Holderlin à la folie

Hölderlin à la folie mise en scène de Jacques Albert-Canque

 

 DSCF7323C’est la troisième fois que le Groupe 33 dirigé par Jacques Albert-Canque crée un spectacle sur Hölderlin. Ces créations furent ensuite reprises à Munich, Tübingen, Francfort, etc. Cela se passe dans la bibliothèque du Goethe Institut de Bordeaux où sont conservés poèmes et lettres de Friedrich Hölderlin qui y habita une longue année, précepteur de la fille du consul d’Allemagne. Il avait traversé la France par les monts d’Auvergne! depuis Iéna sa ville natale où, comme lui, vécurent notamment Goethe et Schiller.
Avec Friedrich Hölderlin, son vieux compagnon de route et de vie, Jacques Albert-Canque réitère ici et avec bonheur l’aventure qu’il avait tentée et réussie avec  un  spectacle sur Büchner, il y a trois ans dans cette même salle du Goethe Institut (voir Le Théâtre du Blog)
  Le grand poète allemand (1770-1843) eut une vie d’abord marquée par la mort de son père, puis de son beau-père, quand il avait deux puis sept ans, et celle de plusieurs de ses petites sœurs et d’un demi-frère. Il fut ensuite hébergé chez Zimmer, un menuisier, et connut une descente mentale aux enfers pendant trente ans avant de s’éteindre doucement… Descente mentale due aussi sans doute aux relations compliquées avec sa mère qui, dit Jacques  Albert-Canque, n’alla même jamais le voir chez Zimmer…
  Dans  un dispositif comparable à celui qui fut utilisé pour la célébration de  Büchner: a une grande table blanche où sont projetées en permanence des lumières vidéo non figuratives, autour de laquelle sont assis six jeunes garçons et filles: Lucas David, Thomas Buffet, Pauline Rousseau, Anastassia Molina, Auguste Poulon, Caroline Ducros, et plus âgés, un acteur allemand Jürgen Genuit qui dira dans la langue d’ Hölderlin quelques extraits de de ses poèmes, et Colette Sardet. ( Le public, une trentaine de personnes étant disposé autour).
Dirigés avec précision et sensibilité par le metteur en scène, il disent avec une grande vigilance et sans aucune emphase, des poèmes du grand écrivain. D’abord le très beau Andenken (Le Vent du Nord-Est), enregistré en voix off et en allemand  : «Il vente du Nord-Est/ Le plus cher qui d’entre les vents me soit, car il prédit  fougue, enthousiasme, et bon voyage aux mariniers. Mais pars maintenant, et salue la belle Garonne et les jardins de Bourdeaux…
P
uis des extraits d’une lettre de Friedrich Hölderlin quand il arrive à Bordeaux en janvier 1802 et des textes de Waiblinger, Bettina von Arnim, et une lettre de Schelling à Hegel: “Depuis un voyage en France qu’il a entrepris sur les recommandations du professeur Ströhlin avec des idées complètement fausses de ce qu’il aura à faire durant un emploi sur place et dont il est aussitôt revenu, car apparemment on lui a présenté des exigences qu’il était incapable de remplir – en partie par incompétence, en partie dû à son hypersensibilité – depuis ce voyage fatal il est complètement détraqué d’esprit, même étant encore capable jusqu’à un certain point de réaliser certains travaux telle que la traduction du grec, mais par ailleurs dans une complète absence d’esprit. Cette observation a été très bouleversante pour moi : il néglige son apparence extérieure jusqu’à l’écœurement et il a adopté, étant donné que ses paroles n’ont rien de déplacé. »
 DSCF7336Mais aussi un beau texte de Jean Laplanche, médecin, psychanalyste, élève puis ami de Jacques Lacan, et auteur avec Jean-Bertrand Pontalis du fameux Dictionnaire de psychanalyse (1967). Vigneron bourguignon du château de Pommard le matin, et écrivain l’après-midi, décédé il y a quatre ans et que l’on avait vu en 2000 dans Les Glaneurs et la glaneuse d’Agnès Varda puis dans Les Glaneurs et la glaneuse …deux  ans après : « Pauvreté, , plus exactement, impression de solitude, tel est le prix dont Hölderlin, délibérément, accepte de payer ce qu’il appelle plus que jamais de ses souhaits, son indépendance : «Je suis donc retourné en toute paix à Iéna pour vivre dans une indépendance dont je ne jouis maintenant que pour la première fois de ma vie ; j’espère qu’elle ne sera pas stérile » (lettre à Hegel). Ainsi le problème est toujours le même que celui qui se posait déjà à Iéna : la transition entre l’adolescence et l’âge mûr, le passage de l’homme à l’autonomie, au règne de la vérité et de la liberté.
Suivra un extrait d’un texte de Pierre Bertaux sur la maladie de Friedrich Hölderlin : “La théorie psychiatrique du double lien jette une nouvelle lumière sur la relation entre Friedrich et sa mère. Selon cette théorie, ce que l’on nomme schizophrénie résulterait d’une relation perturbée entre deux ou plusieurs personnes, l’une d’elles étant désignée comme la victime. Celle qui inflige généralement  la relation de double lien, c’est la mère, et son enfant est la victime. Les messages qu’elle lui destine sont ambigus et contradictoires : d’une part elle l’assure de son affection, de sa tendresse ; de l’autre elle le menace de punition » si tu fais ceci, si tu ne fais pas cela, je te punira ». Ou bien elle le punit effectivement.
Devant cette contradiction, l’enfant ne sait plus que penser et fabrique un comportement particulier, celui de la schizophrénie. Selon Gregory Bateson, (anti-psychiatre fondateur de l’Ecole de Palo Alto vers 1970) il y a un rapprochement à faire entre les symptômes de la schizophrénie et des syndromes «dont la plupart ne sont pas considérés  comme pathologiques comme «l’humour, l’art, la poésie ».

