Le Monde d’hier de Stefan Zweig
Le Monde d’hier de Stefan Zweig, adaptation de Laurent Seksik, un spectacle de Jérôme Kircher et Patrick Pineau
Avec l’arrivée du nazisme au pouvoir, l’Europe libérale, intellectuelle et artistique, dont Vienne pourrait être la métaphore éclairée, s’éteint. Le culte des Beaux-Arts pour ces austro-hongrois? Peut-être le signe d’une fuite salutaire, hors d’un monde touché depuis la fin du XIX ème siècle par l’antisémitisme…
Face au nationalisme ambiant, le cosmopolitisme des Juifs viennois est salutaire, face l’impossibilité d’une appartenance nationale. Fils d’une famille de la grande bourgeoisie juive assimilée, Stefan Zweig (1881-1942) fait des études littéraires et philosophiques à Berlin et à Vienne.
Fin connaisseur de la littérature française et belge, polyglotte, il séjourne à l’étranger, avant et après 1914. Affecté au «quartier de presse de guerre »pendant la première guerre mondiale, il s’installe en Suisse en novembre 1917 et s’associe au mouvement pacifiste international. Il se liera d’amitié avec Romain Rolland dont il écrit la biographie.
Dès 1919, l’écrivain s’installe à Salzbourg, puis s’exile à Londres, après la guerre civile de février 1934. Citoyen britannique, il émigrera en 1940 au Brésil. Mais, en 1942, il se suicidera avec son épouse, près de Rio-de-Janeiro, après avoir achevé Le Monde d’hier, mémoires et testament sur la civilisation viennoise du début du XX ème siècle et la vie littéraire européenne. Sa génération, celle d’Hugo von Hofmannsthal, Arthur Schnitzler, Rainer-Maria Rilke, Sigmund Freud, se voit brutalement confrontée à la montée du nationalisme, à l’arrivée au pouvoir d’Hitler et à un antisémitisme d’État : bref, à une mise à mort de l’Europe.
Jérôme Kircher, sous le regard de Patrick Pineau, arpente le plateau et tente d’expliquer ces temps obscurs surgis peu à peu d’une époque que Stefan Sweig pensait sereine. Le comédien s’arrête pour développer un commentaire plus aigu, puis s’assied sur une chaise pour se rapprocher du public et réfléchir avec lui, avec le récit d’un passé plus lointain, mais évoque aussi l’instant présent.
Au début, domine le bonheur de discourir dans les cafés de Vienne, sa ville aimée, et dans ceux des autres capitales, Paris entre autres, où l’on peut dîner pour quelques sous dans le Quartier latin, ou ailleurs dans des établissements huppés.
L’auteur explicite encore sa prédilection pour la nouvelle, une forme courte au rythme tendu et efficace, sans complaisance ni affèterie. Le fils se souvient de sa mère âgée qui meurt, ce dont il est presque soulagé : la dame juive qui faisait sa petite marche quotidienne dans Vienne, ne risque plus d’être chassée de son banc par des miliciens fascistes!
Il est heureux de retrouver Sigmund Freud à Londres où le psychanalyste malade et sa famille ont fui, grâce à Marie Bonaparte, et Stefan Zweig, dont la foi reste fervente en l’art et la pensée, apprend du maître ce présage : la culture serait impuissante à déloger la bestialité en l’homme.
Un monde qui résonne étrangement avec le nôtre, juste un siècle plus tard…
Véronique Hotte
Théâtre du Petit-Mathurin, 36 rue des Mathurins Paris (8ème). T : 01 42 65 90 00