Les Créanciers

Les Créanciers d’August Strindberg, mise en scène de Frédéric Fage

  LES CRÉANCIERS 17 © La Cabane Aux FéesCette tragi-comédie (1889) et huis-clos infernal entre trois personnages s’inscrit, avec Camarades (1886) et Mademoiselle Julie (1888) dans le cycle naturaliste du dramaturge suédois.
Avec toujours comme thèmes, la jalousie, la vengeance et le calcul, indissociables chez lui de l’amour conjugal. Et, omniprésents dans son théâtre, l’antagonisme entre époux.

Gustave  son premier mari, et Adolphe, peintre et sculpteur, son second époux sont successivement amoureux de Tékla. Gustave, n’a pas disparu et, au début de la pièce… apparait chez le nouveau couple : «Les liens qui se tissent, les serments qui s’échangent, chacun est créancier de l’autre, et peut à tout moment venir reprendre ses gages», dit la note d’intention.
Frédéric Fage, a transposé cette pièce au temps présent: «Le sentiment amoureux et d’abandon, la créance affective, dit-il,  est un sentiment intemporel et trans-générationnel. Je veux donc que cette pièce soit jouée par de jeunes comédiens, encore fraîchement meurtris par leur première expérience. »
   Une façon de faire découvrir plus facilement par les jeunes générations, un auteur majeur du XIX ème siècle.  Et de montrer à quel point l’écriture des grands dramaturges est toujours d’actualité. Projet intéressant mais risqué, avec, comme souvent, un pari non tenu: ici les comédiens, très irréguliers, jouent rarement ensemble !
 Adolphe et Gustave sont de tempérament opposé et Tékla, belle, séductrice, intelligente et écrivaine renommée,  habitée par un désir fou de liberté,  se trouve dans un premier temps sous l’emprise absolue de son époux qui l’éduque et va en faire une femme adulte. Et le pauvre Adolphe va donc subir une femme forte, extrême et néfaste; malgré elle, peut-être? Maroussia Henrich (Tekla), parvient, de temps à autre, à donner corps et esprit à cette figure féminine complexe. Avec des scènes où elle joue avec  chacun de ses deux hommes, plus abouties et donc plus intéressantes.
Ce violent huis-clos se déroule dans un clair obscur : option dramaturgique  possible comme le choix de placer des photos des personnages en fond de scène. Laissant entendre qu’une autre parole, plus intérieure et secrète, serait cachée dans cette tragi-comédie.
 Mais, dommage, les acteurs ne maîtrisent pas le spectacle : Frédéric Fage n’a sans doute pas su emmener avec lui ces jeunes comédiens qui, avec un travail plus approfondi, auraient pu être à la hauteur de sa mise en scène.

 Elisabeth Naud   

 Studio Hébertot  78 bis boulevard des Batignolles 75017 Paris. T : 01 42 93 13 04 jusqu’au 23 avril.


Archive pour 1 avril, 2016

L’Opéra de quat’sous

L’Opéra de quat’ sous, texte Bertolt Brecht, musique Kurt Weill,  mise en scène  de Joan Mompart

 

4 sous Inspirés par l’Opéra des gueux, de John Gay, Bertolt Brecht et Kurt Weill ont réussi leur coup. Leur Opéra de quat’ sous a trouvé tout de suite sa popularité.
Leurs groschen (la petite monnaie du schilling autrichien avant l’euro) réunissent le prestige de l’opéra et l’accès facile pour tous à ses plaisirs.
Mais ils ajoutent aussi au plaisir du divertissement, le désagrément nécessaire de rappeler que le monde réel est un peu plus dissonant et grinçant qu’une opérette.

