La semaine russe à Tarbes:
Boris Godounov d’Alexandre Pouchkine,mise en scène de Nikolaï Kolyada
Dixième édition de cet événement qui a lieu tous les deux ans et dirigé avec intelligence et efficacité par Marie-Anne Gorbatchevsky. Au programme, un cabaret russe avec les chanteurs Véra et Pétia Chydivar, une avant-première du film Les Anges de la Révolution,d’Aleksei Fedortchenko avec Oleg Yagodine l’acteur fétiche de Nikolaï Kolyada qui joue dans Boris Godounov.
Mais aussi La Lampe verte-cabaret mythique d’Odessa avec Philippe Fenwick, autour des poèmes d’Anna Akhmatova, Marina Tsevétaïeva, Essenine avec des chansons russes et slaves, chansons russes, yddish et ukrainiennes, films muets des studios d’Odessa, tours de magie… Le tout mis en scène par Nathalie Conio; nous n’avons pu voir ce cabaret prometteur mais il viendra bientôt à Paris.
Un spectacle jeune public Les trois petites sœurs, librement inspiré de la pièce d’Anton Tchekhov. Et enfin, mis en scène par le grand Nikolaï Kolyada: Hamlet présenté il y a quelques années en France (voir Le Théâtre du Blog), La Cerisaie d’Anton Tchekhov, et sa dernière création Boris Godounov, sur trois soirs au Théâtre des Nouveautés, charmant théâtre à l’italienne dans le centre de Tarbes.
La tragédie d’Alexandre Pouchkine (1831) rarement jouée chez nous est plutôt connue pour avoir inspiré à Modeste Moussorgski, un opéra (1888) et plusieurs films, notamment celui d’Andrezj Zulawski (1989). Peter Stein, le metteur en scène allemand avait monté lui la pièce en Russie:« C’est une tentative d’élucider l’histoire embrouillée., dit-il, et nous avons créé un spectacle ou tout est transparent, où l’accent est mis sur les problèmes étiques éternels posés sérieusement par Pouchkine dans cette œuvre. Ils concernent non seulement les tsars et les gouverneurs mais tous les gens à toutes les époques : en premier lieu, c’est le problème de la conscience. »
Et récemment le metteur en scène britannique Britannique Graham Vick a mis en scène au théâtre Mariinssky, l’opéra de Modeste Moussorgski avec des allusions claires aux manifestations d’opposants à Vladimir Poutine dispersés par la police…
Nikolaï Kolyada et sa compagnie viennent d’ Ekaterinbourg (une ville de plus d’un million d’habitants dans l’Oural, sur la fameuse ligne du Transsibérien à quelque… 1.400 kms de Moscou. Il a mis au point un autre type de théâtre impressionnant de force épique et de vérité, qui joue sur le vécu et l’émotion. En France, il avait présenté son Hamlet (voir Le Théâtre du Blog) et un Tramway nommé désir de Tennessee Williams. “Aujourd’hui, dit Jean-Pierre Thibaudat qui connaît son travail depuis longtemps, il a quitté son petit théâtre de la rue Tourgueniev installé dans une datcha pour en faire un lieu voué aux écritures contemporaines dont il reste l’un des grands animateurs et formateurs. Il s’est installé dans un nouveau théâtre où il donne son répertoire mêlant la création de nouvelles mises en scène à la reprise des anciennes »
Nikolaï Kolyada est né et réside à Ekaterinbourg, et même s’il a appris le théâtre à Moscou, c’est un tatar qui ne fait pas de spectacles conventionnels. Et mal vu par les théâtres officiels de sa capitale et de Moscou: cela sonne déjà comme une belle reconnaissance… Et cela va bien à cet homme généreux, metteur en scène mais aussi auteur de théâtre.
La pièce un peu compliquée d’Alexandre Pouchkine, a pour thème, d’après des faits historiques bien connus en Russie, la rupture entre le pouvoir politique et le peuple au début du XVIIème siècle, thème qui est ici« comme à la périphérie du spectacle », comme le dit Nikolaï Kolyada qui a surtout mis sur l’accent sur la présence du peuple russe et son extraordinaire capacité à se révolter mais aussi et surtout à pardonner.