Et aussi et encore un texte du philosophe Guy Karl: “Fou Hölderlin? je demande à voir. Malade, agité, caractériel, hyper-réactif, mélancolique et maniaque, j’y consens. Mais fou? C’est autre chose. En tout cas il n’est nullement dément, là- dessus, le menuisier qui l’a hébergé plus de trente ans est formel, qui l’appelait affectueusement « notre Hölderle », ou « notre cher fritz ». C’était le poète de la maison, leur bien-aimé poète et camarade.
Tout un parcours de vie est ici présenté . Lotte, la fille de Zimmer, quand le maître de maison sera décédé, reprendra les soins avec une attentions touchante et filiale (…)Sa souffrance, son abominable souffrance, il la dissimule derrière ce grimacement pénible, comme pour dire « Mais enfin, laissez moi donc tranquille! J’ai quitté le monde, qui m’a brisé comme un roseau, j’ai tout quitté pour cet asile de sérénité relative et jusques ici, vous venez me persécuter de votre insane curiosité! »

  Jacques Albert-Canque avait prévenu: “Vous verrez, c’est d’une esthétique protestante”. Effectivement, le spectacle/performance est d’une simplicité et d’une rigueur absolue (dramaturgie, diction, lumière, musique (de Jean-Michel Rivet), et pourtant quel bonheur théâtral, à la fois juste et efficace même dans  des conditions rustiques! En quelque soixante minutes, (à l’heure des spectacles-fleuves, cela fait du bien!), Jacques Albert-Canque a monté cet Hölderlin à la folie avec une grande acuité, et on sort de là, avide de connaître davantage ce grand poète dont l’univers a souvent fasciné les metteurs en scène (voir Le Théâtre du Blog), comme entre autres Klaus Michael Grüber, il y a déjà quarante ans, avec son mythique Empédocle
  Ce serait vraiment dommage que cette création jouée seulement quatre fois au Goethe Institut ne soit pas reprise ailleurs, y compris et surtout au Centre Dramatique National de Bordeaux…Il nous semblerait juste que Catherine Marnas puisse accueillir dans de bonnes conditions techniques cette « petite forme », comme disait Antoine Vitez,  mais de grande qualité.

 Philippe du Vignal


Cette performance/spectacle s’est jouée  du 22 au 25 mars au Goethe Institut de Bordeaux

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Archive pour mars, 2016

On écrit sur tout ce qui bouge, sessions d’écriture dans l’espace public

 

On écrit sur tout ce qui bouge, session d’écriture dans l’espace public autour de la future gare Châtillon-Montrouge du Grand Paris Express, conception d’Emma Drouin,  avec le 2ème Groupe d’Intervention

invitations-M-1Amateurs, professionnels, nouveaux arrivants ou habitants de longue date, qui  avons envie de nous frotter à l’espace public, sommes convoqués à la boutique du 2e Groupe d’Intervention, près de la Fabrique des Arts de Malakoff. Emma Drouin, la directrice artistique nous donne les règles du jeu de cette visite, trois heures durant, dans les rues de Malakoff et de Châtillon, dont le paysage va donc  subir une transformation profonde d’ici 2020.
Elle propose des missions ludiques et méthodes d’approche qui aiguisent les regards, précisent l’écoute, stimulent les associations d’idées, réveillent le toucher, et impliquent le corps pour entrer en contact avec les espaces extérieurs.

Emma Drouin nous donne un tablette pour photographier, un calepin et un stylo pour prendre des notes là où elle nous le demandera, et un sac en plastique et des gants pour ramasser les détritus qui révèlent l’insouciance des passants qui les y abandonnent sans scrupule.
Nous la suivons dans le dédale des rues, pour arriver à Châtillon, à proximité de la station de métro. Le café du coin et plusieurs pavillons sont déjà en cours de démolition, nous en  prenons des photos puis Emma Drouin nous emmène à Pôle-Emploi jouxtant un site de la préfecture où les migrants font des queues interminables pour obtenir  leur précieux sésame.
Nous traversons la rue Pierre Brossolette pour suivre le chemin qui longe le métro jusqu’à à une petite rue aux vilains pavillons, et à  une cité voisine en travaux. Il y a un joli Bar de l’Amitié avec une cinquantaine de photos de Johnny Halliday dont le patron à queue de cheval grisonnante est un fan irréductible. Et là, nous devons écrire ce que nous pensons des gens qui remplissent le bar.
Une fois les collectes réalisées (photos, courtes vidéo, écrits, enregistrements, dessins..), Emma Drouin rassemblera l’ensemble pour en composer une cartographie sensible avec exposition, lectures et représentations à la Fabrique des Arts, les 15, 16 et 17 avril.

Edith Rappoport

Prochaines visites  le mercredi 30 mars, les samedi 2 et mercredi 6 avril à 10 h, 13 h, 14 h 30 et 17 h 30.21 bd de Stalingrad 92240 Malakoff
www.deuxiemegroupe.org

 

Le Prince travesti, de Marivaux

 

Le Prince travesti, de Marivaux, mise en scène Daniel Mesguich

 

le-prince-travesti-de-marivaux-par-daniel-mesguichVoici une comédie, ou tragicomédie, ou fantaisie shakespearienne, écrite par un auteur très français, jouée par les comédiens italiens de Paris, et qui se passe à Barcelone. Tout cela neuf ans seulement après la mort de Louis XIV : Le Roi est mort, vive la liberté des formes, sinon des représentations (l’opéra et le Théâtre Français exerçaient un strict monopole) !

Donc, nous avons en présence : une princesse régnante, jeune et belle, sa suivante, veuve tout aussi jeune et belle, à la fois désabusée du mariage et amoureuse en rêve d’un mystérieux inconnu qui l’a sauvée des brigands ; ce seigneur (incognito) pourrait bien être l’objet aimé des deux belles. Ses « rivaux » : un ambitieux avide et cruel, un ambassadeur qui pourrait bien être roi… Le valet et la servante sont là pour rappeler que la vraie vie est aussi un question de plaisirs bien terrestres et d’argent en suffisance. Le Prince Travesti fait écho à certains éléments de sa pièce précédente, qui est un chef d’œuvre, La Double inconstance, mais le ton est différent. Marivaux renoue ici avec l’esprit des comédies de Corneille et même avec Le Cid. Le personnage de la Princesse, plus central que dans la pièce de Corneille, a une certaine ressemblance avec son ancêtre : elle penchera du côté de la politique et de l’honneur, au détriment de son inclination. Malgré la tentation, elle ne confond pas amour et politique, comme le fera la Léonide du Triomphe de l’amour. Hortense, la jeune veuve, rivalise avec celui qu’elle aime de générosité et d’honneur : le croyant pauvre, elle se déchire le cœur pour le donner à la princesse qui fera sa fortune… Et pendant ce temps, l’ambitieux Frédéric au faux air de Malvolio (voir La Nuit des Rois, de Shakespeare) organise ses petites délations et trahisons et ses grands mensonges, pour finalement tout perdre, face à un assaut général de noblesse et de générosité.

