Les Aventuriers de la Cité Z
Les Aventuriers de la Cité Z, de Frédéric Bui Duy Minh, Cyril Courbet et Aymerac de Nadaillac, mise en scène d’Aymerac de Nadaillac, collaboration artistique d’Alain Sachs
Au départ, une histoire vraie, celle de Percy Harrison Fawcett, d’abord élève officier anglais qui, de 1906 à 1913, participa à six expéditions cartographiques en Bolivie, et qui découvrit un document portugais de 1753 relatant la découverte d’une cité Inca fabuleuse. L’explorateur traversera la jungle amazonienne à la découverte de ses ruines mais ne donna plus signe de vie après mai 1925…
De quoi inspirer Hergé: dans L’Oreille cassée, Tintin rencontre un explorateur du nom de Ridgewell, et Arthur Conan Doyle créera un professeur Challenger dans Le Monde perdu. Et nombre de cinéastes ne se sont jamais privés de raconter des histoires d’explorateurs, riches et intrépides à la recherche de fabuleux trésors dont Philippe de Broca avec L’Homme de Rio et, bien sûr, Steven Spielberg à partir de 1981, avec Indiana Jones et Les Aventuriers de l’arche perdue puis Indiana Jones et le Temple maudit, Indiana Jones et la dernière croisade, Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal.
Le théâtre et, en particulier, la comédie musicale ont aussi assez friands de ce genre d’aventures. Mais sur une petite scène, sans trop de moyens, avec quelques acteurs, comment raconter une histoire pareille? Mission impossible? Non, mais en tout cas périlleuse, si on se prend au sérieux. Mais les trois complices, avec l’aide efficace d’Alain Sachs, ont intelligemment joué la carte de la parodie, et utilisent des personnages stéréotypés selon en scénario parfaitement déjanté auquel on a le plaisir de ne pas croire un instant. Cela crée, bien entendu, une belle complicité entre acteurs et public.
Cela se passe au début du vingtième siècle où Joan, une belle jeune femme séduisante (formidable Sara Lepage) capable de se transformer en vamp en quelques secondes, demande à une sorte d’aventurier hardi mais un peu minable, souvent imbibé et à l’Ouest, de retrouver son explorateur de père disparu.
Il y a aussi un sinistre nazi au nom burlesque d’Heinrich Schpunz qui dit avoir déjà visité un bonne douzaine de continents, et que le Troisième Reich aurait envoyé pour essayer de récupérer le fameux trésor…
Côté dramaturgie, on n’échappe pas aux poursuites, rencontres du troisième type et heureux dénouements après moult aventures des plus dangereuses. Merveilleux outil que le théâtre quand il est bricolé et quand il ne cherche surtout pas à copier un réel impossible à restituer! Mais leurs créateurs ont alors tout intérêt à avoir l’imagination fertile. Comme Cyril Gourbet et Damien Cravagno qui ont fait un remarquable travail scénographique et pictural. Avec entre autres des feuilles de contre-plaqué figurant les pages d’un grand livre, quelques accessoires comme un guidon et un gros phare pour figurer un side-car, et des rideaux/toiles peintes (on pense souvent aux merveilleux décors imaginés par Michel Lebois pour Chroniques coloniales ou Les Aventures de Zartan, frère mal aimé de Tarzan, (1971) et pour Robinson Crusoé (1972) du grand Jérôme Savary). Et aussi quelques petites vidéo-projections « naïves »pour assurer les transitions pour faire voyager les personnages en avion ou en bateau!
Tout est d’une “épouvantable” fausseté: les gorilles, les murs en pierre de la tombe, la jungle, les pyramides, le tout souvent dessiné en ligne claire, etc. Ce qui ajoute encore au décalage de la mise en scène précise et d’un sur-jeu très maîtrisé. Ce qui donne très logiquement au spectacle une incroyable vérité : « L’art du théâtre se situe dans un espace entre une vérité qui n’est pas une vérité et un mensonge qui n’est pas un mensonge”, disait déjà il y a plus de trois siècles le grand Chikamatsu Monzaemon.
Résultat: un grand spectacle de vrai théâtre, intelligent, petit bijou de drôlerie avec un Jack Beauregard pas très courageux (Cyril Gourbet) qui voyage en bateau, en pirogue, side-car, et qui va se trouver face à des bêtes féroces. A la fin, un couple d’affreux cannibales accueillera celui des explorateurs. Bref, on est en plein délire…
Aymeric de Nadaillac et Loïc Trehin jouent à eux deux une dizaine de personnages. Ce spectacle assez rare, bourré de gags et plein d’humour, avec une remarquable bande-son, réussit aussi à faire naître par moments l’émotion. Le tout, à un rythme déjanté mais absolument parfait et avec une forte unité de jeu. Chapeau!
Que demande le peuple? Rien de plus. Si, quand même: la reprise d’un spectacle aussi réussi et rodé ( pour tout public à partir de six ans) par ce quatuor de bons auteurs et comédiens, et qui a déjà fait ses preuves… mériterait une scène un peu plus grande et un peu plus haute. On comprend mal qu’un grand théâtre national parisien, ou régional ne le programme pas pour une longue série… Décidément, le comique semble mal vu dans le théâtre public!
Philippe du Vignal
Apollo Théâtre 110 rue du Faubourg du Temple Paris (11ème) jusqu’au 30 avril.