Occupations, occupations
Occupations, occupations…
Depuis dimanche soir, la révolte gronde: une cinquantaine d’intermittents du spectacle, rejoints par des étudiants, continue à occuper en effet le Théâtre de l’Odéon à Paris, et leur Coordination entend bien voir respecter les promesses qui lui ont été faites par le gouvernement de Manuel Vals… Les séances de négociations sur le régime de leur assurance-chômage aujourd’hui ont donc lieu dans un climat très tendu.
En effet hier, à l’Odéon et à la Comédie-Française, les représentations de Phèdre(s) et de Lucrèce Borgia, ont été hier annulées en raison d’«un appel» des intermittents «à perturber» le spectacle, selon la direction du Théâtre de l’Odéon.
Et un rassemblement, a eu lieu ce lundi à l’appel de la CGT-spectacle et de la Coordination des intermittents devant le ministère du Travail où ont lieu les négociations, et un autre devrait aussi avoir lieu demain jeudi 28 avril devant le siège du MEDEF.
Rappelons que lundi, les négociations ont échoué, et que les intermittents réunis devant l’Odéon puis dispersés par les CRS lundi soir, entendent bien peser sur les décisions qui seront prises quant à leur statut. Et d’autres théâtres ont été occupés, comme les Centres dramatiques nationaux de Bordeaux, Toulouse, Grenoble, Rennes, Caen, Lille, Montpellier, et le Théâtre National de Strasbourg dont les occupants nous ont fait parvenir ce communiqué : Nous, chômeur.euses, lycéen.nes, étudiant.es, salarié.es, retraité.es, intermittent.es, précaires, en réaction aux négociations de l’assurance-chômage, à la loi Travail et son monde, et à la mise en place de l’état policier, nous occupons depuis 20h le 26 avril, le Théâtre National de Strasbourg et rejoignons le mouvement d’occupation des théâtres, des facs, des places publiques qui se déroulent en France et ailleurs. »
« Nous refusons que 800 millions d’euros d’économies soient faites sur le dos des chômeur.euses alors que six sur dix d’entre eux/elles ne sont pas indemnisé.es. Nous dénonçons la gestion mafieuse de l’UNEDIC, et nous voulons que les propositions de la Coordination des Intermittents et Précaires soient enfin entendues et appliquées. Nous voulons la séparation du MEDEF et de l’État ! » « Nous refusons la politique des contrôles d’un Pôle emploi à la fois juge et partie, et la culpabilisation des chômeurs et précaires. La loi «Travaille !» et la négociation de l’assurance-chômage sont les deux mâchoires d’un même système qui appauvrit et fragilise nos vies. » « TAFTA, secret des affaires, évasions fiscales, condamnations des lanceurs d’alertes : nous refusons l’organisation ultra libérale de notre monde. Nous refusons la politique de criminalisation des réfugié.es et des sans-papiers. Nous nous rassemblons ici, au Théâtre National de Strasbourg, car nous avons besoin d’un lieu. Les représentations continuent et le travail s’y déroule librement. Nous invitons chacun.e à nous rejoindre. Nous appelons à la grève générale le 28 avril ! Et à manifester en masse ce même jour contre la loi El Khomri, rendez-vous à 14h, Place Kléber, à Strasbourg. Prochaine A.G. mercredi 27 avril 19h. »
Bref, les intermittents, qui ont de bonnes raisons d’être inquiets, ont réussi à mobiliser bien au-delà de leur coordination, sous l’influence évidente du mouvement Nuits debout, même si la loi Rebsamen d’août 2015 garantit un régime spécifique d’indemnisation du chômage pour les artistes et techniciens du spectacle. Les trop fameuses annexes 8 (artistes) et 10 (techniciens) de la convention, relatives aux intermittents ne pourraient plus être supprimées mais, si on a bien compris, le MEDEF tenait à leur abrogation, ou du moins à un très sérieux aménagement en sa faveur. L’accord financier qui avait été signé le 24 mars dernier par le patronat, et par la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC (qui sont minoritaires) exigerait des intermittents 185 millions d’euros d’économies chaque année d’ici à 2018 et suggère que l’Etat aide à hauteur 80 millions. Ce que Denis Gravouil de la CGT refuse catégoriquement : «On veut,dit-il, arriver à un accord équilibré. Il faut que les employeurs prennent leur part de responsabilité.»
Et ce mercredi matin, la ministre du Travail, Myriam El Khomri, a déclaré sur France 2, que » les partenaires sociaux du spectacle doivent se mettre d’accord de façon apaisée, c’est un élément déterminant : « Mais je pense que cette négociation va aboutir. Elle doit se dérouler dans un climat serein». Et Audrey Azoulay, ministre de la Culture, précise: » Nous faisons tout pour que ce régime qui est important pour les intermittents, avec cette spécialité culturelle, puisse se développer. Nous sommes très vigilants sur ce point-là ».
Ce qui ne mange pas de pain mais reste bien vague! Comment sortir de l’impasse? Sans doute pas, en tout cas, en imposant une telle mesure aux intermittents qui ont tout à y perdre. Question : Manuel Valls a beau vouloir calmer le jeu et essayer de mettre de l’huile dans ces engrenages compliqués, qui, à l’heure des économies budgétaires tout azimut, va financer l’opération ? Va-t-on encore dégainer une taxe, arme typiquement française?
Reste qu’il faut faire vite, et Manuel Valls n’a sans doute pas besoin de se mettre sur le dos une autre affaire.
Un seule chose est absolument sûre : malgré toutes les promesses du gouvernement, les intermittents, plus que vigilants, et on les comprend, ne se laisseront pas faire. Nous vous tiendrons, bien entendu, au courant.
Jeudi 28 avril au matin:
Suite du feuilleton: après une longue séance de nuit, un accord a été enfin trouvé avec des avantages pour les intermittents qui « comporte des avancées importantes, a dit Denis Gravouil », avec une augmentation de la cotisation patronale de 1%, la fin des abattements pour frais professionnels, l’ouverture des droits à l’indemnisation pour les artistes et techniciens, à partir de 507 heures travaillées sur douze mois, le retour à la date-anniversaire pour le calcul des droits plus avantageux, et ce qui était parfaitement injuste et pénalisait les femmes, la disparition des baisses d’indemnisation après un congé maternité et un début de prise en compte des arrêts-maladie pour les affections de longue durée.
Encore faudra-t-il attendre les signatures des partenaires et voir quelles seront les modalités d’application… Et les théâtres occupés le restent du moins pour le moment.
Philippe du Vignal