Il y a quelques années, le très jeune Daniel Mesguich avait ébloui la critique avec une Prince Travesti démultiplié, insolent, d’une incroyable vitalité. Il cassait les personnages, il cassait le fil (embrouillé) de l’intrigue pour mieux en montrer les ressorts, théâtraux et humains. Aujourd’hui, il ne résiste pas davantage à la tentation des miroirs déformants, des masques et dominos, dans le colin-maillard inquiétant d’un carnaval à huis clos. Mais il nous laisse dérouler notre fil, bien tendu, et nous attacher aux personnages, avec leur surprenante face cachée. Si, dès le début, un Arlequin claironnant (Alexandre Levasseur) et un Frédéric au vinaigre (William Mesguich) ne donnaient le contrepoint humoristique, on serait en plein «drame gothique». En vérité, on en arrive à craindre pour le personnage d’Hortense (Sterenn Guirriec), face à la puissante princesse (Sarah Mesguich).

Daniel Mesguich a choisi un style de jeu appuyé, mais au bon endroit, excessif comme le veut cette fantaisie hispanisante. Dans un grand cadre doré, il enferme ce théâtre du monde en rouge et noir, aigu, cohérent, et qui finit par se réduire aux dimensions d’un castelet… Il éclaire violemment ce jeu mélancolique de coups de projecteurs croisés comme des épées : ça marche. Hors des modes, il nous donne un spectacle bien joué, drôle souvent, inquiétant parfois, qui vaut le voyage.

Christine Friedel

Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 10 avril. T:  01 48 08 39 74

 

Le Monde de Harms

Le Monde de Harms mise en scène de Maxim Didenko

1111 (1)Sur les murs du Gogol Center à Moscou, on lit des citations de Peter Brook, et d’Anatoli Vassiliev et Oleg Efremov, metteurs en scène russes. Ce beau lieu de Moscou comporte cafétérias, librairie, médiathèque, deux salles de spectacle, et espace vidéo qui retransmet les extraits des dernières créations. Kirill Serebrennikov, son directeur artistique, vient d’y présenter Matériau Müller, un spectacle promis à un bel avenir, peut-être en Europe.
  Maxim Didenko, un metteur en scène de Saint-Petersbourg, propose ici une adaptation des textes de Daniil Harms, comme Bob Wilson en 2013 avec The Old woman, au Théâtre de la Ville à Paris (voir Le Théâtre du blog). Référence gênante : les comédiens  sont maquillés de la même manière, avec visage blanc et lèvres rouges. Avant la représentation, au bar, un acteur de la troupe présente Daniil Harms au public.
Monter au théâtre Daniil Harms n’a rien de simple, son univers absurde peut résister à certaines formes de représentation.
Ce cabaret, avec des musiciens sur le plateau, et des comédiens avec micro HF, tourne autour du personnage du professeur Trubochkin et de ses élèves. Des praticables servent de petites scènes pour les  sketches mais les déplacer alourdit un rythme qui a du mal à s’imposer, du moins au début, malgré l’énergie des jeunes acteurs qui savent jouer, chanter, danser comme leurs homologues anglo-saxons. Et avec une unité de jeu remarquable, en particulier dans les scènes de groupe.
 Peu à peu, le tempo s’accélère: Le Monde de Harms se transforme en comédie musicale colorée, dynamique et folle. Une curieuse chanteuse chinoise fait parfois irruption, créant ainsi un décalage bienvenu dans une réalisation où le metteur en scène n’a pas peur d’utiliser les artifices de la pantomime. Cette pièce, au répertoire du Gogol Center, draine un  public jeune et enthousiaste  et témoigne, une fois de plus, de la vitalité du théâtre à Moscou.

Jean Couturier

Spectacle vu le 19 mars au Gogol Center. Gogolcenter.com        

La Musica, La Musica Deuxième

La Musica, La Musica Deuxième (1965-1985) de Marguerite Duras, mise en scène d’Anatoli Vassiliev

 

La MusicaLa Musica, courte pièce, écrite pour la B.B.C. et publiée en 1965, fut reprise vingt ans plus tard par son auteure qui la compléta avec un seconde version, La Musica Deuxième.  Nous considérons la musique en général comme l’art suprême, ayant à voir avec le temps et les jours qui passent. Nouant entre elles les correspondances poétiques et croisant les univers sensibles et sensoriels, spirituels et mystiques, elle «donne une forme au silence», disait Georges Braque.
La pièce de Marguerite Duras, à la fois, théâtre et poésie, envahit le silence intérieur d’un couple, Françoise Viala  et Thierry Hancisse qui incarnent ici les époux au bel amour défunt  mais ont tous les deux  l’expérience de vie.

