La Musica, La Musica Deuxième
La Musica, La Musica Deuxième (1965-1985) de Marguerite Duras, mise en scène d’Anatoli Vassiliev
La Musica, courte pièce, écrite pour la B.B.C. et publiée en 1965, fut reprise vingt ans plus tard par son auteure qui la compléta avec un seconde version, La Musica Deuxième. Nous considérons la musique en général comme l’art suprême, ayant à voir avec le temps et les jours qui passent. Nouant entre elles les correspondances poétiques et croisant les univers sensibles et sensoriels, spirituels et mystiques, elle «donne une forme au silence», disait Georges Braque.
La pièce de Marguerite Duras, à la fois, théâtre et poésie, envahit le silence intérieur d’un couple, Françoise Viala et Thierry Hancisse qui incarnent ici les époux au bel amour défunt mais ont tous les deux l’expérience de vie.
Ils jouent, et sont ici en même temps des êtres sensuels à l’émotion vive, investis par le pouvoir mystérieux de la mélodie de l’art d’aimer-sa souffrance-un souffle créateur enchanteur au-delà des enfermements crispés.
Le grand metteur en scène russe Anatoli Vassiliev s’est amusé sur trois heures trente avec sa gravité et sa concentration coutumières, de l’ordonnancement répétitif et insistant, telle la marée de l’océan, de La Musica et de La Musica Deuxième qui fait chanter la maladie d’amour lancinante de jeunes gens qui se sont aimés, puis se séparent, et à travers l’acte officiel de non-retour qu’est la prononciation d’un divorce, se retrouvent un peu vieillis…
Le mal diffus d’aimer touche profondément les anciens amants et amoureux de toujours. Une dernière fois, ils se revoient, incapables d’en finir, à l’hôtel de France à Évreux où ils résidèrent avant de se replier dans une maison.
L’admirable scénographie d’Anatoli Vassiliev et Philippe Lagrue donne au public l’impression qu’il se trouve, comme les comédiens, au plus profond d’un puits vertigineux où l’homme et la femme se trouvent comme prisonniers, tombés dans l’abîme des fonds infernaux d’un entonnoir gigantesque, tandis qu’autour d’eux, se dressent de hauts murs s’élevant vers le ciel et la lumière, avec l’espoir de pouvoir respirer respirer l’air d’une vie libre.
Entre les deux versions, une large volière transparente et rectangulaire descend des cintres, frayant avec les secrets et les mouvements intérieurs des âmes déchues, avant de remonter vers les courants d’air et le salut céleste du firmament ouvert. Un escalier étroit de bois semble contourner le mur du lointain, grimpant sur le chemin escarpé d’une montagne qui vire encore dans les hauteurs. La volière décrit un aller-retour entre les troubles privés du cœur infernal et le désir d’absolu.
Des roucoulements d’oiseaux n’en finissent pas de dérouler les notes joyeuses d’une danse amoureuse: appels, réponses, défis et accords sonores des alliances. Les costumes sobres de Renato Bianchi et le jazz évoquent les années 1970-80, la vie nocturne des boîtes de nuit à Saint-Germain-des-Prés, et un mobilier en bois des années 50 avec bar, écrin pour bouteilles d’alcool à ne plus savoir qu’en faire: décorer les lieux ou remplir les verres?
Les complices s’assoient selon leur humeur sur des chaises en bois, tous styles et tous genres confondus, éparpillées comme par mégarde, et racontent leur existence présente et passée. Mystérieux, ils empruntent régulièrement les deux escaliers de l’hôtel, descendant en colimaçon dans des caves insoupçonnées, d’où resurgissent, en alternance – la montée après la descente – les mêmes rôles éternels: amants et aimés, oublieux et oubliés. Savoir aimer consiste à laisser l’autre libre, hors de ses propres exigences, et à lui permettre de prendre son envol loin de soi, ce qui revient à le garder près du cœur.
Une belle traînée scénique d’or, savante et raffinée, sur les fins poétiques inabouties et dès lors toujours réinitialisées des amours immuables.
Véronique Hotte
Théâtre du Vieux-Colombier, Paris jusqu’au 30 avril. T : 01 44 39 87 00/01.
Nous vous remercions de votre message. Comme je n’ai pas un grand appétit du théâtre de madame Duras, j’ai laissé courageusement le soin à Véronique Hotte d’aller voir la mise en scène de Vassiliev… et d’en faire le compte-rendu.
Les réactions de deux amis critiques (et non des moindres) sont contradictoires; l’un comme vous a trouvé cela insupportable et a failli sortie. N’écoutant que son devoir, il a quand même bu la potion jusqu’au bout mais est sorti furieux d’avoir perdu une soirée;l’autre, bon connaisseur du théâtre russe, m’a dit, à demi-mot, que le spectacle était encore un peu brut de décoffrage mais assez intéressant.
J’en conclus donc qu’il est très urgent d’attendre! Et je pense que je m’abstiendrai.
Conclusion: le Vassiliev actuel n’est sans doute plus celui que nous avons adoré il y a plus de vingts ans déjà.
cordialement
Philippe du Vignal
Spectacle insupportable, une vraie torture. Beaucoup de départs à l’entracte. J’ai résisté pour ma part jusqu’à 23h (le spectacle commence à 20h30), et j’ai craqué, je n’en pouvais plus.
Quel intérêt de donner à la suite les deux versions, entre lesquelles d’ailleurs les variations sont infimes? J’ai en plus des doutes sur l’intérêt du texte…
Mais si on choisit de le monter, c’est pour l’émotion, what else? Et là, entre le rythme, les déplacements incessants qui font disparaître dans les dessous puis ressurgir les personnages sans raison (un couple âgé derrière moi trompait l’ennui en les commentant…) ou aligner des verres que l’on range la minute d’après, la diction anti-naturelle qui tord la bouche de ce pauvre Thierry Hancisse, les longues pauses face public… d’émotion, aucune!
Il paraît que jadis, La Musica donna un beau spectacle avec Arestrup et Ardant… mais ce n’était pas Vassiliev aux manettes.
Vassiliev ne serait-il pas une fausse valeur, un faiseur? Qui dira que le roi est nu?