Questcequetudeviens? conception et mise en scène d’Aurélien Bory
Questcequetudeviens? conception et mise en scène d’Aurélien Bory, chorégraphie de Stéphanie Fuster
Sur de rares accords de guitare, la danseuse entre timidement en scène, dans la pénombre d’où se détache le rouge de sa longue robe à volants puis esquisse quelques pas et joue avec son costume, qu’elle quitte, manipule, naine ou géante selon sa position derrière l’étoffe rutilante, deuxième peau rigide, objet d’un trucage amusant mais peu convaincant.
Surgissent de la pénombre, un guitariste (José Sanchez) et un chanteur (Alberto Garcia) qui complètent le trio traditionnel du flamenco, danse qu’elle nous livre par bribes. Après cette première partie volontairement saccadée et hésitante, elle se glisse dans un gros conteneur, dont la présence massive et peu esthétique rompt avec la nudité du grand plateau.
Confinée dans cette espèce de studio, elle s’exerce devant son miroir, ses talonnades (taconeo), résonnent, scandées par le chant et la musique. On peut voir par une vitre, son corps en mouvement; et son image, reflétée, brouillée, déformée, amplifiée par des jeux de lumières et de vapeur, prend des allures fantomatiques. Son corps disparaîtra noyé dans un nuage de buée ; tambourinent encore ses pas, tandis que les deux musiciens virevoltent sur la scène gagnée par l’obscurité.
Dans le dernier tableau, le plus spectaculaire, la balaora se confronte à l’eau. Ses mouvements sont comme empêchés par l’élément liquide qui résiste mais, volontaire, elle persiste et fait naître des gerbes chatoyantes sous les éclairages d’Arno Veyrat.
«Qu’est-ce que veut dire être danseur de flamenco ? Quelle réalité derrière ça ? La plupart du temps: être seul dans un studio minuscule et triste, et s’entrainer. Et c’est ça que je voulais : cette vérité.»
Aurélien Bory dans ce spectacle, créé en 2008 et qui n’a cessé de tourner depuis, interroge la danse en traçant le portrait de Stéphanie Fuster, et il récidivera avec la Japonaise Kaori Ito, dans Plexus en 2012, (voir Le Théâtre du Blog).
Il s’inspire ici de l’expérience de la chorégraphe qui s’est immergée dans le monde du flamenco à Séville et qui, pendant huit ans, a travaillé tous les jours, seule, dans un studio, avant de se perfectionner auprès du prestigieux Israel Galván.
Le metteur en scène impose à la danse une certaine distance, et donne ainsi une dimension théâtrale à la chorégraphie. Pour souligner la difficulté de cette discipline, il invente des obstacles: rigidité de la robe, étroitesse du local de répétition, résistance de l’eau sont autant d’embûches à surmonter. Comme dans toute entreprise artistique.
Aurélien Bory, sensible à la question de l’espace, s’appuie beaucoup sur la scénographie qu’il a conçue. Ici, l’aménagement du plateau ne met pas totalement en valeur ce travail passionnant de décomposition et recomposition du baile flamenco. Mais le spectacle, servi par d’excellents artistes, nous fait découvrir cette danse sous un angle neuf.
On retrouvera cette problématique dans Espæce, qu’il prépare pour le prochain festival d’Avignon, à partir d’Espèces d’espaces de Georges Perec.
Mireille Davidovici
Le Monfort, Paris (dans le cadre du Festival (Des)illusions) jusqu’au 16 avril. T: 01 56 08 33 88 – www.lemonfort.fr
Teatre Ovidi Montllor, Barcelone, les 13 et 14 juillet au Grec Festival de Barcelona- Mercato de les Flors www.lameva.barcelona.cat/grec
Espæce, du 15 au 23 juillet, Opéra Grand Avignon.