Ils jouent, et sont ici en même temps des êtres sensuels à l’émotion vive, investis par le pouvoir mystérieux de la mélodie de l’art d’aimer-sa souffrance-un souffle créateur enchanteur au-delà des enfermements crispés.
Le grand metteur en scène russe Anatoli Vassiliev s’est amusé sur trois heures trente avec sa gravité et sa concentration coutumières, de l’ordonnancement répétitif et insistant, telle la marée de l’océan, de La Musica et de La Musica Deuxième qui fait chanter la maladie d’amour lancinante de jeunes gens qui se sont aimés, puis se séparent, et à travers l’acte officiel de non-retour qu’est la prononciation d’un divorce, se retrouvent un peu vieillis…
Le mal diffus d’aimer touche profondément les anciens amants et amoureux de toujours. Une dernière fois, ils se revoient, incapables d’en finir, à l’hôtel de France à Évreux où ils résidèrent avant de se replier dans une maison.
L’admirable scénographie d’Anatoli Vassiliev et Philippe Lagrue donne au public l’impression qu’il se trouve, comme les comédiens, au plus profond d’un puits vertigineux où l’homme et la femme se trouvent comme prisonniers, tombés dans l’abîme des fonds infernaux d’un entonnoir gigantesque, tandis qu’autour d’eux, se dressent de hauts murs s’élevant vers le ciel et la lumière, avec l’espoir de pouvoir respirer respirer l’air d’une vie libre.
Entre les deux versions, une large volière transparente et rectangulaire descend des cintres, frayant avec les secrets et les mouvements intérieurs des âmes déchues, avant de remonter vers les courants d’air et le salut céleste du firmament ouvert. Un escalier étroit de bois semble contourner le mur du lointain, grimpant sur le chemin escarpé d’une montagne qui vire encore dans les hauteurs. La volière décrit un aller-retour entre les troubles privés du cœur infernal et le désir d’absolu.
Des roucoulements d’oiseaux n’en finissent pas de dérouler les notes joyeuses d’une danse amoureuse: appels, réponses, défis et accords sonores des alliances.
Les costumes sobres de Renato Bianchi et le jazz évoquent les années 1970-80,  la vie nocturne des boîtes de nuit à Saint-Germain-des-Prés, et un mobilier en bois des années 50 avec bar, écrin pour bouteilles d’alcool à ne plus savoir qu’en faire:  décorer les lieux ou remplir les verres?
Les complices s’assoient selon leur humeur sur des chaises en bois, tous styles et tous genres confondus, éparpillées comme par mégarde, et racontent leur existence présente et passée. Mystérieux, ils empruntent régulièrement les deux escaliers de l’hôtel, descendant en colimaçon dans des caves insoupçonnées, d’où resurgissent, en alternance – la montée après la descente – les mêmes rôles éternels: amants et aimés, oublieux et oubliés. Savoir aimer consiste à laisser l’autre libre, hors de ses propres exigences, et à lui permettre de prendre son envol loin de soi, ce qui revient à le garder près du cœur.
Une belle traînée scénique d’or, savante et raffinée, sur les fins poétiques inabouties et dès lors toujours réinitialisées des amours immuables.

 Véronique Hotte

 Théâtre du Vieux-Colombier,  Paris jusqu’au 30 avril. T : 01 44 39 87 00/01.

Cabaret Léo Ferré

Cabaret Léo Ferré, direction artistique de Claude Mathieu, direction musicale et arrangements de Benoît Urbain

 

Crédit Photo : Vincent Pontet coll. Comédie-Française

Crédit Photo : Vincent Pontet coll. Comédie-Française

«Je mélange des paroles et de la musique», dit Léo Ferré, citant Georges Brassens qui parle avec une humilité rare de l’art poétique. «Il y a des gens qui reçoivent d’abord la musique, d’autres qui reçoivent d’abord les paroles», ajoute Léo Ferré pour qui la poésie va dans la rue grâce à la musique. Pour les non-initiés, ce passeur pudique de l’amour libre et absolu évoque  La Mélancolie de Baudelaire mais cite aussi Greta Garbo dans La Reine Christine, le Charlot de Charlie Chaplin et la Léopoldine de Victor Hugo : un beau terreau populaire, sonore, et culturel.
L’envol libertaire d’une chanson comme L’Anarchiste suit le parcours difficultueux d’un exilé, en décalage marginal avec l’existence, exigeant de la vie, une reconnaissance digne :« J’suis ni l’œillet ni la verveine / Je ne suis que la mauvaise graine / Qu’on a semée comme un caillou / sur un chemin à rien du tout… »

Une reconnaissance pour tous auxquels est lancée dans un geste visionnaire l’insolence civique des Indignez-vous. Lutter contre L’oppression, le mot d’ordre résonne étrangement à nos oreilles : «Ces mains bonnes à tout même à tenir des armes / Dans ces rues que les hommes ont tracées pour ton bien / Ces rivages perdus vers lesquels tu t’acharnes / Où tu veux aborder / Et pour t’en empêcher / Les mains de l’oppression. »
Léo Ferré  qui ne supporte ni dieu ni maître dialogue avec l’autre (lui-même encore), un parmi tant d’autres de la communauté des hommes qui aiment contre ceux qui n’aiment pas, et le troubadour se souvient des vers d’Aragon : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ?… / Moi qui moi-même me trahis / Moi qui me traîne et m’éparpille… / Dans les bras semblables des filles / Où j’ai cru trouver un pays. »  

  Explorer l’âme et ses mouvements secrets – la capacité à s’émouvoir, l’aptitude à ressentir l’indicible -, un désenchantement sourd, des regrets amers et une tristesse douce qui naissent de souvenirs diffus et d’émotions ancrées, Cette blessure même, « Comme un soleil sur le mélancolie / Comme un jardin qu’on n’ouvre que la nuit… / Comme une porte ouverte sur la mort / Cette blessure dont je meurs. »
Si le poète et chansonnier quitte la vie à son heure, ce sera pour descendre un soir dans l’enfer de Monsieur Dante, un paquet de Celtiques vide sur la table. Décidément, Les Poètes sont de «drôl’s de typ’s qui traversent la brume / Avec des pas d’oiseaux sous l’aile des chansons. » Entre ombres et silences, lois du mystère.
Claude Mathieu a dirigé ce Cabaret Léo Ferré, de façon à la fois éclairée et attentive,  avec Benoît Urbain, au piano et à l’accordéon, qui a aussi assuré les arrangements et la direction musicale, Paul Abirached à la guitare, Olivier Moret à la contrebasse et Alain Grange au violoncelle.