  Donc, les rois et reines de cette histoire sont monsieur et madame Peachum, chefs d’une entreprise de mendicité, leur fille Polly, des policiers corrompus, des prostituées amoureuses, tout ce petit monde tournant autour de Mackie-le-surineur, fascinant voyou.
Passions, jalousies, trahisons : on se croirait à l’opéra mais ici on ose parler d’argent (mal acquis, bien sûr). Et, comme à l’opéra, les «songs» sont devenus des standards inoubliables, que ce soit celui de Mackie, celui de Polly, La Fiancée du pirate, ou la chanson de Jenny des lupanars.
La troupe joue franchement le jeu, posant d’emblée la devise : D’abord bouffer, ensuite la morale ». L’énergie y est, l’humour aussi. L’orchestre, sous la direction de Christophe Sturzenegger, impeccable et brillant, respire bien. Il a sans doute une question d’ajustement : il domine un peu trop les comédiens-chanteurs vaillants et talentueux, dont la partition n’est pas si facile : Polly (Charlotte Filou) rattrape astucieusement, en y mettant beaucoup d’expressivité, des aigus délicats, Jenny  (Lucie Rausis) s’en sort avec grâce, et les chœurs ont l’allant qu’il faut.
Mais le spectacle est ralenti par une lourde et massif plateau tournant où on a placé au premier étage l’orchestre de dix musiciens. Fonctionnel, et qui,  apparemment, ne vise pas le beau, comme les costumes, à une exception qu’on vous laissera découvrir. À vrai dire, avec des comédiens-chanteurs chantant au micro, face public, alors que les moments parlés de la pièce sont souvent coupés, ce spectacle va vers le music-hall.
Le jeune public et le public jeune de Malakoff, sensibles à la bonne musique, à l’énergie et à la sincérité de cet Opéra de Quat’sous, ont fait une ovation à l’œuvre, montée avec force et loyauté, pour ceux qui la découvrent.

Christine Friedel
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4 sous2Oui, au dynamisme de la mise en scène, oui, aux chœurs de la fin. Mais, quant au reste, nous sommes beaucoup moins enthousiaste…
Nous avons affaire ici à une version concert de la pièce, au texte largement amputé, où l’orchestre prédomine un peu trop et où les chanteurs-comédiens pour se faire entendre, hurlent le plus souvent au micro.

Bref, la Comédie de Genève où le spectacle a été créé, n’est pas réputée pour son acoustique, alors que celle du Théâtre 71 est impeccable. Bon, question de balance: cela devrait s’améliorer.
  Mais il y a un peu tromperie sur la marchandise : nous n’avons pas vraiment droit au texte de Brecht comme indiqué sur le programme, puisque les dialogues ont presque disparu. Du coup, les interprètes (qui font leur boulot), ont bien du mal à imposer leurs personnages en quelques répliques. Normal.
Et du coup aussi, les acteurs-chanteurs qui ne sont plus ici que huit au lieu d’une trentaine, nous offrent une succession de songs qui devient assez lassante.
  Côté scénographie : ce plateau tournant qui semble fasciner (merci, Thomas Ostermeier !) les jeunes metteurs en scène pouvant se l’offrir,  tourne de temps en temps mais ne se justifie pas vraiment ici. Et l’orchestre (sauf le piano), ainsi surélevé, prend encore plus de puissance jusqu’à devenir envahissant, et à transformer la représentation théâtrale en version music-hall, comme le dit notre amie Christine…
 On peut comprendre le souci de Joan Mompart de ne pas tomber dans le pittoresque… mais mieux vaut oublier les costumes et masques en tissu transparent, franchement laids, et qui ne sont pas au service des acteurs.
   Bref, nous sommes peut-être exigeant mais cette mise en scène de L’Opéra de Quat’sous  aux airs populaires si souvent chantés (Frank Sinatra, etc.) mais si peu représenté à cause du coût, nous a déçu…

Philippe du Vignal

Théâtre 71 / Scène nationale de Malakoff. T : 01 55 48 91 00 jusqu’au 14 avril.

Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga

Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga, traduction de Dominique Poulange et Jorge Lavelli, mise en scène  de Paul Desveaux

  Garçon_du_dernier_rang_5223‘’ Il s’assied au dernier rang (…). C’est la meilleure place. Personne ne te voit, mais toi, tu vois tout le monde.’’Un don aigu d’observation associé à une belle capacité d’invention, tel est l’atout de l’élève solitaire du dernier rang, une jeune pousse autonome et vivante, un rien anarchiste, créatrice de sa propre vie, et en quête de maturité et de reconnaissance.
  Ce garçon volontaire produit, comme par enchantement, un pouvoir d’éveil, un attrait et une impression d’étrangeté chez André, un prof de lettres, interprété avec une vérité inquiète par Nicolas Rossier. Il se fait le narrateur de l’aventure existentielle de Tom, apprenti-écrivain incarné avec  tranquillité et désinvolture par Martin Karmann, mais aussi le conteur de sa vie, contaminée par le jeune intrus.
Jeanne (Geneviève Pasquier), galeriste d’art contemporain et épouse d’André, s’intéresse aux travaux littéraires des élèves de son mari qui, lui, s’improvise coryphée de cette aventure théâtrale dont l
a dramaturgie porte sur les différents espaces où peut se poser l’esprit, suivant l’errance de la pensée, de la propension naturelle et salutaire au rêve et à l’imaginaire : un monologue de soi à soi: dialogue avec l’autre et l’universel.  
    Le prétexte initial à la rêverie de Tom et à l’écriture autobiographique de son apprentissage du monde, naît de sa curiosité pour la demeure luxueuse où vit un camarade de classe, Rapha (Raphaël Vachoux) : « Elle est plus grande que ce que je supposais ; ma maison y entre au moins quatre fois. Tout est propret et bien rangé. (…) Juste au moment où j’allais retourner vers Rapha, une odeur retint mon attention : l’odeur si singulière des femmes de la classe moyenne. (…) Là, assise sur le sofa, feuilletant une revue de décoration, je découvris la maîtresse de maison. Je la fixai jusqu’à ce qu’elle lève les yeux dont la couleur s’accorde avec celle du sofa.‘’
  Ce camarade a donc un père, nommé Rapha (Frédéric Landenberg), encore brut de décoffrage, fou de basket, qui fait du commerce avec la Chine, et une  jolie mère, Esther (Alexandra Tiedemann), séduisante et mélancolique, versée dans la décoration.
La critique, en termes comiques, de la bonne bourgeoisie moyenne, est ici frontale: au fil des «expressions écrites» de l’élève, passionné par l’art de vivre des autres, et voyeur décomplexé, Juan Mayorga entraîne dans cette posture illicite et impudique, le professeur et lecteur, son épouse… et le public; se compose ici une œuvre littéraire qui met à mal les certitudes du maître, doublé par le disciple.
 Le professeur et son épouse, lecteurs ou amateurs d’art, placés sur le devant de la scène, sont aussi spectateurs de l’action. A l’arrière, une maison aux murs transparents laisse apparaître une vie familiale.
Paul Desveaux a créé une scénographie, véritable mise en abyme des perspectives et points de vue : thème de cette comédie.
  Regard du professeur, de l’élève, et du public : une vision cinématographique et/ou onirique circule dans le cadre du champ d’observation, avec des métaphores filées de l’image dans l’image : tableaux de Pollock, captures d’écrans télé, et films-cultes, et enfin écrans de cinéma placés au-dessus de la maison, où on voit Tom faire du skateboard.
 Une proposition singulièrement osée : Paul Desveaux sait nous parler des vertiges du métier de vivre qu’est la mise à l’épreuve, vivante et sensuelle de l’existence, pour des jeunes gens, futurs adultes, surfant avec aisance sur la soit-disant réalité, à la fiction, sur la volonté d’action sur le monde, à la création artistique et politique,  et enfin sur  la trivialité, au rêve insaisissable.

 Véronique Hotte

Spectacle vu le 30 mars à la Scène Nationale de Dieppe dans le cadre de Terres de Parole.
La pièce est éditée aux Solitaires Intempestifs.

 

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