On retrouve l’essentiel de la pièce d’Alexandre Pouchkine, juste élagué de quelques scènes situées en Pologne et en Lituanie, trop difficiles selon lui à mettre en scène. Cela commence donc à Moscou en 1598. Le très jeune prince Dimitri, héritier du trône meurt de façon suspecte et Boris Godounov, soupçonné d’être le responsable de ce décès finit par accepter d’être tsar, à la demande des nobles, du clergé et du peuple. Ensuite, quelques années plus tard, au monastère de Tchoudovo, Grégoire, disciple d’un vieux moine, veut se faire passer pour Dimitri et fuit vers la Pologne.
Mais amoureux de Marina, une belle Polonaise, il décide de jouer son rôle jusqu’au bout et de marcher sur Moscou pour récupérer le trône. Avec ses alliés polonais, et des mercenaires allemands, il battra les troupes russes. Le tsar Boris Godounov reprendra bientôt le dessus mais meurt subitement. Dimitri devenu tsar, fait assassiner la famille de Boris Godounov. On annonce au peuple que Marie, sa veuve et leur fils Féodor viennent de s’empoisonner. “Nous avons vu leurs cadavres. Le peuple se tait, frappé de stupeur.Eh bien, pourquoi vous taisez-vous ?… Criez donc : “Vive le tzar Dmitri Ivanovitch !” Mais, dit Pouchkine le peuple reste silencieux… Impeccablement réalisée, chaque représentation de ses pièces commence juste avant le spectacle par une petite ritournelle.
Mise en scène, la pièce souvent légèrement distanciée, avec un zeste d’ironie, ou de théâtre dans le théâtre comme ces jets de fumigène à vue depuis les coulisses, participe d’une sorte de fête populaire délirante avec des scènes plus intimes à quelques personnages… Et ouf, cela fait du bien: ici, aucune vidéo, pas d’allers et retour d’acteurs dans la salle, aucun grognement de basse électronique; bref, Nikolaï Kolyada n’utilise aucun des stéréotypes du théâtre occidental actuel. Et chose impensable chez nous, il dirige avec une rare maîtrise, et chez lui tout est concentré sur l’émotion, quelque trente sept acteurs dont le formidable Oleg Yagodine qui joue Boris Godounov.
Disciplinés, très concentrés, et tout de suite présents dès qu’ils entrent sur le plateau par la porte centrale à deux battants en bois nu, chantant et dansant comme on le voit rarement. Et avec nombre d’accessoires à la fois réalistes mais souvent dévolus à un autre usage comme ces planches à laver métallique servant de percussions, ou ces ces fourches et bâtons avec lesquels ils frappent le sol pour rythmer les rondes qui ponctuent le spectacle.
Aucun décor, sinon des murs noirs avec des appliques à deux ampoules, assez kitsch et des icônes/tapisseries tout aussi kitch, représentant la vierge Marie et l’enfant Jésus, ou un saint local. Le moine et son disciple coupent un poulet d’abord cuit puis cru, avec une grande hache sur un billot fait d’un tronc d’arbre: les morceaux de viande giclent partout sur le plateau et on entend le merveilleux son de trois cloches que l’on tire à vue…
On l’aura compris: tout ici est démesure, vie intense et délirante avec les moyens du bord (voir l’interview ci-contre). Mais avec une grande intelligence scénique, une rigueur absolue, et une bonne louche de générosité. Sans jamais tomber dans un folklore de pacotille. Ce spectacle exceptionnel bourré d’idées comme ces alignements de poupées russes sur le sol qui symbolise le peuple, ou ces merveilleux costumes d’hommes et de femmes coiffés de curieux bonnets de feutre, le tout acheté au marché tatar local…
Le public de Tarbes a de la chance: quatre très bons spectacles: Boris Godounov, Hamlet et La Cerisaie au Théâtre des Nouveautés. (encore bravo à Marie-Anne Gorbatchevsky) et à Marie-Claire Riou pour Les Français mise en scène de Krystof Warlikowski d’après Marcel Proust (dont nous vous parlerons) au Théâtre du Parvis/Scène nationale, d’avoir programmé ces spectacles.
Gérard Trémège, maire de Tarbes peut être fier de sa ville. Que demande le peuple de Bigorre? On n’est pas jaloux mais on espère seulement que le peuple parisien pourra aussi voir un jour ces spectacles…
Philippe du Vignal
La pièce est publiée dans les œuvres complètes d’Alexandre Pouchkine aux Editions de l’Age d’homme.