Chinoiseries d’Evelyne de la Chenelière

Chinoiseries  d’Evelyne de la Chenelière, mise en scène de Nabil El Azan

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  »Je voudrais que M. Chiton ait les bras un peu trop longs. Il a la cinquantaine mais ses bras lui donneraient un peu l’air adolescent. Je voudrais que Mme Potée porte des tenues extravagantes jurant avec sa timidité. Elle a aussi la cinquantaine », écrit l’auteure québécoise à propos de ses personnages. Elle a imaginé deux voisins de pallier qui se côtoient sans se parler, alors qu’ils s’épient, fantasment l’un sur l’autre et s’inventent les souvenirs d’une vie commune mais ne réussissent jamais à s’aborder.
Alternant récit à la troisième personne et dialogue, présent, passé et conditionnel, les personnages dans leurs actes les plus quotidiens, sont comme décalés du réel. Ils soliloquent, tout en se répondant indirectement, de même qu’ils se frôlent, tout en ne se voyant pas.
Le décor fonctionnel, imaginé par Anne Sophie Grac -une structure tubulaire à laquelle sont accrochées des fenêtres mobiles, et qui encadre des appartements jumeaux sans séparation- installe les voisins dans une promiscuité virtuelle. À cour, s’amorce un escalier.
Christine Murillo joue une Mme Potée exubérante, empotée dans ses peignoirs orientaux criards. Avec une perruque noire aux cheveux raides à lourde frange, elle va et vient, apprenant le chinois et brisant ses assiettes, maladresse de myope ! Dans son isolement, «elle n’a d’autre envie que de casser sa vaisselle».

Jean-Claude Leguay est un M. Chiton encombré de ses bras, dont il s’étreint lui-même tous les matins, faute de semblables à caliner. A-t-il tué sa mère ?  Elle le hante, et l’a littéralement « aspiré »… en expirant. Il entretient des conversations avec elle, imitant sa voix et son ombre à chignon se profile derrière un rideau, telle la mère d’Antony Perkins dans Psychose, film auquel renvoie aussi la musique.
Nabil El Azan multiplie les références avec une bande-son de scènes  de cinéma. Un jour où l’ascenseur est en panne, les deux personnages tombent nez à nez dans la montée (rencontre ratée, un fois de plus !), sur le thème de Jumeji qui rythme l’inoubliable descente d’escalier de Maggie Cheung dans In the  Mood for love de Wang Kar-wai (composé par Shigeru Umebayashi).

  Et le refrain d‘Un homme et une femme de Francis Lai accompagne un semblant de voyage en voiture sous la pluie, et son ballet d’essuie-glace… Ces interventions musicales ajoutent une épaisseur ironique (par contraste, ou par analogie avec les films) et soulignent le jeu burlesque des acteurs que nous avions appréciés l’un et l’autre (en compagnie de Grégoire Oestermann ) dans l’aventure du Baleinié, ce Dictionnaire des tracas qui donna lieu à trois spectacles : Xu, Oxu, Ugzu (voir Théâtre du blog).
Ils composent ici un couple monstrueux et émouvant : le rire n’est pas loin des larmes quand ils évoquent les enfants qu’ils n’auraient pas eus, ou quand, sur l’air de Hable Con Ella (Parle avec elle) de Pedro Almodovar, ils osent quelques pas de danse (hommage à Pina Bausch, en passant).
D’une facture complexe, Chinoiseries ne se livre pas d’emblée et les situations restent continument ambigües: sont-elles réelles, présentes, passées, anticipées ou rêvées ? Nabil El Azan a su mettre en scène cette pièce atypique, et d’une grande liberté de ton, en impulsant chez les acteurs un jeu tout en finesse. Sans craindre le grotesque et tout en ménageant des suspensions poétiques.

Le spectateur ne sait jamais, jusqu’à la fin, très émouvante, sur quel pied danser. Mais l’art du « comme si»  et du faux-semblant, n’est-il pas l’essence même du théâtre ?

 

Mireille Davidovici  

 

Vingtième théâtre, 75020 Paris, du jeudi au dimanche, jusqu’au 8 mai

Théâtre des Halles, Avignon, 11 et 12 mai

 

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