Sur les cendres en avant
Sur les cendres en avant, texte, mise en scène et musique de Pierre Notte
Décor sommaire et situation de départ énoncés en voix off : «Sur le plateau, deux espaces distincts, opposés, séparés par de la poussière et des gravats, un mur effondré et une cloison en ruine. D’un côté, l’appartement de Mademoiselle Rose qui a pris feu, de l’autre, l’appartement de Macha et de sa petite sœur Nina. (…) »
«Une petite cuisine Ikea mais solide, une porte d’entrée qui aura son importance mais non représentée ici pour des raisons économiques (…) », indique la didascalie qui précise de temps en temps : « Un morceau de plafond tombe » et fait appel à l’imagination du spectateur pour visualiser cette chute.
L’humour est donc là, dès l’ouverture de cette comédie musicale qui allie réalisme quotidien et démesure fantasque. Mademoiselle Rose, revêche, assise sur la seule chaise rescapée du sinistre, dans son mobilier de guingois, épie sa voisine qui se prostitue pour subvenir à ses besoins et aux études de sa petite sœur… laquelle se rebelle dès le petit déjeuner, refusant le lait des vaches normandes qui ont brouté l’herbe de cette terre pleine soldats morts pendant le débarquement. Elle plaquera bientôt l’école. Son rêve : faire des claquettes, malgré ses jambes blessées…
La visite intempestive d’un femme armée d’un fusil va mettre un terme aux querelles de voisinage et fédérer les énergies pour sortir du marasme : «Sur les cendres, en avant, la tête haute». Happy end et vive les femmes ! : «C’en est fini du père de l’homme providentiel/ des patriarches droits, des sauveurs, des tuteurs/soyons nos modèles et soyons nos mentors/(…) Et nous allons danser, chanter (…) et notre air de famille sera l’air du bonheur. »
De ces situations mélodramatiques et personnages en déshérence, Pierre Notte fait naître un spectacle entièrement chanté, dans le style des Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, avec des clins d’œil à Chantons sous le pluie de Vincente Minnelli.
La musique de Pierre Notte n’a pas la complexité de celle d’un Michel Legrand ou d’un Nacio Herb Brown, mais elle accompagne avec efficacité un texte volontairement prosaïque. Les détails de l’existence ordinaire se mélangent aux récits de vies romanesques des protagonistes, dans un joyeux méli-mélo.
Les comédiennes jouent et chantent juste, avec un brin d’ironie. Chloé Olivère, (Rose, la sinistre Femme assise), va enfin se lever pour raconter son histoire calamiteuse et faire acte de résistance ; Blanche Leleu, Macha, fragile et distinguée, ne correspond pas au stéréotype de la putain lamentable, et Elsa Rozenknop, (la petite Nina) prend aisément des postures d’adolescente.
Quant à La Femme armée (Juliette Coulon) qu’on a pu voir dans Moi aussi, je suis Catherine Deneuve de Pierre Notte en 2005, son irruption fracassante bouscule le trio initial et fait basculer l’action.
La musique, interprétée au piano par Donia Berriri, apporte sa cohérence au spectacle. Certains airs tiennent du music-hall comme Je suis la femme du forain, interprétée par Juliette Coulon et repris en chœur. D’autres s’apparentent à des chansons d’opérette comme le quatuor final, héroïque. On sent, ici et là, l’influence de Michel Legrand, de Nicole Croisille (qui est aussi la voix off), ou d’Astor Piazzolla…
Bref, une agréable soirée, une heure et demie de bonne humeur où, de rebondissement en rebondissement, le burlesque côtoie le mélo sans transition, créant d’étonnantes frictions.
Mireille Davidovici
Théâtre du Rond-Point, Paris. T. 01 44 95 98 21 jusqu’au 14 mai. Le Prisme, Saint-Quentin-en-Yvelines (78) en mai 2017.