Retour de Kigali

 


Festival Zoom à Théâtre Ouvert

Dans le prolongement de la première édition,  du 12 au 26 mai des auteurs,  à partir de matériaux documentaires (intimes, politiques, historiques, sociétaux…), les transforment en un acte artistique qui questionne le temps présent et nous déplace par sa force poétique.

Retour de Kigali, textes de Mandali Léon Athanase, Désiré Bigirimana, Amélie Durand, Jean Delacroix Hakizimana, Aimée Ishimwe, Jean-Paul Kayumba, David Lopez, Louise Mutabazi, Natacha Muziramakenga, Élise Rida Musomandera, James Rwasa, Olivia Rosenthal, Dorcy Rugamba, Aimable Twiringiyimana, Cécile Umutoni, Élitza Gueorguieva,  lecture-performance d’Olivia Rosenthal et Dorcy Rugamba

 160408_rdl_0283Pour célébrer le souvenir des terribles massacres infligés au Rwanda en 1994 (plus d’un million de morts en à peine trois mois!) Olivia Rosenthal et Dorcy Rugamba ont construit un atelier-mémoire avec huit  jeunes étudiants  français et rwandais inscrits au master de création littéraire de l’Université-Paris 8.
« La mémoire d’un événement de très grande ampleur (comme le fut le génocide des tutsis) n’est pas seulement affaire de chercheurs et d’historiens, dit Olivia Rosenthal, elle est aussi nourrie par les souvenirs personnels de ceux et celles qui sont nés juste avant 94 et ont vécu, à un âge où les souvenirs ne s’impriment pas encore, des événements qu’ils ne se rappellent pas tout à fait. »
« Pour eux, écrire sur le génocide des tutsis au Rwanda, c’est transcrire des sensations presque oubliées, aller chercher des anecdotes de leur enfance, reprendre des récits rapportés par des proches, et surtout raconter les suites, la vie telle qu’elle se déroule vingt ans plus tard parce que cette vie-là, qu’ils le veuillent ou non, porte les traces de ce qui s’est passé. Et pour ceux qui viennent d’autres horizons et qui n’ont pas fait l’expérience directe du pire, écrire sur un pays lointain a exigé une attention vigilante, attention grâce à laquelle établir, par la fiction et en dépit des différences de culture, d’étranges correspondances entre des existences pourtant incomparables les unes avec les autres. »
L’horreur subie est dite mais aussi chantée. Allongés ou debout, sur une plateforme disposée devant un grand écran où des images vidéo sont projetées, les jeunes gens, en majorité rwandais, témoignent: .«Hutu, Tutsi, je ne voudrais être ni l’un, ni l’autre mais simplement Rwandais.(…) Ce serait magnifique de revivre un été et le temps des premiers amours, nous irions parmi les hommes sans crainte car rien ne nous interdirait de les croire sur parole. Mais qui serait capable d’un tel oubli ?  »
 On se souvient de Bloody Niggers et surtout de Rwanda 94, spectacle dévastateur que Dorcy Rugumba avait monté avec Jacques Delcuvellerie au Théâtre de Rungis, et on ne peut s’empêcher de penser à l’horreur infligée au Moyen-Orient avec les armes de l’Occident. Au Rwanda, réalisés avec de simples machettes, les massacres avaient été la conséquence d’un colonialisme ravageur. 

Édith  Rappoport

Spectacle vu à Théâtre Ouvert le 10 avril

Et ensuite le jeudi 12 mai 20h30 – Steve Jobs, corps aboli d’Alban Lefranc, mise en voix par Robert Cantarella, vendredi 13 mai à 19h - A l’Oeil Nu, A voix haute d’Alice Roland et Gaspard Delanoë, lecture-performance, par Alice Roland et Gaspard Delanoë et à 20h30 – Steve Jobs, corps aboli d’Alban Lefranc.
samedi 14 mai 19h – Angleterre, Angleterre d’Aiat Fayez, mise en voix par Olivier Martinaud.
vendredi 20 mai 19h - Procné de Guillaume Vincent, mise en espace par  l’auteur.
mardi 24 mai- 19h  Layla, à présent je suis au fond du monde d’Arnaud Maïsetti et Jérémie Scheidler, mise en voix par Jérémie Scheidler et à 20h30 Communiqué de Valérie Mréjen, lecture-performance par et avec Valérie Mréjen et Arthur Nauzyciel.
mercredi 25 mai, 19h – La Vie n’est pas une chose facile de Georgia Mavraganis, traduit du grec par Christine Avgeris, mise en voix par Eugen Jebeleanuo.
Dans le cadre de Chantiers d’Europe programmé par le Théâtre de la Ville 20h30 – C’est la vie, texte et conception Mohamed El Khatib.
jeudi 26 mai, 19h – Le Chiffre de son domaine de Stéphane Bouquet, mise en voix par François-Xavier Rouyer et à 20h30, Neverland de David Léon, mise en voix par Blandine Savetier.
T: 01 42 55 74 40. www.theatre-ouvert.com


