Cavafis,poète grec d’Alexandrie
Cavafis, poète grec d’Alexandrie, d’après la traduction d’Arnaud Roy, conception et mise en scène de Dimitra Pandora
Grec, mais né et mort à Alexandrie, Constantin Cavafy (1863-1933) fut un poète singulier et secret. Fonctionnaire, il mena une vie solitaire et séparée du monde. Avec une rare sensibilité, il impulsa une résonance profonde à l’expérience intense de rencontres viriles, interdites en son temps. Il écrit en transposant le désir en contemplation méditative: paysage, visage, antique ou contemporain : «Un lointain écho de ces jours de plaisir, un écho de ces jours m’est revenu tout à l’heure, quelque chose de l’ardeur mutuelle de notre jeunesse. »
Temps passé et temps présent se confondent chez lui à travers une même vision du monde qui décèle toujours une population exclue, de siècle en siècle. Neuvième enfant d’une famille bourgeoise ruinée lors de la dépossession par les Anglais, des commerçants grecs du coton, l’écrivain fut particulièrement à l’écoute des oppressions politiques, religieuses ou morales.
Avec une vision tragique du monde, il conjugue le déclin de l’empire hellénistique avec celui de la colonie grecque d’Égypte au XX ème siècle, mais aussi avec une critique ironique de notre modernité. En 1872, sa famille émigra en Angleterre avant de revenir à Alexandrie, mais sans espoir de retrouver sa fortune passée. Le grec Constantin Cavafy conservera toutefois durant trente ans, un poste de petit fonctionnaire dans une administration égyptienne contrôlée par les Anglais…
Dimitra Pandora offre au public l’écoute grave et éclairée du sentiment douloureux de solitude, à travers les réminiscences des plaisirs perdus, entre visions impressionnistes et rappels aigus de sensualité. elle montre bien comment l’écriture fulgurante du poète saisit en les revivifiant des instants existentiels, grâce à l’impression proustienne à nouveau ressentie d’un lieu ressurgi, d’un visage reconnu : «Désirs et sensations, voilà mon apport à l’Art. »
Le poète, (Sarantos Rigakos), assis sur un banc, de dos, regarde la mer et ses vagues, ou bien marche patiemment le long du rivage, investi par la puissance de l’horizon lointain. Avec des images vidéo, cette mise en scène nous fait sentir la force de l’imaginaire et la nécessité de la rêverie. Dans Ithaque, Cavafy se compare à Ulysse, et dans Antoine abandonné des dieux, à un héros antique.
Les belles comédiennes impliquées dans cette aventure, Caroline Rabaliatti, Dimitra Pandora et Athina Axiotou, traduisent le sens d’une vie intense : le salut par la création poétique. Ainsi, avec des mots-poèmes qui sortent d’une boîte de Pandore que l’on rangerait pour former un recueil, elles font entendre une parole personnelle et pourtant partagée.
Un joli théâtre avec de beaux objets, un écritoire ancien, une plume d’écrivain, aux lumières tamisées… Sur le plateau, se tient sévère et muette, debout ou bien assise auprès de la flamme d’une bougie, la Muse de l’Art, figure mélancolique de jeune femme à la longue robe noire et inspiratrice du poète.
Avec humour et gravité, mouvements ordonnancés, apparitions et disparitions fugitives, les actrices révèlent les mouvements pudiques d’une âme hantée par les regrets, les méprises et une présence au monde marginalisée : « Comme les corps de beaux défunts… C’est à de tels corps que ressemblent les désirs qui nous ont quittés. Sans s’être accomplis, sans avoir connu, ne fût-ce qu’une seule nuit de plaisir ou un matin radieux. »
Ce spectacle poétique est un moment délicat dédié à l’art, à l’amour et à la politique, à travers toutes les formes de dissidence, et un poème comme Murailles révèle en même temps toute la souffrance d’être : «Sans préméditation, sans merci, sans vergogne, Tout autour de moi, ils ont élevé des hautes murailles … Mais je n’ai jamais entendu le martèlement des maçons ni l’écho de leurs voix. Imperceptiblement, ils m’ont enfermé hors du monde. »
Mais heureusement restent, comme dans ce spectacle, la poésie immuable et les songes vivaces.
Véronique Hotte
Spectacle vu le 7 mars à la Maison d’Europe et d’Orient, 3 passage Hennel 75012 Paris.