Fission
Fission de Jacques et Olivier Treiner, mise en scène de Vincent Debost
Jacques Treiner, physicien et théoricien, ancien professeur à l’université Pïerre et Marie Curie, et Olivier Treiner ont écrit cette pièce à partir des transcriptions des discussions entre dix savants atomistes allemands, notamment Otto Hahn, prix Nobel 1944 et père de la chimie nucléaire, Werner Heisenberg, prix Nobel de Physique 1932, Carl-Friedrich von Weisäcker, Walter Gerlach, issus du Club de l’Uranium de Hitler,.
Il avaient été enlevés en 1945 par les alliés puis installés à Farm Hall, près de Cambridge, et placés sur écoute pendant six mois. Heisenberg et son équipe avaient-ils voulu construire l’arme nucléaire, ou leur échec avait-il été volontaire, pour que les nazis ne la possèdent pas.?
Weizsäcker, après la guerre dira qu’Heisenberg et Wirtz avaient en privé conclu un accord pour étudier le plus à fond possible la fission nucléaire de façon à pouvoir décider de l’opportunité d’applications pratiques. Mais, en 1993 seulement, quand les conversations entre ces physiciens allemands, dont Heisenberg et Weizsäcker, enregistrées secrètement à Farm Hall et gardées depuis 1945, ont révélé que Weizsäcker était à l’origine d’un accord parmi les scientifiques, selon lequel après la guerre, ils nieraient avoir voulu développer l’arme atomique.
Entre eux, ils avaient baptisé cette histoire, qu’ils savaient fausse, Die Lesart (la Version ). Le 6 août 1945, ils apprendront avec stupéfaction qu’une bombe américaine, mise au point sous la direction efficace de Robert Oppenheimer par le Laboratoire national de Los Alamos, venait d’être lancée sur Hiroshima…
Il y a aussi dans ce spectacle Lise Meitner, grande amie d’Otto Hahn. Juive, cette grande physicienne fut contrainte de fuir l’Allemagne en 1938, mais elle poursuivit sa collaboration avec Otto Hahn par correspondance. Ils se rencontrèrent clandestinement à Copenhague en novembre 1938, afin de planifier une nouvelle série d’expériences.
Toute cette histoire aurait pu servir de base à une bonne pièce. Oui, mais voilà, il y faudrait un vraie dramaturgie, de vrais personnages, et un scénario, toutes choses qui ici, manquent à l’appel! “L’écriture du scénario est la partie la plus difficile… la moins comprise et la moins remarquée”, disait justement Frank Capra et c’est aussi vrai pour le théâtre. Alors qu’ici, rien n’aiguise notre perception du temps, il n’y a aucune surprise, aucun décalage entre ce que le personnage et le public voient mais de petites scènes laborieuses, datées, avec des flash-back, de sorte qu’on perd vite le fil de ce spectacle dont les auteurs ne réussissent pas à vraiment maîtriser le fil.
Le théâtre documentaire depuis Erwin Picastor dans les années 20 a toujours été un des fleurons de la dramaturgie allemande mais obéit à des règles strictes (qu’il vaut mieux connaître avant de se lancer dans l’aventure) comme, entre autres, le désir d’amener le public une prise de conscience politique à partir de faits bien réels comme chez Peter Weiss avec L’Instruction (1963) à propos du procès fait aux responsables d’Auschwitz, ou Le Vicaire (1964) de Rolf Hochuth, ou En cause : J. Robert Oppenheimer d’Heiner Kipphardt, et plus récemment Der Kick (Le Coup) (2006), une pièce d’Andreas Veiel, écrite à partir d’interviews de participants au meurtre d’un adolescent.
Ou encore Rwanda 94 du Belge Jacques Delcuvellerie, et enfin, chez nous les remarquables spectacles fondés sur des reportages et extraits d’interviews bien réels de Nicolas Lambert comme Bleu Elf, la pompe Afrique, Avenir Radieux, une fission française (2011) ou Rouge (2015) trois solos d’une toute autre qualité (voir Le Théâtre du Blog).
Mais ici, on a affaire à une succession de petites scènes mal reliées, alors que la note d’intention, une fois de plus, se gargarise à bon compte d’épithètes louangeuses: «réflexion passionnante», «âpreté singulière des acteurs », «mise en scène atmosphérique et pleine de rythme, « langage clair et direct»… Rien que cela ! N’en jetez plus !