Archive pour avril, 2016

Les quatre-vingt-dix ans de la Martha Graham Dance Compagnie

Les quatre-vingt-dix ans de la Martha Graham Dance Compagnie

Martha grahamPour fêter un tel anniversaire, rare pour une compagnie  née au XX ème siècle, ses dix-sept danseurs et danseuses, rejoints par Aurélie Dupont pour le gala de clôture, ont présenté, en quatre soirées, quinze chorégraphies de 1914 jusqu’à aujourd’hui. Un véritable florilège ! Au début de chaque représentation, introduite par Janet Eilber, la directrice artistique, un diaporama résumait les quatre-vingt-dix ans de la compagnie en quatre-vingt-dix secondes…
  Le programme de la deuxième soirée, homogène, mettait en valeur le talent des artistes. Les costumes et la chorégraphie d’Appalachian Spring de Martha Graham (1944), nous plongent dans l’Amérique du  XlX ème siècle, sur une musique d’Aaron Copland, mélange de jazz et de folklore, jouée en direct par The Mannes Orchestra.
 Charlotte Landreau et Lloyd Mayor incarnèrent avec grâce de futurs mariés nouvellement installés dans les montagnes sous la protection d’un couple plus âgé.
Avec des danses  villageoises légères, cette pièce propose un voyage dans le temps à la gloire des pionniers.  A la soirée de gala, Aurélie Dupont, en longue robe saumon à volants, virevoltait joyeusement aux bras de Lloyd Mayor dans ce même duo des fiancés.

 Axe, une chorégraphie de Mats Ek que nous avions vue dans sa version originale avec Ana Laguna au Théâtre des Champs-Elysées, (voir Le Théâtre du Blog), nous plonge dans l’intimité, plus sombre,  d’un couple : un homme (Ben Schultz) fend du bois sur un billot, quand son épouse (Peiju Chien-Pott) apparaît, elle, plus  fragile, instable, et tente d’exister aux yeux de son compagnon qui, lui, poursuit, son labeur.
Sur le plateau vide, l’Adagio d’Albinoni accompagnait cette solitude à deux. Les personnages, interprétés par les deux danseurs-étoiles remarquables de précision, finirent par se croiser et s’enlacer maladroitement, avant de sortir à cour, l’un derrière l’autre, vers un destin incertain. 

  Night Journey, de Martha Graham (1947) s’inspire du mythe œdipien avec Peiju Chien-Pott ( Jocaste) et le sculptural Lloyd Knight (Œdipe). Les robes longues dessinées par la chorégraphe ressortaient curieusement sur les éléments de décor du sculpteur Isamu Noguchi installés au sol. Cette danse, d’une réelle beauté, montre les corps torturés et leurs liens avec la nature, et se rapproche des performances actuelles, sur une musique expressionniste de William Schuman jouée aussi par The Mannes Orchestra.
  IMG_9622Echo d’Andonis Foniadakis, qui terminait en beauté ce programme, s’inspire d’un autre mythe grec, celui de Narcisse et Echo. Conçu comme un tourbillon incessant, le ballet permet aux danseurs de montrer leurs qualités physiques et leur dynamisme. Ces chorégraphies, comme celles de Marie Chouinard, Nacho Duato et Pontus Lidberg, prouvent la grande faculté d’adaptation de cette compagnie.
Aurélie Dupont a repris pour le gala final, Lament, extrait d’Acts of Light (1981), une autre pièce du répertoire de Martha Graham. Virginie Mécène, l’une des responsables de l’école de la compagnie avait répété avec l’étoile française qui s’est produite, entourée de cinq danseurs, dans le costume ample et souple, immortalisé par Martha Graham dans ce solo à la forte théâtralité.
 La compagnie américaine fait partie du patrimoine de la danse contemporaine mais manque dans le paysage français. Le public moscovite, il y a cinq mois, lui a fait un triomphe. Pourquoi pas renouveler l’expérience et l’inviter à Paris ou dans un festival en France?

