Le But de Roberto Carlos
Le but de Roberto Carlos de Michel Simonot, mise en scène de Pierre Longuenesse
«J’ai vu la balle sortir en touche et revenir dans le but, écrivait Nicolas Ouédec, ancien international présent sur le banc de touche (1997). Vous vous demandez d’où ça vient et comment il a fait. Sur le moment, on se demande si le mur ne l’a pas contré.
A la pause, on a regardé le ralenti et on s’est aperçu que c’était un but venu d’ailleurs. Roberto Carlos ne semblait pas si surpris que ça, on avait l’impression qu’il avait déjà marqué le même à l’entraînement. Il y a eu un grand silence dans le stade. Après le match, on s’est dit que c’était le genre de chose qu’on devait juste admirer et applaudir. Il y a des buts qui restent pour l’éternité, et il en fait partie.»
Qui dira la poésie d’un compte-rendu de match ? Et la poésie plus grande encore d’un geste unique, d’une maîtrise quasi-surhumaine du corps ? Le football fait rêver, pour la vie de millionnaire de ses élus, mais peut-être plus encore pour ce qui fait l’élu : cette beauté du mouvement qui, comme une fusée, vous sort de l’attraction terrestre, et de la vie au ras du sol.
«Nous ne sommes rien, soyons tout» n’est plus un chant révolutionnaire collectif, mais la pulsion, l’impulsion de millions de jeunes gens qui espèrent «s’en sortir». Michel Simonot a écrit l’épopée de l’un d’entre eux, parti d’Afrique pour gagner l’eldorado européen. 11.600 km, onze mille six cents kilomètres, il faut l’écrire en chiffres et en lettres pour mesurer l’étendue de ce voyage interminable: avancées, retours, arrêts derrière un grillage, stationnement dans un camp, cachettes, poursuites, camion, marche, seul, à plusieurs…
Voyage avec une gigantesque addition d’épreuves, et pas seulement sportives, de ce garçon, lesté de ses espoirs, comme tous ceux qui partent et se voient fermer les frontières de l’Europe, et de cette tâche qu’il s’est donnée : arriver à la perfection du but de Roberto Carlos, en shootant dans une canette derrière un grillage.
Et ce n’est pas un jeu : il s’agit de trouver la faille, la feinte qui lui permettre d’atteindre son but, à lui. Tous ces migrants, réfugiés, demandeurs d’asile, comme on voudra les appeler, montrent dans Le But de Roberto Carlos, leur incroyable force, leur détermination, et leur expertise appliquée à une tâche presque impossible : passer. Ici, de l’autre côté. Tenir.
Le récit nous emmène très loin, dans la solitude et la solidarité avec les autres du garçon. Il prend le rythme de sa respiration, de sa peur et le poids de sa résolution. On sent les herbes hautes où il se cache, le grillage sur les mains, les cailloux du tunnel qui blessent, la soif, le froid…
La mise en scène, très sobre, donne toute sa place à cette brassée de sensations et d’émotions, soutenue par la musique obsédante de Frank Vigroux. Pas plus que les vidéos ou le jeu des acteurs (Pierre Longuenesse et Christian Lucas), cette musique n’est illustrative, et, pourtant un peu «cinéma», elle donne un support aux images mentales que nous projetons sur la parole entendue.
Un beau travail poétique à ne pas manquer.
Christine Friedel
Spectacle vu à l’Anis Gras à Arcueil.
Et salle Jean Montaru à Marcoussis (91) le 1er avril à 20h30. T : 01 64 49 69 80