  Entre chant, et parlé/chanté, avec des intonations d’historiette ou de mélodrame,  le spectacle possède la gravité d’un poème symphonique, avec paroles jetées en invectives, pleurs et murmures. Autour du piano de Benoît Urbain, ces chanteurs que sont aussi Serge Bagdassarian, Alexandre Pavloff, Véronique Vella, Julie Sicard, Pauline Clément, Martine Chevallier et Christophe Montenez, font surgir toute la force poétique et humaniste de Léo Ferré. Ils savent, chacun à leur tour ou dans un désordre savants, être ses interprètes avec, à la fois éclat, sensibilité et retrait.
Un écran de ciel bleu s’ouvre et la vidéo de Matthieu Vassiliev laisse apparaître parfois le visage de Léo Ferré…

 Véronique Hotte

 

Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Paris, jusqu’au 8 mai. T: 01 44 58 98 58.

 

 

Max Black de Heiner Goebbels

Max Black d’Heiner Goebbels, en russe, (surtitré en anglais)

IMG_0013A la différence de Paris, de nombreux théâtres moscovites sont des lieux de vie ouverts au public.Dès la fin de la matinée, une cafétéria, une librairie, un espace d’exposition et de projection, une ou deux salles de spectacle vous y accueillent, et l’on s’y donne rendez-vous comme dans un café.
L’Electrotheatre Stanislavski, inauguré en janvier 2015, après une transformation architecturale réussie à partir d’un ancien cinéma construit en 1915, occupe une place importante dans la vie culturelle moscovite. Après la Révolution, il servit d’espace de travail à Konstantin Stanislavski et propose aujourd’hui une riche programmation de théâtre contemporain et de nombreux événements artistiques.
  L’auteur et compositeur allemand Heiner Goebbels y présente, en langue russe, une pièce de théâtre musical datant de 1998. Il a gardé la scénographie d’origine, identique à celle du monologue  mis en scène aux Bouffes du Nord, en 2012, avec André Wilms (voir Le Théâtre du Blog). Un vaste espace avec, au fond, un piano et, au centre, un bureau encombré d’objets dont une  cafetière, des tubes à essais, une loupe et une lampe. Derrière le bureau, un grillage et, à cour, un vélo retourné. Au-dessus de la scène, pendent des aquariums rectangulaires vides ou emplis d’objets hétéroclites comme, entre autres, un geai naturalisé. Le tout évoquerait la salle des ventes lors de la succession d’André Breton.
Dans ce monologue entrecoupé de multiples expérimentations pyrotechniques dignes du Palais de la découverte, le comédien dit des textes de Paul Valéry, Ludwig Wittgenstein ou Max Black, philosophe et mathématicien américain. On pense à La Dernière Bande de Samuel Beckett et au Réformateur de Thomas Bernhard. Les lumières qui isolent des moments de jeu et la musique d’Heiner Goebbels, interprétée en direct, complètent brillamment cette divagation surréaliste.
Alexandre Panteleev, en blouse de vendeur de légumes, est exceptionnel, avec une présence à la fois inquiétante et sympathique; comme un parent proche un peu dément, il nous fait partager avec une réelle proximité, son laboratoire de musique et de mots. Le tout favorisé par un bon rapport scène/salle, dans un lieu de deux cents places.
Ce texte fonctionne très bien en russe, ce qui nous prouve, une fois de plus, l’universalité du langage théâtral (même si le surtitrage n’est pas toujours aisé à suivre…)  Max Black d’Heiner Goebbels a précédé de quelques jours les représentations d’une pièce de Romeo Castellucci, dans ce théâtre dont le public, plutôt jeune, est donc gâté !

Jean Couturier

Electrotheatre Stanislavski Moscou, du 15 au 17 mars.

www.electrotheatre.com

        

Livres

 

Zaïre de Voltaire, édition de Pierre Frantz

   product_9782070356904_195x320En transportant son lecteur en Palestine à l’époque des croisades, Voltaire écrit une des tragédies les plus touchantes du XVIIIème siècle,  avec, comme thème, l’amour partagé d’Orosmane, le sultan tout-puissant, musulman qui règne sur le royaume de Jérusalem, pour Zaïre, une esclave chrétienne de son sérail. S’efface alors dans les vertus de l’amour, une passion réciproque à la force transgressive, dit Pierre Frantz, selon une sorte de dialectique du dépouillement. Zaïre, peu intéressée par le pouvoir et l’apparence, confie à son amie : « Mon cœur aime Orosmane, et non son diadème /Chère Fatime, en lui, je n’aime que lui-même. »
À travers Zaïre, dit aussi Pierre Frantz, Voltaire tend à faire contraster «les mœurs des Mahométans et celles des Chrétiens», selon les mots du dramaturge. Comme Galland ou Montesquieu, entre autres écrivains prestigieux, Voltaire est attiré par l’Orient: Perse,  Turquie, Syrie et Palestine.
ZadigEssai sur les mœurs et Mahomet témoignent de points de vue différents. La pièce s’oppose aux stéréotypes orientaux fréquents: le mot sérail suggère en effet des images de luxure mais ici, le sultan, fidèle et vertueux, refuse la polygamie, éloigne les eunuques, ouvre le sérail, et traite avec respect celle qu’il aime.
Voltaire fait de cet Orosmane, non un despote oriental invincible mais un « Turc généreux », victime de sa passion, mais surtout du fanatisme chrétien, et son audace, dit Pierre Frantz: avoir opposé à l’Orient, les croisés français, et avoir ouvert des voies de renouvellement des thèmes de la tragédie  en  «faisant paraître, pour la première fois, des Français sur la scène tragique. » (…) «Au-delà de l’histoire d’amour, le tragique est au creux de cette tension entre la poésie d’un monde révolu, d’un théâtre d’illusions fanatiques, porteuses de mort, et les espoirs d’une rationalité moderne, profondément humaine.»
On a souvent rapproché l’oriental Orosmane, d’Othello, le Maure de Venise tel que l’a imaginé William Shakespeare, source non revendiquée par Voltaire. Et Hamlet pourrait aussi l’avoir inspiré pour peindre Lusignan, le spectre du père de Zaïre, longtemps resté prisonnier qui revient d’entre les morts, voix déchirante et peut-être trompeuse, qui condamnera les jeunes héros à une mort tragique.
En fait, Voltaire met ici en scène des idées et images questionnant l’intrication du religieux: les lois de l’Église, et  du pouvoir politique: les préjugés nobiliaires, avec un  drame comme Zaïre qui oppose des sentiments universels comme l’amour, aux lois relatives de la société et à celles de la religion.
Il confronte dans cette pièce les mondes islamique et chrétien, en plaçant en face du pouvoir légal et de la religion, la simple humanité…

 Véronique Hotte

La pièce est publiée aux éditions Gallimard, Folio Théâtre n°166. 6,50 €.

