Bovary, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues
Bovary, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues, d’après Madame Bovary de Gustave Flaubert et Le Procès Flaubert, traduction française de Thomas Resendes
Madame Bovary est l’héroïne mythique du roman éponyme publié en 1857. L’auteur s’est emparé d’un fait divers qui avait défrayé la chronique normande sous Louis-Philippe: le suicide par empoisonnement de l’épouse d’un officier de santé.
L’œuvre-quatre années de travail ardu- est la biographie imaginaire d’une bourgeoise de province. L’écrivain dit faire œuvre d’anatomie et décrit une société dont les rouages vont peu à peu étouffer l’héroïne de cette bourgade, et la mettre à mort.
À partir des rêves romanesques d’une jeune fille sensible et avide de lectures, qui a fait un mariage banal avec un petit bourgeois sans prétention mais amoureux d’elle, l’auteur rend tangibles l’ennui provincial, les rêves érotiques et d’envol céleste qui mèneront l’innocente dans les bras successifs de deux amants qui, finalement, la décevront. Gustave Flaubert décrit ici le monde avec objectivité, sans épanchement lyrique. Son style s’insinue, diffractant la lumière de l’instant qui varie à l’infini, tels les yeux changeants d’Emma, dans les personnages, paysages ou objets: signes authentiques de la modernité d’une écriture mise au service de la sensation du monde. Avec humour, ironie, dérision et satire, l’écrivain avoue être à la fois homme et femme, amant et maîtresse, époux éconduit…
Fasciné par Madame Bovary, l’auteur et metteur en scène Tiago Rodrigues, directeur du Théâtre national de Lisbonne, a adapté ce classique: il a un rapport inné de la littérature au théâtre, et a mis en scène le procès intenté en 1857 à Gustave Flaubert, pour outrage à la morale publique et religieuse, et aux bonnes mœurs. Mais finalement le tribunal les acquittera de la prévention portée contre eux et les renvoie sans dépens. «Dans ces circonstances, attendu qu’il n’est pas suffisamment établi que Pichat, Gustave Flaubert et Pillet se soient rendus coupables des délits qui leur sont imputés… »
L’œuvre originelle renaît étrangement sur scène à travers ce spectacle, tissage savant des trois fils : juridique avec la langue des avocats, artistique, avec des extraits du roman, et intime quand le metteur en scène évoque un Gustave Flaubert amoureux, à partir de sa Correspondance.
Sur le plateau jonché de feuilles blanches du roman, métaphore de sa lente élaboration, de fins châssis sur pied, garnis de disques translucides assemblés, évoquent l’officine du pharmacien Homais, ou bien, regroupés et fermés en fond de scène, le fiacre de l’adultère avec Léon.
Ruth Vega Fernandez, actrice suédoise d’origine espagnole et que l’on a vue au T.N.P., incarne l’avocat impérial Ernest Pinard, et prend le public à témoin ; sa dureté arrogante et le simplisme d’une pensée bridée font écho à l’état d’une société conventionnelle et moraliste.
Elle arpente à vive allure le plateau et l’avocat (David Geselson) au raisonnement subtil et maîtrisé tente d’expliciter l’esthétique flaubertienne à son interlocuteur qui ne veut guère écouter, inapte à toute vision artistique. Il interprète aussi un des deux amants d’Emma, et le brave pharmacien Homais, bavard et satisfait.
Quant à Jacques Bonnaffé, il est à la fois Gustave Flaubert comme on aime l’imaginer et un Léon, rêveur, gauche et emprunté. Madame Bovary, jouée avec grâce et liberté par Alma Palacios, se laisse aller à une ivresse onirique lors du bal, dansant avec fiévre. Jacques Bonnaffé lui répond en dansant aussi un peu, empêché encore de se livrer vraiment, et bloqué par la vérité flagrante de sa créature échappée qu’il laisse exister librement.
Gustave Flaubert a accordé tous les droits à son égérie : parcourir l’existence, obéir à la force du désir et à la réalité de son corps, éprouver le monde enfin, malgré le regard des autres. Parmi eux, l’époux malheureux: Charles Bovary qu’interprète, efficace et humain, Grégoire Monsaingeon; il sait jouer la maladresse de gens du terroir mais créer aussi l’univers sonore des comices agricoles: bêlements de chèvres, beuglements de vaches et caquètements de poules, en duo avec Jacques Bonnafé.
Un très beau spectacle, au souffle vif et sensuel.
Véronique Hotte
Théâtre de la Bastille, jusqu’au 17 avril, et du 3 au 26 mai. T : 01 43 57 42 14
Le texte de la pièce est édité aux Solitaires Intempestifs
Enregistrer
Enregistrer
Enregistrer