Jean Couturier

Le spectacle a été présenté au New York City Center du 14 au 18 avril.
www. marthagraham.org          

Pop punk et rebelle

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Pop punk et rebelle, conception de Latifa Djerbi, direction d’acteurs de Fanny Brunet, avec la brigade poétique Pâquisarde et l’Ensemble vocal Hors la Voix.

 Latifa Djerbi, comédienne française d’origine tunisienne, et en voie d’acquérir la nationalité suisse, a été plusieurs années en résidence au Théâtre Saint-Gervais à Genève. Cette fois, elle nous convie à un voyage poétique au cœur des Pâquis, un quartier populaire, et auquel participent une douzaine de comédiens-musiciens, dont plusieurs immigrés.
Nous attendons Latifa Djerbi devant une petite boutique qui finit par ouvrir ses portes. Elle se présente : « J’ai fait un choix, ne pas mettre en chantier un nouveau « one woman show » ». J’ai fait un stage d’écriture à Lausanne. Latifa, tu as un ego énorme. La dévalo, c’est quand tu ne te sens pas respectée, entre un ego et la dévalo, la passerelle c’est l’art ! »
Elle sort et rentre avec un sac. «J’ai envie de me donner, et que l’argent revienne aux gens. J’ai entendu dire que, nous, les arabes, on volait le pain des Français (…) Je vais faire un acte psycho-pédagogique, je vais faire du pain ! »
Et la voilà qui se déchaîne, dans des nuées de farine, à pétrissant la pâte, en mélangeant farines de blé et de sarrasin, et en racontant, avec humour, ses efforts pour acquérir la nationalité suisse. Elle met son pain à cuire, et, à la sortie, nous en distribue: « Le pain s’est multiplié, c’est un miracle! L’acte psycho-magique a marché au delà de mes espérances! »

Nous sortons de la petite boutique pour une promenade poétique dans le quartier, avec des textes, notamment d’Aragon et d’Henri Michaux, dits par vint-six acteurs, dont Fanny Brunet et Catherine Forna, issus de sept pays différents. Puis Latifa Djerbi invite le public à déguster un délicieux tajine de légumes devant un orchestre qui joue sur les marches d’un temple.
C’est la Loterie Romande qui finance l’opération…

Édith  Rappoport


Spectacle vu le 17 avril  à ApsaraArts, Espace culturel, Quartier des Pâquis
43, rue de Neuchâtel Genève (Suisse).

Compagnie de Samuel Beckett

Dans la série Singulis, quatre monologues au Studio de la Comédie-Française:

Compagnie de Samuel Beckett, conception et interprétation de Christian Gonon, collaboration artistique et dramaturgique de Pascal Antonini

Compagnie2-450x316Company (1978) écrit d’abord en anglais, fut ensuite traduit en français par l’auteur lui-même, mort en 1989, dont ce fut l’un des derniers textes. Comme le dit Christian Gonon, «C’est une voix qui émerge du noir. Il s’agit d’un des textes les plus autobiographiques de Samuel Beckett. Il y évoque sur le mode de la fiction, bien sûr, certains souvenirs de jeunesse, l’absence du père, les rapports difficiles avec la mère. (…)C’est un texte qui va au silence, qui force le silence à arriver au bout de chaque mot, dans l’absolue nécessité de son écriture. »
  Pierre Chabert en avait fait une mise en scène pour Pierre Dux au Théâtre Renaud-Barrault devenu théâtre du Rond-Point. Et c’est une version scénique du texte qui n’avait pas été écrit pour la scène, que Christian Gonon a redécouverte.  Le titre évoque, bien entendu et avec tout l’humour de Samuel Beckett,  le poids du silence, la solitude de l’homme, thèmes que l’on retrouve dans toute son œuvre, même et surtout sans doute, quand il recherche la compagnie de ses semblables, .
Dès le début, tout est dit : «Une voix parvient à quelqu’un dans le noir. Imaginer», et les mots de la fin nous feraient perdre toute illusion (si c’était encore possible!)  et tout espoir : «Et comme quoi mieux vaut tout compte fait peine perdue et toi tel que toujours. Seul. »
Sur scène, rien qu’un beau fond lumineux blanc imaginé par Julien Barbazin, avec, au centre, un rectangle noir, sans doute inspirés des peintures minimalistes de Franck Stella. Christian Gonon, seul en scène, a su habilement tisser avec une grande pudeur, cette mémoire et cette sorte de dédoublement du personnage, « de l’entendeur et de soi-même. »
Loin d’une autobiographie, les souvenirs de l’enfant donnant la main à sa mère assez sévère,  et l’image d’un père aimé mais lointain du narrateur, soit tout un passé vieux de quelque soixante dix ans et pourtant si proche, ressurgissent ainsi chez l’écrivain conscient qu’il ne vivra encore plus très longtemps. Emouvant mais souvent aussi plein d’un humour virulent, mais souvent teinté de lassitude devant le néant qui se profile à l’horizon. «  Le passé me tourmente et je crains l’avenir», disait déjà Pierre Corneille…

