicolas Stemann

 

Le mythe des Souffrances du jeune Werther, court roman épistolaire écrit en 1774 par J. W. von Goethe à vingt-cinq ans, renaît, avec toujours la même modernité. Symbole de préromantisme mais aussi vision universelle, ce roman, selon son auteur, d’un jeune homme qui «appartient à l’histoire particulière de quiconque, doué d’un sens inné de liberté, se débat au milieu des contraintes sociales d’un monde vieilli et doit apprendre à s’y reconnaître et à s’y adapter. »
Le théâtre  fait ici une place à une jeunesse tragique qui ne veut pas le monde tel qu’il est, et qui veut être entendue. Message repris à sa façon  par Nicolas Stemann. Le roman, avec ses lettres du 4 mai 1771 au 24 décembre 1772, de la renaissance à la mort, se décline comme une tragédie classique: Werther raconte à son ami Wilhelm, sa rencontre avec Charlotte, à Weztlar, l’arrivée d’Albert, le fiancé qui était en voyage, puis son propre départ avec l’ambassadeur dont il est le secrétaire, sa démission, et enfin son retour auprès de l’aimée, son mal d’amour et son impuissance à retourner ou contrôler la situation.
La dernière partie du livre  a trait au suicide du jeune Werther, amoureux contrit, enfermé dans une vie sociale qui va aussi le jeter hors des codes. C’est le récit délicat d’une passion amoureuse impossible et d’un conflit existentiel avec le monde : «Devant mon âme, s’est levé comme un rideau ».
Nicolas Stemann joue ici la carte de l’ironie et de la satire… Chapeau de cow-boy et treillis pour Philippe Hochmair qui incarne avec désinvolture l’amant contrarié. Loin de l’ample chapeau et du long manteau blanc du célèbre tableau de Goethe dans la campagne romaine, qu’avait peint Johann Heinrich WilhelmTischbein.
  Ici, plus de paysage romantique avec jardin, fontaine et auberge de village, mais juste une table où Weerther  étend nonchalamment ses jambes, avant d’y poser salades verte et saucisses qu’il extrait d’un grand sac plastique. Auparavant apparaît en vidéo, un bouquet de fleurs champêtres  en fond de scène…
  Philipp Hochmair, facétieux et bon enfant, tient la caméra tout en déclamant  Werther ! en langues allemande et française, se regardant en miroir pour un autoportrait assez complaisant.
Humour, bouffonnerie, blagues faciles, sous-entendus un peu lourds, sollicitations du public, puis disparition du comédien quittant la scène un peu trop souvent: blancs et silences pour signifier l’impossibilité maladroite à vivre la situation mélancolique de l’amour empêché d’un jeune être.
On espérait toutefois davantage de finesse pour ce Werther !, ici un peu au rabais…

 Véronique Hotte

 Spectacle joué au Théâtre de la Commune/Centre Dramatique National d’Aubervilliers, du 8 au 12 mars.

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