Festival Temps d’images de Montréal: Pauline Simon
Sérendipité chorégraphie et mise en scène de Pauline Simon
La « sérendipité », comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous la pratiquons tous, en nous égarant sur une page de la Toile que nous n’avions pas prévu de visiter. Trouver ce qu’elle ne cherche pas, cheminer vers l’inattendu: Pauline Simon, cette touche-à-tout formée à la danse contemporaine au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, se plaît à mixer chorégraphie, théâtre et nouvelles technologies.
Guère étonnant que l’Usine C, centre de diffusion pluridisciplinaire à Montréal, ait choisi de présenter son travail en février dernier, lors de la dixième édition de Temps d’images festival international qui explore de nouvelles formes de performance artistique.
Le spectacle débute sobrement par un face-à-face avec le public. Un regard, une toux, un geste ou un chuchotement parmi les spectateurs suffisent à modifier les déplacements de l’interprète, en solo. Comme en danse-contact ou en biodanza, un effleurement sonore et tactile (ici le spectateur est invité à toucher le corps de Pauline Simon avec un micro) suffit à déclencher le mouvement d’une improvisation chorégraphique.
Réagir au vivant : l’idée n’est pas neuve, mais son extension à l’univers numérique, lieu de tous les possibles, tout à fait judicieuse. Google s’intègre avec maestria dans le processus créatif. Sur le plateau, une scénographie de type « travail en cours » ,avec ordinateur et lampe sur une table met à l’honneur le fameux moteur de recherche diffusé sur un écran vidéo en arrière-fond.
Après s’être installée au bureau, la performeuse pianote. Chaque amorce d’écriture dans la barre blanche fait défiler comme un poème vertical, nos formulations de recherche. Un «j» fait naître une multitude de marques commerciales. Un «J’ai l’immense plaisir de» ouvre d’autres propositions.
La moindre correction dans une phrase déroule recettes de cuisine, envies de maigrir, etc. Avec sa poésie involontaire, ces échos savoureux à toutes nos recherches internet : sexe, suicide, citations célèbres, paroles de chanson, spiritualité, etc. offrent une image saisissante de notre monde, de nos hantises, et des résidus de beauté : ah! le vers : « Ton souvenir luit en moi comme un ostensoir » qui surgit au détour d’une expression triviale, ou les particularismes québécois comme la fameuse chaîne de pharmacies Pharmaprix.
Le clavier numérique interprète sous nos yeux une véritable fugue à géométrie et rythme variables. La médiocrité percutant la grâce… Dans cette boucle infinie, hésitations et envolées de la création elle-même sont, bien sûr, soulignées, avec clins d’œil appuyés au spectacle en train de se faire. Un peu de non-sens à l’anglaise, un écho à la musique sérielle et aux recherches de John Cage, et coqs-à-l’âne à la Eugène Ionesco: les mots se font matière dansante, sentiers mouvants à suivre ou à abandonner. Beau et enthousiasmant.
Si, du point de vue chorégraphique, il n’y a rien de très novateur, cette joie de la pérégrination langagière vaut le détour. La présence magnétique, singulière et décalée de Pauline Simon aussi, qui ouvre des pistes qu’on a bien envie de suivre !
Stéphanie Ruffier
Spectacle vu à Montréal à la dixième édition de Temps d’Images.