 C’est bien encore, dans cet aller et retour permanent entre passé et présent, comme toujours chez Samuel Beckett, question d’identité perdue, de recherche d’une lumière personnelle : «Quelles visions dans le noir de lumière ! »En fait, cette confession participe surtout vers la fin, d’une sorte de «fable de toi fabulant d’un autre avec toi dans le noir ».
 Il y a aussi traité de façon très pudique, un souvenir d’amour défunt: «Tu es sur le dos au pied d’un tremble. Dans son ombre tremblante. Elle couchée à angle droit appuyée sur les coudes. Tes yeux renversés viennent de plonger dans les siens. Dans le noir tu y plonges à nouveau. Encore. Tu sens sur ton visage la frange de ses longs cheveux noirs se remuer dans l’air immobile. Sous la chape des cheveux vos visages se cachent. Elle murmure, Ecoute les feuilles. Les yeux dans les yeux vous écoutez les feuilles. Dans leur ombre tremblante. »
  Le travail de Christian Gonon  qui a, sur ce petit plateau, la présence corporelle indispensable aux interprètes de Samuel Beckett, est tout à fait remarquable. Au début, assis sur une petite chaise pliante, ou debout,  ou encore couché au sol, le comédien dit le texte d’abord en voix off, puis en voix normale, ou amplifiée, et la poésie et la philosophie à travers la musique des mots de ce texte exigeant, prend alors tout son sens. Avec des phrases incisives, comme Samuel Beckett en avait le secret: «Tu finiras tel que tu es. «La voix à elle seule tient compagnie. » «Mieux vaut un cœur languissant qu’aucun.» «Si tes yeux venaient à s’ouvrir, le moi s’élancerait ».
On entend parfois, comme en appui et en écho à la parole beckettienne, le sifflement du vent, le grondement de l’orage et le bruit de la pluie de son Irlande natale, et, à la fin, la formidable musique de scène originale de Phil Glass.

 Seul petit bémol à ce travail à l’intelligence et à la sensibilité exemplaires : une lumière finement étudiée mais, qui, trop chiche, sauf à la fin,  empêche de bien voir le visage de Christian Gonon. Le spectacle, joué pour une série limitée de représentations, mériterait vraiment d’être repris.

Philippe du Vignal

Studio de la Comédie-Française, Galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, Paris 1er. T : 01 44 58 15 15 jusqu’au 24 avril.
Prochain et dernier monologue de la série Singulis : Grisélidis d’après des textes et interviews de Grisélidis Réal, adaptation, conception et interprétation de Coraly Zahonero, du 27 avril jusqu’au 8 mai.

Le texte de Compagnie est publié aux Editions de Minuit.

  

 

L’avenir d’une crise/ Une décennie de transformation dans le spectacle vivant

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L’Avenir d’une crise/Une Décennie de transformation dans le spectacle vivant par Martial Poirson et Emmanuel Wallon, article publié dans la Revue d’Histoire du Théâtre n° 267

