La Ménagerie de verre
La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, traduction d’Isabelle Famchon, mise en scène de Daniel Jeanneteau
Entre les images libres de l’antilope gracile, de la chèvre vindicative ou du puissant rhinocéros, la licorne -animal mythique bienveillant- réserve sa grâce au rêveur contemplatif. Elle apparaît dans un monde féerique, en bête onirique, mi-sauvage, mi-domestiquée dont le crâne permet de lire les vieux rêves.
La licorne existe aussi en modèle réduit, merveilleux, que ne se lasse pas d’admirer la fragile Laura, la jeune sœur de Tom, qui fait collection d’une ménagerie de verre (1944) comme la pièce éponyme de Tennessee Williams. Mais cette licorne perdra sa corne à cause de la maladresse d’un jeune homme.
Après avoir créé en 2011 à Tokyo en japonais, ce joyau du dramaturge américain, Daniel Jeanneteau en propose aujourd’hui une version occidentale française -sorte de palimpseste d’une vision du Japon. La scénographe qu’est aussi Daniel Jeanneteau a conçu un espace somptueux et vide, un cube à peine serré entre quatre murs transparents de tulle blanc, avec un sol blanc cotonneux à la sensualité laiteuse où le pied s’enfonce avec douceur. Ainsi, s’annonce visuellement, et de façon presque fantasmatique, la chambre claire de la conscience du narrateur qui se souvient d’un passé douloureux dont il ne parvient ni à s’extraire, ni à le mettre à distance. Ce qui lui serait pourtant salutaire. Le personnage de Tom, fils d’une histoire familiale pathogène, fait référence à la vie maudite de Tennessee Williams dans sa famille.
Sur le devant de la scène, au début et à la fin du drame, Tom à la fois narrateur et frère de Laura (Olivier Werner à la puissance tranquille), ouvrier dans une fabrique de chaussures mais aussi poète, tente de comprendre les énigmes existentielles, prenant à témoin le public.
Le père de famille s’est enfui et le fils a dû donc prendre en charge dans un premier temps sa mère Amanda et Laura, très pauvres, avant de rompre peu après avec un tel enfermement mortifère. Elles nient la vie du dehors et la rencontre avec les autres, refusant le principe de réalité pour n’écouter que celui du plaisir, des rêves, sur lequel personne n’a prise. La lumineuse et ludique Dominique Reymond, qui, en ballerine diaphane, pourrait ne pas en faire autant ! se projette en jeune fille éternelle à l’enfance heureuse (vraie ou mensongère ?) qu’elle a passée dans le Sud. En robe de tulle romantique à la Scarlett O’Hara d’Autant en emporte le vent, elle évoque sa jeunesse à jamais perdue, quand, entourée d’admirateurs, elle aurait pu épouser l’un d’eux qui avait une plantation prometteuse, si la vie n’en avait décidé autrement. Figure de mère possessive, Amanda porte sur sa scène personnelle des atours luxueux japonais, dessinant à traits dansés, de ses bras et jambes, des lignes de fuite.
Un lustre coloré qui rappelle une méduse translucide, a été installé dans la pièce de réception pour l’accueil d’un galant destiné à Laura. (Pierric Plathier). Tom a en effet invité à la demande de sa mère, ce collègue de travail qui respire la vie du dehors et attentif à Laura, son ancienne camarade de lycée, et amoureuse muette. Solène Arbel (Laura) cette sœur naturellement aimée, diffuse la pudeur du personnage de Tennessee Williams. Elle parle peu mais exprime beaucoup, absente et très présente à la fois, observatrice impuissante de la folie maternelle.
Un moment de théâtre radieux et précieux entre salle et scène, et entre conscience et rêve.
Véronique Hotte
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Notre amie a très bien dit tout le bonheur de cette interprétation, en particulier d’Olivier Werner et de Solène Arbel qui possède sur le plateau une concentration et un jeu exceptionnels pour jouer ce personnage difficile, que les actrices tirent souvent du côté du mélo. Et cela ne mouffete pas dans la salle quand elle embrasse Jim 0’ Connor. Des moments d’émotion comme celui-ci, on peut toujours en chercher dans le théâtre contemporain…
Dominique Reymond est juste et sublime dans la première partie, mais pourquoi se met-elle ensuite à en faire des tonnes, c’est à dire un peu n’importe quoi sur le plan gestuel, comme une actrice de boulevard qui veut montrer qu’elle est bien là. Curieux !
Nous serons aussi plus réservés sur la scénographie; le cordonnier serait-il le plus mal chaussé ? Daniel Jeanneteau semble s’être pris les pieds dans cet épais tapis cotonneux blanc et des pans de tulle doublés par un rideau également de tulle coulissant pendant la plus grande partie de la pièce. Il y a une table et des chaises style art minimal, un peu à la manière de celles que concevait autrefois Bob Wilson. Le tout dans une incroyable pénombre.
On comprend bien que Daniel Jeanneteau ait voulu gommer dans sa mise en scène tout un pittoresque de mobilier et de vêtements des années 40 mais le monde de Tennessee Williams est celui de gens démunis qui ont sans doute justement besoin de tout un amas d’objets-fétiches pour les aider à supporter leur pauvre vie. Comme Laura avec sa petite ménagerie de verre ici placée à l’avant-scène, sur-dimensionnée et d’une laideur absolue.
Reste à trouver la juste mesure pour imaginer la maison où vit cette famille pauvre et en chute libre sur le plan sentimental, mais la concevoir comme un espace absolument nu, assez obscur,et beaucoup trop vaste où les personnages semblent être comme en lévitation, paraît être le type même de la fausse bonne idée, un peu facile et déjà souvent vue. Nous imaginons la tête du regretté Guy-Claude François qui fut longtemps le directeur de la section scénographie à l’Ecole Nationale des Arts déco, si un(e) élève lui avait remis une telle proposition…
Cela dit, cette Ménagerie de verre participe d’un spectacle tout à fait honnête; on entend bien le texte, souvent émouvant qui retrouve ici comme un nouveau souffle, avec une jeune actrice exceptionnelle qui mériterait un prix d’interprétation.
Philippe du Vignal
Théâtre National de la Colline rue Malte Brun, Paris XX ème, jusqu’au 28 avril. T: 01 44 62 52 52.