Kakolampoe, un théâtre école plurilingue dans  les Guyanes de Pierre Chambert

 kokolampoe Avec un peu de retard, dû au fait que nous nous l’étions fait « emprunter », nous rendons compte de ce beau livre qui suscite avec raison, les convoitises, et où Pierre Chambert, ancien inspecteur du théâtre au Ministère de la Culture, parle avec passion et clarté de ce territoire artistique français situé à Saint-Laurent-du-Maroni 100.000 habitants… à quelque 6.000 kms  de la métropole.
   Un des bâtiments, au Camp de la Transportation dans le bagne de Saint-Laurent-du-Maroni,  lieu de souffrance et de désolation sous un climat des plus tropicaux, maintenant classé monument historique, a été attribué à Serge Abatucci et Ewlyne Guillaume, comédiens et metteurs en scène,  directeurs de la compagnie Ks and Co et du Théâtre Ecole de Kololampe.
« Il y eut, dit Pierre Chambert, dès le début de l’installation d’Ewline et Serge, une conjonction des volontés des artistes, d’un homme politique et de l’administration, avec un fibre sensible. Les ingrédients de base des grands projets artistiques, tel Avignon bien sûr, et tant d’autres. »

 Quelque treize ans plus tard, avec un contrat  de scène conventionnée, existe maintenant un lieu théâtral comprenant deux salles de spectacles, et des locaux pour les bureaux et ateliers techniques. Avec un festival annuel, où «on mélange théâtre francophone, ouvertures européennes et travail sur le multilinguisme», et une école née il y a quatre ans, pour comédiens et techniciens de théâtre.
Avec, comme partenaires en métropole, l’Ensatt à Lyon et  le Centre de formation professionnelle aux techniques du spectacle de Bagnolet qui peuvent apporter, au besoin, un soutien logistique.
Pierre Chambert, très au fait des questions de pédagogie, insiste sur le rôle important de ce lieu d’enseignement dans un contexte où il a fallu imaginer un type de théâtre fondé sur d’autres codes relationnels avec des élèves dont certains n’ont jamais fréquenté une école… Pari à la fois difficile mais passionnant et formidablement fécond dans un territoire où les notions de temps (climat tropical imposant d’autres normes de travail) et d’espace (département gigantesque). Et où il faut faire avec un multilinguisme évident: créolophones: 60%,  francophones: 15%, et vingt-cinq groupes ethniques parlant chacun leur langue. Mais où on dispose de nombreux atouts artistiques , et notamment musicaux qui, on le sait sont très fédérateurs.
  Dans ce cas, que l’on soit metteur en scène et/ou enseignant, mieux vaut donc avoir comme dit Pierre Chambert, une posture modeste… et patienter, observer, apporter ses outils mais prendre le temps, si l’on veut réussir un échange fructueux. Ont ainsi été créés avec savoir-faire et détermination des spectacles comme entre autres L’Os de Mor Lam de Birago Diop, Les Bonnes de Jean genet, mais aussi Le Songe d’une nuit d’été, ou une adaptation de L’Iliade en 2012. Et dont certains ont été joués aux Antilles, au festival d’Avignon, etc. 
  Impossible de tout détailler de ce livre riche et assez touffu (parfois même un peu trop) mais qui donne une très bonne idée de cette exceptionnelle aventure théâtrale. Pierre Chambert a consacré le dernier chapitre aux possibilités professionnelles des élèves de l’école Kokolampoe dont la première promotion est sortie l’an passé. Certains ont déjà joué dans des spectacles et les élèves techniciens ont aussi été en immersion professionnelle, ou préfiguration d’emploi. La compagnie de Serge et Ewlyne ne pouvant évidemment accueillir tout le monde mais visiblement très attentive au devenir, comme aux résultats de cette expérience, et tout à fait spécifique  au département de la Guyane.
Mais, comme le dit avec lucidité, Jacques Martial, bien connu en métropole, et qui intervient souvent à l’Ecole : «Ce qui se passe là, est tout à fait exemplaire, en termes artistiques, humain, projet. J’espère que le Ministère de la Culture en sera extrêmement fier. Comment, à partir d’un projet de théâtre, artistique, ouvrir soudain sur la question de l’éducation, du vivre ensemble, de la culture, de la rencontre de l’autre. »

  C’est finalement  tout ce que raconte ce beau livre doté de magnifiques photos et qui nous apprend beaucoup.

 Philippe du Vignal

Le livre est paru aux éditions L’Entretemps distribution Interforum. 20 €
 

La Princesse de Montpensier de Madame de Lafayette

 Princesse de MontpensierAvec l’Histoire moderne en toile de fond, la nouvelle historique innove; ainsi, les Nouvelles françaises (1656) de Segrais, » »sont marquées par les péripéties dans un cadre mondain», selon Marjolaine Forest.
 La Princesse de Montpensier s’inscrit dans ce genre en 1662, marquant des débuts prometteurs pour ce genre de récit qui allie subtilement Histoire et romanesque. Ecrit un siècle après la nuit de la Saint-Barthélemy (1572), ce roman dresse un parallèle troublant entre guerres de religion et tourments de l’amour.
 La Princesse de Montpensier prépare le chef-d’œuvre à venir que sera La Princesse de Clèves, que nous pouvons voir actuellement dans la mise en scène de Magali Montoya. Le mouvement littéraire et artistique du classicisme qui débute vers 1660 et s’achève  quelque trente ans plus tard, à l’apogée du règne de Louis XIV, s’appuie sur une capacité de penser et d’observer le monde,  mais aussi l’autre et soi.
On conçoit alors l’œuvre d’art dans sa permanence, avec un souci de vérité de la nature humaine et avec la nécessité de règles pour exprimer la beauté du monde et la question de la place de l’être dans ce monde.  Ce qui attribue une mission éthique à l’art, avec  le rêve d’une excellence liée à une exigence morale.
La Princesse de Montpensier a pour cadre la Cour de Charles IX, et se déroule entre le mariage de la princesse (1568, et le massacre de la Saint-Barthélemy (1572), au moment d’une Renaissance finissante et d’un maniérisme baroque qu’illustre à merveille le Portrait de Brigida Spinola Doria (1606) de Pierre-Paul Rubens. Splendide tableau de la marquise italienne à l’extraordinaire beauté qui frappa les esprits et les regards. Comme  l’apparition à la cour en 1570, de la Princesse de Montpensier dans ce roman. Agnès Verlet précise :  « Au-delà de sa beauté et des apparences, l’écrivain met au jour les sentiments contradictoires et contrariés de cette belle personne en la montrant aux prises avec les passions amoureuses, les intrigues de cour et les violences des guerres. »

