Cabaret Léo Ferré
Cabaret Léo Ferré, direction artistique de Claude Mathieu, direction musicale et arrangements de Benoît Urbain
«Je mélange des paroles et de la musique», dit Léo Ferré, citant Georges Brassens qui parle avec une humilité rare de l’art poétique. «Il y a des gens qui reçoivent d’abord la musique, d’autres qui reçoivent d’abord les paroles», ajoute Léo Ferré pour qui la poésie va dans la rue grâce à la musique. Pour les non-initiés, ce passeur pudique de l’amour libre et absolu évoque La Mélancolie de Baudelaire mais cite aussi Greta Garbo dans La Reine Christine, le Charlot de Charlie Chaplin et la Léopoldine de Victor Hugo : un beau terreau populaire, sonore, et culturel.
L’envol libertaire d’une chanson comme L’Anarchiste suit le parcours difficultueux d’un exilé, en décalage marginal avec l’existence, exigeant de la vie, une reconnaissance digne :« J’suis ni l’œillet ni la verveine / Je ne suis que la mauvaise graine / Qu’on a semée comme un caillou / sur un chemin à rien du tout… »
Une reconnaissance pour tous auxquels est lancée dans un geste visionnaire l’insolence civique des Indignez-vous. Lutter contre L’oppression, le mot d’ordre résonne étrangement à nos oreilles : «Ces mains bonnes à tout même à tenir des armes / Dans ces rues que les hommes ont tracées pour ton bien / Ces rivages perdus vers lesquels tu t’acharnes / Où tu veux aborder / Et pour t’en empêcher / Les mains de l’oppression. »
Léo Ferré qui ne supporte ni dieu ni maître dialogue avec l’autre (lui-même encore), un parmi tant d’autres de la communauté des hommes qui aiment contre ceux qui n’aiment pas, et le troubadour se souvient des vers d’Aragon : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ?… / Moi qui moi-même me trahis / Moi qui me traîne et m’éparpille… / Dans les bras semblables des filles / Où j’ai cru trouver un pays. »
Explorer l’âme et ses mouvements secrets – la capacité à s’émouvoir, l’aptitude à ressentir l’indicible -, un désenchantement sourd, des regrets amers et une tristesse douce qui naissent de souvenirs diffus et d’émotions ancrées, Cette blessure même, « Comme un soleil sur le mélancolie / Comme un jardin qu’on n’ouvre que la nuit… / Comme une porte ouverte sur la mort / Cette blessure dont je meurs. »
Si le poète et chansonnier quitte la vie à son heure, ce sera pour descendre un soir dans l’enfer de Monsieur Dante, un paquet de Celtiques vide sur la table. Décidément, Les Poètes sont de «drôl’s de typ’s qui traversent la brume / Avec des pas d’oiseaux sous l’aile des chansons. » Entre ombres et silences, lois du mystère.
Claude Mathieu a dirigé ce Cabaret Léo Ferré, de façon à la fois éclairée et attentive, avec Benoît Urbain, au piano et à l’accordéon, qui a aussi assuré les arrangements et la direction musicale, Paul Abirached à la guitare, Olivier Moret à la contrebasse et Alain Grange au violoncelle.
Entre chant, et parlé/chanté, avec des intonations d’historiette ou de mélodrame, le spectacle possède la gravité d’un poème symphonique, avec paroles jetées en invectives, pleurs et murmures. Autour du piano de Benoît Urbain, ces chanteurs que sont aussi Serge Bagdassarian, Alexandre Pavloff, Véronique Vella, Julie Sicard, Pauline Clément, Martine Chevallier et Christophe Montenez, font surgir toute la force poétique et humaniste de Léo Ferré. Ils savent, chacun à leur tour ou dans un désordre savants, être ses interprètes avec, à la fois éclat, sensibilité et retrait.
Un écran de ciel bleu s’ouvre et la vidéo de Matthieu Vassiliev laisse apparaître parfois le visage de Léo Ferré…
Véronique Hotte
Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Paris, jusqu’au 8 mai. T: 01 44 58 98 58.