Et sur le plateau, bien sûr, que nenni! Mais une mise en scène maladroite, ennuyeuse qui nous abreuve de fumigènes et patauge sans n’arriver à faire dire quoi que ce soit à ce texte trop indigent, interprétation et direction d’acteurs l’une comme l’autre aux abonnés absents (sauf Marie-Paule Sirvent qui a, elle, un vrai métier d’actrice)… Donc, on vous aura prévenu: ne venez pas vous plaindre si vous trouvez que ces soixante quinze minutes durent cinq heures…
La vie est courte, le printemps arrive, donc pas la peine de perdre une soirée: vous avez sûrement d’autres priorités que d’aller voir cette pauvre chose qui n’aurait jamais dû exister
Philippe du Vignal
Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis Passage Ruelle 75018 Paris.
Bonsoir,
Je voudrais prendre une seconde au sérieux ces terribles mots par lesquels vous terminez votre papier : cette « pauvre chose qui n’aurait pas dû voir le jour ».
S’agissant d’êtres humains, décider de ce qui a ou n’a pas la qualité pour voir le jour, cela s’est appelé eugénisme. Quand on vu, avec la Deuxième guerre mondiale, à quoi cette notion pouvait conduire, on l’a abandonnée au profit de la notion de « dignité humaine ». On a considéré que le désir des parents justifiait l’existence de l’enfant.
S’agissant d’oeuvres d’art, cela s’appelle censure. Il y a, dans votre petite phrase, y compris dans votre réponse à Etienne Gicquel, comment un regret, comme une nostalgie de n’avoir pas plus de pouvoir de faire que certaines choses ne voient pas le jour…
Monsieur du Vignal, vous devriez savoir que le droit à l’existence d’une oeuvre ne procède que du désir des auteurs, et de rien d’autre.
Ensuite, on a toute latitude d’aimer, de ne pas aimer, de comprendre, de ne pas comprendre – y compris de se faire plus bête qu’on est. Mais c’est tout. Au delà, c’est une faute.
Jacques Treiner
PS. Vous parlez d’autres « confrères et professionnels encore moins tendres » que vous envers la pièce. Vous dites l’avoir vérifié. Vous pensez bien que nous sommes quelques uns à avoir programmé des Alertes concernant les réactions de la presse. Je n’ai vu à ce jour que de bonnes critiques – voire d’excellentes (je dis bien à ce jour !). Vos lecteurs peuvent le vérifier. Pouvez-vous m’indiquer celles auxquelles vous faites allusion ? A défaut de les produire, vous aurez ajouté un « pauvre mensonge » à votre « pauvre phrase ».
Merci de votre message; vous devez être un ami des auteurs de ce spectacle; vous avez bien compris: je n’ai pas du tout aimé ce spectacle comme d’autres confrères et professionnels… encore moins tendres que moi.Je l’ai vérifié.Notamment quant au texte et à l’interprétation.
Quant à la « dernière phrase désolante » et au soi-disant « bon mot de la fin », je n’ai pas eu du tout l’intention de le faire mais si vous le voyez comme tel, libre à vous; quant à sa portée aucune illusion: le pouvoir d’un soi-disant critique est des plus limités contrairement à ce que vous pouvez penser, et je ne me pique pas du tout d’en exercer la profession.
Cordialement
Philippe du Vignal
Vous n’avez pas aimé Fission. Soit.
Votre argumentaire vaut ce qu’il vaut. Vous l’assumez et chacun en appréciera ou non la pertinence.
Ma propre opinion sur ce spectacle n’est d’ailleurs pas le sujet de mon propos.
En revanche, la dernière phrase de votre chronique est désolante.
Quand on s’intéresse à la création, on ne s’autorise pas à regretter qu’une oeuvre, indépendamment des défauts qu’on lui trouve, soit sortie du néant. Il y a là une contradiction de principe.
A l’évidence, vous faites partie de ces soi-disant critiques qui ne peuvent mettre un point final à leurs chroniques assassines sans s’offrir le plaisir d’y ajouter ce qu’ils considèrent comme ‘un bon mot ». Sans même en mesurer la portée. Un travers navrant, trop souvent constaté, qui ne grandit ni leurs auteurs ni la profession qu’ils se piquent d’exercer.