Don Juan de Molière
Dom Juan de Molière, mise en scène d’Anne Coutureau
Avec l’histoire de ce «grand seigneur méchant homme» et de son valet Sganarelle (1665), Molière dresse un réquisitoire contre l’orgueil et l’imposture des grands, la petitesse d’âme, la prétention et l’hypocrisie des privilégiés de la naissance et de la fortune.
Face à un Sganarelle éberlué, fasciné mais impuissant, Don Juan le libertin séduit toutes les femmes, paysannes ou bourgeoises mais ne consent à aucun attachement, même avec sa digne épouse Elvire qu’il ne veut plus entendre. Et il fuira aussi quand ses beaux-frères, outragés par son défi, le poursuivront. Essuyer une tempête, braver l’errance en forêt, obliger un pauvre à renier sa foi, inviter enfin à dîner la statue d’un Commandeur qu’il avait tué autrefois. Duper aussi son créancier, insulter un père accablé et feindre de se repentir: tout participe chez Don Juan d’un bel exercice d’hypocrisie, lui qui ne supporte ni concurrence ni rivalité avec son ennemi d’envergure, le Ciel.
Anne Coutureau, maîtresse d’œuvre d’un très réussi Naples millionnaire! d’Eduardo de Filippo, a réalisé ici une mise en scène passionnante malgré des maladresses. Elle tire la pièce vers une tragédie noire pour laquelle James Brandily a imaginé un plateau immense perdu dans la brume qui cache à peine les combats virils dans une lumière blafarde, bravant les mystères et les ombres, les doutes et les peurs de la nuit.
On connaît la fin fatale de ce séducteur, victime consentante du Ciel, représentée ici par une scène naturaliste avec génuflexions, tirée de la semaine sainte à Séville, avec un Christ vivant mis en en croix. Les jeunes acteurs, « issus de la diversité » ou dits encore « de banlieue », comme l’excellent et imprévisible Birane Ba (Pierrot), Aurélia Poirier (Mathurine ) et Alison Valence (Charlotte), jouent à merveille et avec une rare vitalité, des personnages qui remplacent les paysans des mises en scène d’antan quelque peu… muséaux.
Sganarelle (Tigran Mekhitarian) entre bienséance et dérive subversive, est un valet soumis, à la fois velléitaire et contestataire, avec une gestuelle libre et des intonations parfois attendues. Peggy Martineau, elle, interprète de façon magistrale, Elvire, la femme digne et bafouée.
Quant à Dom Juan (Florent Guyot), Anne Coutureau en fait un être peu attachant, violent, égoïste et calculateur, qui cherche le plaisir et la jouissance dans le mépris affirmé de l’autre. Et nous approuvons, bien entendu, la position de la metteuse en scène quand elle met en exergue le rapport distordu de l’homme, à la femme, du maître abuseur, à la servante abusée, du consommateur, à la consommée, et en général, du puissant, au faible… Don Juan, le séducteur a un désir physique à fleur de peau qui lui fait «aimer» toute jeune femme qui passe auprès de lui. Avec pour méthode pour arriver à ses fins, la violence mentale.
La pièce ressemble alors ici à une danse de mort, sombre et oppressante et Anne Coutureau dénonce ici avec raison la place réduite, encore maintenant, assignée à la femme et aux gens de moindre condition sociale: valets, paysans et bourgeois. Le spectacle gagnerait à être plus resserré mais devrait vite trouver son rythme de croisière.
Véronique Hotte
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 17 avril.