La Traversée Invasion ! adaptation et mise en scène d’Eva Dumbia

La Traversée Invasion ! adapatation et mise en scène d’Eva Dumbia

 

eva-doumbia-2_0L’afropéenne Eva Dumbia propose une traversée des rivages africains jusqu’au Havre, port négrier, en passant par les Antilles. Avec un triptyque construit à partir de cinq textes qu’elle a revisités : Insulaires ou Seul l’impossible pourra m’apaiser, d’après Jamaïca Kincaid et Fabienne Kanor, La Vie sans fards, précédé de Ségou, d’après le récit autobiographique et le roman de Maryse Condé, et enfin La Grande chambre de Fabienne Kanor.
En trois volets, sont mis en scène les destins et paroles de ces romancières qui racontent quelque quatre cents ans d’histoire: Maryse Condé, Guadeloupéenne née en 1937, a mené une partie de sa carrière universitaire sur le continent africain, Fabienne Kanor,  quarante six ans, née à Orléans de parents martiniquais, et Jamaïca Kincaid, soixante sept ans, née dans l’île d’Antigua à cinquante kms au Nord de la Guadeloupe.
Soit une histoire de la traite négrière et de l’esclavage revisitée au féminin. Eva Dumbia, elle,, née d’une mère normande et d’un père malinké, a grandi en banlieue du Havre.
  L’histoire coloniale nous est ici contée dans un langage marqué par le métissage des techniques, le chevauchement des époques et des voix. Narration romanesque, récit autobiographique et dialogue théâtral s’appuient sur le cinéma, la photo, la danse, le chant et la lumière.
Chaque partie se déroule sur un continent : l’Afrique, l’Amérique des Caraïbes et l’Europe, et évoque l’identité noire de descendantes d’esclaves. Second point commun : le  brassage de moments historiques dans un aller et retour permanent entre siècles passés et vie contemporaine. Illustrant au mieux la thèse de Walter Benjamin qui refuse de voir dans le passé une époque révolue ; le passé ne passe pas, dit-il, c’est une autre forme du présent…

  Vrai pour toutes les époques, mais l’histoire des Noirs le dit de façon exemplaire. Si L’histoire coloniale n’en finit pas de coller à la peau de l’Europe, celle des Noirs, s’est écrite dans l’esclavage et continue encore! Ainsi, dans La Grande Chambre, la jeune Dorylia, Antillaise née au Havre, part à la recherche de son ancêtre africain, premier noir doté du statut de domestique libre… Pour elle, la frontière entre hier et aujourd’hui s’avère ténue,  comme celle entre rêve et réalité.
Se rencontrent ici les héros d’hier et d’aujourd’hui, dans un lieu au nom lourd de symbole : la «grande chambre» située dans l’entrepont des bateaux négriers où étaient enfermés les esclaves.  Tout fait écho à cet événement traumatique inaugural : cela se passe au Havre, haut lieu du commerce dit triangulaire, avec des personnages à la recherche d’une généalogie, et surtout avec l’humiliation, celle qu’ont vécue les parents et celle qu’on reçoit en partage.
Dans le langage théâtral qui fait vivre cette quête de mémoire, la parole s’articule aux cris et au chant. Musique, danse et rythme tiennent ici une place importante, traduisant une force vitale et le spectacle devient alors une cérémonie qui tire sa force du féminin,  où on célèbre l’écriture, et où on dit la vie de femmes laissées dans l’ombre : écrivaines, poétesses, danseuses et chanteuses qui font de la création artistique leur planche de salut.
A ce métissage artistique, s’ajoute la vidéo, qui,  loin d’être ici un support illustratif ou décoratif, redouble la scène du récit, en lui conférant une profondeur géographique et/ou historique, et en  convoquant un ailleurs où se joue le destin d’un peuple. Avec émotion, mémoire et puissance d’évocation dans une belle rencontre entre Eva Dumbia et ces  écrivaines….
Bravo à Macha Makeïeff qui a accompagné Eva Dumbia qui reviendra cet automne à La Friche de la Belle de Mai avec Massilia Afropéa.

 Michèle Bigot

Spectacle créé au Centre Dramatique national de La Criée, Marseille du 29 mars au 2 avril.

 

 

 

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