L’Opéra de quat’sous
L’Opéra de quat’ sous, texte Bertolt Brecht, musique Kurt Weill, mise en scène de Joan Mompart
Inspirés par l’Opéra des gueux, de John Gay, Bertolt Brecht et Kurt Weill ont réussi leur coup. Leur Opéra de quat’ sous a trouvé tout de suite sa popularité.
Leurs groschen (la petite monnaie du schilling autrichien avant l’euro) réunissent le prestige de l’opéra et l’accès facile pour tous à ses plaisirs.
Mais ils ajoutent aussi au plaisir du divertissement, le désagrément nécessaire de rappeler que le monde réel est un peu plus dissonant et grinçant qu’une opérette.
Donc, les rois et reines de cette histoire sont monsieur et madame Peachum, chefs d’une entreprise de mendicité, leur fille Polly, des policiers corrompus, des prostituées amoureuses, tout ce petit monde tournant autour de Mackie-le-surineur, fascinant voyou.
Passions, jalousies, trahisons : on se croirait à l’opéra mais ici on ose parler d’argent (mal acquis, bien sûr). Et, comme à l’opéra, les «songs» sont devenus des standards inoubliables, que ce soit celui de Mackie, celui de Polly, La Fiancée du pirate, ou la chanson de Jenny des lupanars.
La troupe joue franchement le jeu, posant d’emblée la devise : D’abord bouffer, ensuite la morale ». L’énergie y est, l’humour aussi. L’orchestre, sous la direction de Christophe Sturzenegger, impeccable et brillant, respire bien. Il a sans doute une question d’ajustement : il domine un peu trop les comédiens-chanteurs vaillants et talentueux, dont la partition n’est pas si facile : Polly (Charlotte Filou) rattrape astucieusement, en y mettant beaucoup d’expressivité, des aigus délicats, Jenny (Lucie Rausis) s’en sort avec grâce, et les chœurs ont l’allant qu’il faut.
Mais le spectacle est ralenti par une lourde et massif plateau tournant où on a placé au premier étage l’orchestre de dix musiciens. Fonctionnel, et qui, apparemment, ne vise pas le beau, comme les costumes, à une exception qu’on vous laissera découvrir. À vrai dire, avec des comédiens-chanteurs chantant au micro, face public, alors que les moments parlés de la pièce sont souvent coupés, ce spectacle va vers le music-hall.
Le jeune public et le public jeune de Malakoff, sensibles à la bonne musique, à l’énergie et à la sincérité de cet Opéra de Quat’sous, ont fait une ovation à l’œuvre, montée avec force et loyauté, pour ceux qui la découvrent.
Christine Friedel
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Oui, au dynamisme de la mise en scène, oui, aux chœurs de la fin. Mais, quant au reste, nous sommes beaucoup moins enthousiaste…
Nous avons affaire ici à une version concert de la pièce, au texte largement amputé, où l’orchestre prédomine un peu trop et où les chanteurs-comédiens pour se faire entendre, hurlent le plus souvent au micro.
Bref, la Comédie de Genève où le spectacle a été créé, n’est pas réputée pour son acoustique, alors que celle du Théâtre 71 est impeccable. Bon, question de balance: cela devrait s’améliorer.
Mais il y a un peu tromperie sur la marchandise : nous n’avons pas vraiment droit au texte de Brecht comme indiqué sur le programme, puisque les dialogues ont presque disparu. Du coup, les interprètes (qui font leur boulot), ont bien du mal à imposer leurs personnages en quelques répliques. Normal.
Et du coup aussi, les acteurs-chanteurs qui ne sont plus ici que huit au lieu d’une trentaine, nous offrent une succession de songs qui devient assez lassante.
Côté scénographie : ce plateau tournant qui semble fasciner (merci, Thomas Ostermeier !) les jeunes metteurs en scène pouvant se l’offrir, tourne de temps en temps mais ne se justifie pas vraiment ici. Et l’orchestre (sauf le piano), ainsi surélevé, prend encore plus de puissance jusqu’à devenir envahissant, et à transformer la représentation théâtrale en version music-hall, comme le dit notre amie Christine…
On peut comprendre le souci de Joan Mompart de ne pas tomber dans le pittoresque… mais mieux vaut oublier les costumes et masques en tissu transparent, franchement laids, et qui ne sont pas au service des acteurs.
Bref, nous sommes peut-être exigeant mais cette mise en scène de L’Opéra de Quat’sous aux airs populaires si souvent chantés (Frank Sinatra, etc.) mais si peu représenté à cause du coût, nous a déçu…
Philippe du Vignal
Théâtre 71 / Scène nationale de Malakoff. T : 01 55 48 91 00 jusqu’au 14 avril.