  Madame de La Fayette brosse une  fresque où apparaissent de violents conflits entre catholiques et protestants,  avec en surimpression, les histoires de cœur de mademoiselle Mézière, alors amoureuse du duc de Guise, devenue princesse de Montpensier  après un mariage de raison.
Passion restée intacte trois ans plus tard quand les anciens amants se rencontrent par hasard…  La princesse est déchirée entre l’amour absolu qu’elle porte au duc, et la fidélité morale à son époux. Avec une écriture vivante et très moderne, Madame de La Fayette explore ici, à merveille  et bien au-delà de son époque, les âmes et les cœurs.

 Véronique Hotte

Le texte est publié aux éditions Gallimard, avec un dossier de Marjolaine Forest, lecture d’image par Agnès Verlet, Folio plus Classiques n°276.  3,50 € .
  La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette, spectacle  créé dans la mise en scène de Magali Montoya, au Théâtre National de Bretagne à Rennes, en février, est repris à L’Échangeur de Bagnolet jusqu’au 26 mars. . T : 01 43 62 71 20. (voir prochainement l’article de Christine Friedel dans (Le Théâtre du Blog).

Les Enivrés

Les Enivrés d’Ivan Viripaev, traduction de Tania Moguiliskaïa et Gilles Morel, mise en scène de Philippe  Clément

enivris01Politiquement incorrecte, cette pièce devrait faire frémir les ligues antialcooliques : elle met en scène quatorze  personnages, saouls,  qui ont bu sans modération pour arroser qui, un enterrement de vie de garçon, qui, des retrouvailles entre vieux amis, qui, un vernissage. Sans être ivres morts, ils ont atteint un état où l’équilibre est difficile à trouver et où la parole se fait répétitive.
Ce qui offre aux comédiens la possibilité d’un superbe travail de composition.
Ivan Viripaev montre ici, sauf une jeune prostituée, des bourgeois plus ou moins aisés et d’âge différent qui, à ce degré d’ébriété, n’ont plus d’inhibition, dépassent les limites de la bienséance, sincères avec les autres et avec eux-même ! L’occasion d’exprimer leur solitude, leur angoisse de la mort et leur besoin d’amour ou de Dieu… Sans préciser que ses personnages sont russes, l’auteur sous-entend l’importance de la religion aujourd’hui dans son pays. Ils évoquent, avec familiarité et sans respect, un dieu, transcendant ou plus personnel. «Hé, Mark ?…Tu serais pas Jésus-Christ ? « demande Rosa à son compagnon. « Oui », lui répond-il.
L’action ménage sur une seule nuit, des chassés-croisés entre personnages de divers milieux. Ce qui crée des situations inattendues à fort potentiel satirique. L’auteur brosse avec malice le portrait d’une société pourrie, en manque de spiritualité.  Les pochtrons raisonnent plutôt par l’absurde!
Philippe Clément  qui est aussi un des acteurs, a su mettre en évidence les ressorts de cette comédie dont certains épisodes loufoques déclenchent les rires. Il a choisi de laisser le plateau nu, avec seulement quelques praticables, et de projeter sur grand écran certaines scènes comportant décors et accessoires. Ces images en noir et blanc évoquent des films réalistes de l’époque soviétique ! Neuf comédiens se partagent les rôles sans sur-jouer. Ils trébuchent, chaloupent puis tombent, tels des  danseurs.
Mais la mise en scène manque parfois de finesse! Pourquoi certains personnages ont-ils un accent germanique? Pourquoi en a-t-il fait des êtres grotesques?  Alors qu’ils assurent le passage entre l’humain et le divin, le terre-à-terre et le spirituel !

Elyane Gérôme

Théâtre de l’Iris, 331 rue de Préssensé, Villeurbanne jusqu’au 26 mars, relâche le 24. Théâtre des Pénitents, Montbrison (42) en novembre prochain.
Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.

 

Par delà les marronniers

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Par delà les marronniers
, revu(e), texte et mise en scène de Jean-Michel Ribes

Jean-Michel Ribes a vingt-cinq ans, quand il  découvre en 68 quelques  livres de ces formidables poètes, dadaïstes avant la lettre, que furent Arthur Cravan, Jacques Vaché et Jacques Rigaut, nés à la fin du XIXème siècle qui eurent une courte vie mais bien remplie.  Rebelles aux idées reçues, iconoclastes, ils ont eu un parcours personnel  qui tient aussi d’une œuvre poétique et finirent tous les trois tragiquement.
Arthur Cravan, de son vrai nom Fabian Lloyd, taille: deux mètres, poids : 105 ks, poète non conformiste et boxeur était né à Lausanne en 1887 que l’on connaît mal et plus souvent de nom, neveu d’Oscar Wilde. »Non content durant la guerre d’avoir réussi à être le déserteur de plusieurs pays, dit André Breton, (qu’il a influencé), il s’efforcera encore d’attirer sur sa personne l’attention et les désapprobations les plus tumultueuses ». De 1909 à 1914, il  vit à Paris, devient champion de France des mi-lourds en 1910 et crée la revue Maintenant qu’Il rédige entièrement et dont il vend les cinq numéros parus dans la rue.
Il se proclame poète mais avec une rare insolence : « Je voudrais être à Vienne et à Calcutta, Prendre tous les trains et tous les navires, Forniquer toutes les femmes et baffer tous les plats, Mondain, chimiste, putain, ivrogne, musicien, Ouvrier, peintre, acrobate, acteur… : Je suis toutes les choses, tous les hommes et tous les animaux ! », « moi à qui il suffit d’un air de violon pour me donner la rage de vivre; moi qui pourrais me tuer de plaisir; mourir d’amour pour toutes les femmes; qui pleure toutes les villes, je suis ici, parce que la vie n’a pas de solution ».
 Provocateur, Arthur Cravan, préfigure dada et insulte les écrivains, dont André Gide qu’il ne supporte pas, l’art,  les artistes officiels, et ceux du Salon des Indépendants. Il tire des coups de revolver avant ses conférences. Déserteur en 1916, il s’enfuit à Barcelone puis aux Etats-Unis où il écrit Notes que révèlera André Breton-et enfin au Mexique où il vit une passion avec Mina Loy, peintre et écrivain. Il disparaît seul sur une barque en mer en 1918. Il avait trente et un ans…