 «On a l’impression que beaucoup d’hommes et de femmes des métiers artistiques sont traités, comme s’ils étaient en trop dans la société», écrivait Jack Ralite dans une Lettre ouverte au président François Hollande le 13 février 2014  (à lire dans Le Théâtre du Blog) et que 157 personnalités des milieux culturels cosignèrent. Martial Poirson et Emmanuel Wallon, chercheurs en politique et socio-économie des arts, de la culture et de la création, dressent dans La Revue d’Histoire du Théâtre, un état des lieux des métiers théâtraux, sous un angle socio-économique mais aussi esthétique.
Créée en 1948, cette précieuse publication trimestrielle aborde de nombreuses thématiques et transmet l’histoire des arts du spectacle, du Moyen Âge à nos jours. Elle émane de la Société d’Histoire du Théâtre, créée en 1932 par un petit groupe de professeurs, érudits, collectionneurs et hommes de théâtre : Ferdinand Brunot, Léon Chancerel, Jacques Copeau, Max Fuchs, Félix Gaiffe, Madeleine Horn-Monval et Jacques-Gabriel Prod’homme.
Cette Société perdure vaille que vaille, grâce à sa directrice Rose-Marie Maudouès, et dispose aujourd’hui d’un spacieux centre de ressources, en face de la Bibliothèque Nationale Richelieu; ouvert au public, il donne accès à de nombreux livres, revues, catalogues… Depuis 2013, à côté de son édition papier, sa revue peut aussi être lue en ligne. En annexe, ce n°267: L’Injouable au Théâtre offre une tribune à Martial Poirson et Emmanuel Wallon qui citent donc Jack Ralite, ancien ministre communiste de la Santé sous Pierre Mauroy,  qui ne dissociait pas dans sa Lettre ouverte, «le manque de moyens dans le domaine de la culture et le déficit de reconnaissance du travail humain».

Les chercheurs opposent ces idées humanistes, à la vision gestionnaire d’un François Hollande exprimée au festival d’Avignon 2012, et ils mettent l’accent sur le fait qu’il considère la création artistique comme levier de croissance, source de retombées économiques mais aussi de profits en termes de prestige et de «rayonnement».
 Cette posture risque en effet d’aiguiser «les appétits d’un capitalisme soucieux d’arraisonner la culture à l’économie marchande en développant le luxe, le tourisme, les industries créatives ou de divertissement. Et à long terme, de faire perdre de vue la nécessité anthropologique d’une dépense improductive, tributaire du besoin d’imagination qui habite toute société humaine. »
De plus, faire valoir « la rentabilité de la culture » est, selon Martial Poirson et Emmanuel Wallon, un piège où les professionnels du spectacle peuvent tomber: il n’est pas certain en effet que cette prétendue rentabilité les immunise. En effet,  évaluer la politique de soutien au spectacle, à l’aune de trois objectifs : élargissement des publics, diversité de la création artistique, développement de l’emploi local, et aide à l’attractivité des territoires, pervertit, à terme, l’idée même de liberté de création.
Enfin, les deux chercheurs montrent qu’ainsi «tiraillé entre ses désirs contrariés de liberté et les réalités d’une servitude volontaire, le milieu théâtral se retrouve à la croisée de logiques d’indépendance et d’aliénation. » À l’inquiétude légitime, dûe aux coûts en hausse et aux aides en berne, se joint une anxiété relative quant à la reconnaissance du talent et de l’expérience, mise à mal par les logiques comptables, mais aussi à cause d’une rhétorique empruntée à l’univers du management.
De plus, les médias surexposent les uns et frappent les autres d’invisibilité. Pour ne pas indisposer les chantres du paritarisme (qui sont aussi les principaux gestionnaires des caisses d’assurance-chômage!), les gouvernements successifs ajournent sans cesse,  depuis le conflit de 2003, (voire depuis le rapport du metteur en scène Jean-Pierre Vincent en 1992!) la refonte du régime particulier des intermittents ! Au risque de s’exposer toujours plus aux exigences d’un MEDEF, auquel les paroles d’amour du Premier ministre envers les entreprises ont fait perdre ses derniers complexes.

Au-delà des exigences statutaires, il faut s’armer, disent Martial Poirson et Emmanuel Wallon, contre la rémanence des images sociales, dont celle de l’artiste «parasite». Les modes de production ont changé et leur mutualisation va souvent de pair avec les métissages artistiques. L’autorité du chef de troupe perdure dans maintes compagnies, malgré le refus de la hiérarchie dans les « collectifs », mais celle du metteur en scène est souvent contestée par les jeunes acteurs: d’abord dans les mises en scène où comédiens, danseurs ou circassiens apportent leurs propres idées, ensuite, pendant le spectacle, avec des adresses au public, voire une invite à investir le plateau, au nom de l’effacement du quatrième mur, ou d’un certain militantisme.
Pour se faire entendre des pouvoirs publics, convaincus que les artistes savent surtout se plaindre, il faudrait que ceux-ci mettent autant d’audace à avancer des solutions qu’à inventer des formes. En effet, rien n’est plus difficile à négocier pour les instances professionnelles (syndicats, etc.) que le passage d’une logique revendicatrice à une démarche de projet, car elles redoutent d’affaiblir leurs défenses dans un contexte d’économies… Cet article nous renvoie au cœur de nos questions sur les changements progressifs mais inévitables des métiers du spectacle, et sur leur avenir.

