Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga

Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga, traduction de Dominique Poulange et Jorge Lavelli, mise en scène  de Paul Desveaux

  Garçon_du_dernier_rang_5223‘’ Il s’assied au dernier rang (…). C’est la meilleure place. Personne ne te voit, mais toi, tu vois tout le monde.’’Un don aigu d’observation associé à une belle capacité d’invention, tel est l’atout de l’élève solitaire du dernier rang, une jeune pousse autonome et vivante, un rien anarchiste, créatrice de sa propre vie, et en quête de maturité et de reconnaissance.
  Ce garçon volontaire produit, comme par enchantement, un pouvoir d’éveil, un attrait et une impression d’étrangeté chez André, un prof de lettres, interprété avec une vérité inquiète par Nicolas Rossier. Il se fait le narrateur de l’aventure existentielle de Tom, apprenti-écrivain incarné avec  tranquillité et désinvolture par Martin Karmann, mais aussi le conteur de sa vie, contaminée par le jeune intrus.
Jeanne (Geneviève Pasquier), galeriste d’art contemporain et épouse d’André, s’intéresse aux travaux littéraires des élèves de son mari qui, lui, s’improvise coryphée de cette aventure théâtrale dont l
a dramaturgie porte sur les différents espaces où peut se poser l’esprit, suivant l’errance de la pensée, de la propension naturelle et salutaire au rêve et à l’imaginaire : un monologue de soi à soi: dialogue avec l’autre et l’universel.  
    Le prétexte initial à la rêverie de Tom et à l’écriture autobiographique de son apprentissage du monde, naît de sa curiosité pour la demeure luxueuse où vit un camarade de classe, Rapha (Raphaël Vachoux) : « Elle est plus grande que ce que je supposais ; ma maison y entre au moins quatre fois. Tout est propret et bien rangé. (…) Juste au moment où j’allais retourner vers Rapha, une odeur retint mon attention : l’odeur si singulière des femmes de la classe moyenne. (…) Là, assise sur le sofa, feuilletant une revue de décoration, je découvris la maîtresse de maison. Je la fixai jusqu’à ce qu’elle lève les yeux dont la couleur s’accorde avec celle du sofa.‘’
  Ce camarade a donc un père, nommé Rapha (Frédéric Landenberg), encore brut de décoffrage, fou de basket, qui fait du commerce avec la Chine, et une  jolie mère, Esther (Alexandra Tiedemann), séduisante et mélancolique, versée dans la décoration.
La critique, en termes comiques, de la bonne bourgeoisie moyenne, est ici frontale: au fil des «expressions écrites» de l’élève, passionné par l’art de vivre des autres, et voyeur décomplexé, Juan Mayorga entraîne dans cette posture illicite et impudique, le professeur et lecteur, son épouse… et le public; se compose ici une œuvre littéraire qui met à mal les certitudes du maître, doublé par le disciple.
 Le professeur et son épouse, lecteurs ou amateurs d’art, placés sur le devant de la scène, sont aussi spectateurs de l’action. A l’arrière, une maison aux murs transparents laisse apparaître une vie familiale.
Paul Desveaux a créé une scénographie, véritable mise en abyme des perspectives et points de vue : thème de cette comédie.
  Regard du professeur, de l’élève, et du public : une vision cinématographique et/ou onirique circule dans le cadre du champ d’observation, avec des métaphores filées de l’image dans l’image : tableaux de Pollock, captures d’écrans télé, et films-cultes, et enfin écrans de cinéma placés au-dessus de la maison, où on voit Tom faire du skateboard.
 Une proposition singulièrement osée : Paul Desveaux sait nous parler des vertiges du métier de vivre qu’est la mise à l’épreuve, vivante et sensuelle de l’existence, pour des jeunes gens, futurs adultes, surfant avec aisance sur la soit-disant réalité, à la fiction, sur la volonté d’action sur le monde, à la création artistique et politique,  et enfin sur  la trivialité, au rêve insaisissable.

 Véronique Hotte

Spectacle vu le 30 mars à la Scène Nationale de Dieppe dans le cadre de Terres de Parole.
La pièce est éditée aux Solitaires Intempestifs.

 

 

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