 Jacques Vaché, lui aussi eut une courte vie; né en 1985, combattant blessé à trente ans, il écrivit quelques textes,  se mit au dessin pendant sa convalescence mais influencera les surréalistes. Il écrit aussi depuis le front des Lettres de guerre, en particulier à André Breton, lui aussi combattant, interne en neurologie : « Sans lui, dit Breton, j’aurais peut-être été un poète ; il a déjoué en moi ce complot de forces obscures qui mène à se croire quelque chose d’aussi absurde qu’une vocation. »
Intransigeant, Jacques Vaché proclame sans détours : «L’art est une sottise – Presque rien n’est une sottise – l’art doit être une chose drôle et un peu assommante – c’est tout […] D’ailleurs – l’Art n’existe pas, sans doute – Il est donc inutile d’en chanter – pourtant : on fait de l’art – parce que c’est comme cela et non autrement – Well – que voulez-vous y faire ? » Il meurt avec un ami dans un hôtel de Nantes d’une surdose d’opium. Il avait trente-quatre ans.
  Jacques Rigaut né en 1895, lui, mènera sa vie comme en accéléré. En 1916, devançant l’appel, il s’engage dans l’armée, puis de retour à Paris, il fréquente les milieux littéraires, devient l’ami de Drieu la Rochelle qui fera de lui le héros de son roman Le Feu Follet, devient le secrétaire du peintre Jacques-Emile Blanche et publie Propos amorphes.
Il rencontre aussi les dadaïstes qu’il fascinera, puis rejoindra Tristan Tzara. Sans argent, il consomme cocaïne et opium, épouse en 1926 Gladys Barber, une jeune et riche Américaine qui le quittera à cause de sa toxicomanie. Il vit ensuite misérablement à New York puis rentre à Paris en 1928. Il considérait le suicide comme «l’un des Beaux-Arts, forme suprême de mépris à l’égard de la vie», et se tuera logiquement d’un coup de revolver un an plus tard.  En poète averti, il avait prévenu  : «Essayez, si vous le pouvez, d’arrêter un homme qui voyage avec son suicide à la boutonnière. » Mort comme Jacques Vaché à trente-quatre ans !

 Dans la série télévisée américaine Esprits criminels, dont tous les épisodes commencent et se terminent par une citation, l’épisode 4 de la saison 1, Les Yeux Dans Les Yeux commence par cette belle citation du poète : « N’oubliez pas que je ne peux pas voir qui je suis, et que mon rôle se limite à être celui qui regarde dans le miroir ».
 Mais bizarrement, il semble que ces trois poètes météores du même âge,  aux positions  artistiques si proches  , et au même destin tragique, ne se soient pas connus. On comprend aussi la joie qu’a eu, à les découvrir, le tout jeune metteur en scène Jean-Michel Ribes : «Je les ai rencontrés dans la fraîcheur de mai 68, au fond d’une librairie, attiré par le titre de deux petits ouvrages Lettres de guerre de Jacques Vaché et J’étais cigare d’Arthur Cravan.» Il fera, « en pénétrant par effraction dans leur œuvre», une première ébauche d’un spectacle au festival du Marais en 1972.
  Jean-Michel Ribes a repris ce spectacle sous la forme d’une revue de music-hall 1920. En cinq tableaux, La Guerre, L’Amour, L’Art, L’Ennui et La Mort, et, avec trois solides comédiens comme Michel Fau (Arthur Cravan), Maxime d’Aboville (Jacques Vaché) et Hervé Lassince (Jacques Rigaut),  et cinq girls, Sophie Lenoir, Alexie Ribes, Stéphane Roger et Aurore Ugolin qui jouent aussi de nombreux personnages.
 Résultat mitigé : le spectacle soigné, démarre plutôt bien; Michel Fau, est, comme toujours, vraiment remarquable et impose avec ses camarades, tous les trois en habit blanc, les aphorismes et les phrases provocatrices des célèbres poètes. Sous les belles lumières de Laurent Béal et avec la musique de Reinhardt Wagner, on peut se laisser embarquer par cette évocation réalisée à coup d’extraits de textes soigneusement tricotées et mis en scène par Jean-Michel Ribes.
Mais cela ne dure pas très longtemps, et la scénographie vraiment très laide, avec des praticables et escaliers qui encombrent le plateau, dessert le spectacle. Et, dans cet espace limité, les pauvres girls ont bien du mal à s’imposer… Le spectacle, qui ne dure pourtant que quatre-vingt dix minutes, traîne en longueur; les poèmes et textes semblent alors perdre leur charge explosive, surtout avec des micros HF!…. Alors que cela aurait pu être un festival d’insolence mais sous une autre forme, sans doute plus simple et moins conventionnelle que cette revue qui correspond mal à l’âme de ces poètes disparus il y a presque un siècle déjà.
En fait, cette célébration, avec un spectacle participant du music-hall, soigné mais conventionnel et un peu guindé comme les hommages à…) était sans doute une fausse bonne idée et une mission impossible. Dommage…  

Philippe du Vignal

Théâtre du Rond-Point, Paris jusqu’au  24 avril. T: 01 44 95 98 21.

 

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