 Mireille Davidovici

 http://www.sht.asso.fr/revue_histoire_theatre_numerique

Société d’Histoire du Théâtre, 58 rue Richelieu 75084 PARIS Cedex 02 ; info@sht.asso.fr T: 01 42 60 27 05.

 

Le Cabaret stupéfiant

Le Cabaret stupéfiant, mise en scène de Véronique Bellegarde

  cabaretstupefiant_liste_11Le club des Haschischins, fondé en 1844, a inspiré cette création musicale et poétique. Charles Baudelaire, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, mais aussi des scientifiques, se réunissaient à l’hôtel de Lauzun, sur l’Ile Saint-Louis à Paris, pour faire l’expérience de la fameuse «confiture verte».
Odja Llorca, chanteuse et comédienne, sensuelle, enjouée, dans un costume trois pièces, nous met dès le début l’eau à la bouche : « Il suffit d’une petite cuillère, et vous possédez le bonheur (…) Le bonheur est là, sous la forme d’un petit morceau de confiture ; prenez-en sans crainte, on n’en meurt pas».
En ces temps moroses et sécuritaires, c’est une excellente idée d’offrir au jeune public ou moins jeune, ce brin de folie, en donnant à l’imaginaire un petit coup de fouet. Ce Cabaret stupéfiant s’ouvre sur Fais pas ci, Fais pas ça de Jacques Dutronc, parfait !
Véronique Bellegarde nous fait partager l’expérience de ces paradis artificiels, sans pour autant présenter une reconstitution avec chansons d’époque. Dans cette incitation à l’ivresse et au rêve, quoi de mieux que la musique rock, certes loin du music-hall d’antan. Interprétées avec charme et fougue par Odja Llorca, les chansons de Serge Gainsbourg, Alain Baschung, Marie Dubas, et les poèmes de Charles Baudelaire, Henri Michaux, Allen Ginsberg et Lou Reed, viennent remuer nos souvenirs, et suscitent la curiosité des plus jeunes. Sans tomber dans la nostalgie.
On est vite saisi par l’originalité du projet, tout en restant frustré : un peu plus d’insolence, et cette invitation au voyage aurait été encore plus remarquable.
Avec un trio enchanteur : Odja Llorca, Philippe Thibault, le musicien, et Olivier Garouste,  le créateur d’images en temps réel, qui  recevait ce soir-là un invité-surprise, l’acteur Gérard Watkins, remarquable. Les
correspondances, poétiques, ludiques parfois, entre couleurs, son, image, et musique, fonctionnent bien et nous touchent. Allez voir ce Cabaret stupéfiant, une fantaisie peu commune pour fêter le printemps !

 Elisabeth Naud

 Hall de la Chanson/Pavillon du Charolais (derrière la Grande Halle) 211, avenue Jean-Jaurès 75019 Paris. T : 01 53 72 43 01, jusqu’au 24 juin.

 

Le rideau de scène de Parade

 

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Le rideau de scène de Parade

  Jean-Luc Chopin directeur du Théâtre du Châtelet, a eu la bonne idée de présenter, du 7 au 15 mai prochain, le rideau de scène du ballet Parade, peint par Pablo Picasso pour sa création le 18 mai 1917. Chef-d’œuvre des collections du Centre Georges Pompidou, monumental mais fragile, il n’a été  montré qu’une dizaine fois ces dernières années, depuis son exposition à Beaubourg en 1986 et, pour son ouverture, en 2012, au Centre Georges Pompidou de Metz, à l’occasion d’une grande exposition sur l’année 1917.
Un siècle (déjà!), de très violents combats au canon, à la baïonnette, et au gaz hypérite, étaient en cours depuis presque deux ans mais la vie artistique continuait avec, notamment, La Fontaine de Marcel Duchamp. 1917 est aussi “l’année où les Etats-Unis entrent en guerre, et où arrivent les Révolutions russes et les mutineries, dit Claire Garnier, une des commissaires de cette exposition qui, avec plus de six cent œuvres, évoquait la création artistique de cette époque. « Une création beaucoup plus dense qu’on ne l’imagine. On pense toujours qu’il y a une pénurie, et que les gens sont mobilisés mais certains artistes comme Claude Monet ou Henri Matisse, sont trop âgés pour être au front, et d’autres, comme Marcel Duchamp ou Francis Picabia, vivent aux Etats-Unis ».
Le fameux rideau va donc retrouver pour quelques jours la grande scène du Châtelet pour laquelle il a été créé, mais, lors de son transport,  tombé à l’eau, il n’avait pu, sans doute à cause de son poids, en être sorti tout de suite, ce qui lui donna un aspect délavé. Pablo Picasso choisit pourtant de le laisser tel quel. Parade, chorégraphié par Léonide Massine, lui avait été commandé par Serge Diaghilev pour les Ballets Russes et fut créé au Châtelet sur une musique d’Erik Satie, un argument de Jean Cocteau et avec une scénographie et des costumes de Pablo Picasso, jeune peintre encore peu connu à l’époque… Son rideau de scène devenu mythique, est sa plus grande œuvre : 10,50m x 16,40m (soit quelque 170 m2 pour 45 kgs!).
Pour Guillaume Apollinaire qui la considérait comme «sur-réaliste», « elle est comme l’alliance de la peinture et de la danse, de la plastique et de la mimique, et est le signe de l’avènement d’un art plus complet». Y sont représentés les personnages de Parade, ballet  construit autour du thème de la commedia dell’arte, avec une scène aux lourds rideaux encadrant un banquet : deux Pierrots/Arlequins, deux hommes, l’un en costume de marin, l’autre en picador, deux femmes et un serviteur noir. Et, sur un cheval blanc ailé, une danseuse, elle aussi  parée d’ailes, aidée par un singe, monte à une échelle bariolée.

Mais Parade fut mal accueilli (la première guerre  mondiale allait entrer dans sa troisième année, avec des dizaines de milliers de morts français et alliés dûs à l’incompétence du général Nivelle!) et le spectacle déclencha un scandale. Et cela, malgré le soutien de Juan Gris et de Guillaume Apollinaire.
Sans doute à cause de la légèreté de l’argument évoquant une parade, comme on en voyait autrefois sur les scènes de théâtres de foire, avec un univers poétique, éloigné de la gigantesque boucherie ( le trop célèbre chemin des Dames!) qui avait lieu à quelque deux cent kms de Paris.
Pourtant Parade fera date et, enfin très applaudi à sa reprise quelques années après sa création, marquera l’entrée du ballet dans le monde contemporain. Ne ratez donc pas la présentation de ce rideau de scène rarement montré mais, attention, l’entrée est gratuite et il y aura du monde…

Philippe du Vignal

Théâtre du Châtelet, Paris, samedi 7 mai de 14h 30 à 21h, dimanche 8 mai de 10h à 20h, lundi 9, mardi 10, mercredi 11 et jeudi 12 mai: de 10h à 17h; vendredi 13 et samedi 14 mai de 10h à 21h, et dimanche 15 mai de 10h à 18h.

Le Monde d’hier de Stefan Zweig

Le Monde d’hier de Stefan Zweig, adaptation de Laurent Seksik, un spectacle de Jérôme Kircher et Patrick Pineau

 

Avec l’arrivée du nazisme au pouvoir, l’Europe libérale, intellectuelle et artistique, dont Vienne pourrait être la métaphore éclairée, s’éteint. Le culte des Beaux-Arts pour ces austro-hongrois? Peut-être le signe d’une fuite salutaire, hors d’un monde touché depuis la fin du XIX ème siècle par l’antisémitisme…
Face au nationalisme ambiant, le cosmopolitisme des Juifs viennois est salutaire, face l’impossibilité d’une appartenance nationale. Fils d’une famille de la grande bourgeoisie juive assimilée, Stefan Zweig (1881-1942) fait des études littéraires et philosophiques à Berlin et à Vienne.
 Fin connaisslemondedhier23eur de la littérature française et belge, polyglotte, il séjourne à l’étranger, avant et après 1914. Affecté au «quartier de presse de guerre »pendant la  première guerre mondiale, il s’installe en Suisse en novembre 1917 et s’associe au mouvement pacifiste international. Il se liera d’amitié avec Romain Rolland  dont il écrit la biographie.
Dès 1919, l’écrivain s’installe à Salzbourg, puis s’exile à Londres, après la guerre civile de février 1934. C
itoyen britannique, il émigrera en 1940 au Brésil. Mais, en 1942, il se suicidera avec son épouse, près de Rio-de-Janeiro, après avoir achevé Le Monde d’hier, mémoires et testament sur la civilisation viennoise du début du XX ème siècle et la vie littéraire européenne. Sa génération, celle d’Hugo von Hofmannsthal, Arthur Schnitzler, Rainer-Maria Rilke, Sigmund Freud, se voit brutalement confrontée à la montée du nationalisme, à l’arrivée au pouvoir d’Hitler et à un antisémitisme d’État : bref, à une mise à mort de l’Europe.        
 Jérôme Kircher, sous le regard de Patrick Pineau, arpente le plateau et tente d’expliquer ces temps obscurs surgis peu à peu d’une époque que Stefan Sweig pensait sereine. Le comédien s’arrête pour développer un commentaire plus aigu, puis s’assied sur une chaise pour se rapprocher du public et réfléchir avec lui, avec le récit d’un passé plus lointain, mais évoque aussi l’instant présent.
Au début, domine le bonheur de discourir dans les cafés de Vienne, sa ville aimée, et dans ceux des autres capitales, Paris entre autres, où l’on peut dîner pour quelques sous dans le Quartier latin, ou ailleurs dans des établissements huppés.
  L’auteur explicite encore sa prédilection pour la nouvelle, une forme courte au rythme tendu et efficace, sans complaisance ni affèterie. Le fils se souvient de sa mère âgée qui meurt,  ce dont il est presque soulagé : la dame juive qui faisait sa petite marche quotidienne dans Vienne, ne risque plus d’être chassée de son banc par des miliciens fascistes!
   Il est heureux de retrouver Sigmund Freud à Londres où le psychanalyste malade et sa famille ont fui, grâce à Marie Bonaparte, et Stefan Zweig, dont la foi reste fervente en l’art et la pensée, apprend du maître ce présage : la culture serait impuissante à déloger la bestialité en l’homme.
Un monde qui résonne étrangement avec le nôtre, juste un siècle plus tard…

Véronique Hotte

Théâtre du Petit-Mathurin, 36 rue des Mathurins Paris (8ème). T : 01 42 65 90 00

 

Valentina-Tchernobyl

Valentina-Tchernobyl d’après La Supplication de Svetlana Alexeievitch, mise en scène de Laure Roussel

 

  valentinaCe solo, “librement inspiré » de l’œuvre du Prix Nobel de Littérature 2016, raconte l’histoire d’une jeune femme et de son mari, victime des radiations atomiques après avoir travaillé  sur les lignes électriques de cette ville désormais martyre après l’explosion en 1986 d’un réacteur de sa centrale nucléaire.
Elle voit se dégrader de jour en jour le corps de celui qu’elle continue, bien sûr, à aimer. Les infirmières lui ont montré comment le nourrir avec de la nourriture moulinée qu’elle fait descendre au moyen d’un entonnoir dans un tube qui remplace son larynx détruit par les métastases qui ont commencé à à envahir son corps! L’écrivaine russe dit très bien l’immense solitude de cette jeune femme confrontée à la souffrance au quotidien de son homme, le seul de son équipe à être encore du monde des vivants. Cela fait froid dans le dos!
  Coralie Emilion-Languille est juste, précise et raconte cette histoire sans pathos, avec une grande sobriété. On sort de là encore plus persuadé que nous aussi nous allons avoir aussi notre Tchernobyl, malgré les grandes déclarations il y a quelque quarante ans de Valéry Giscard d’Estaing qui avait poussé au tout nucléaire en France.. En 1976, la construction du super-générateur nucléaire avait été décidée comme la Compagnie générale des matières nucléaires, (COGEMA) et l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (I.P.S.N.). Et on l’a oublié: cette stratégie du tout nucléaire est soutenue par les ingénieurs des grandes écoles, et par l’ensemble de la classe politique, y compris le Parti communiste qui y voient la création massive d’emplois, et par la C.G.T, à qui E.D.F. qui reverse 1% de son chiffre, approuvent le plan. Comme les régions qui profitent de la taxe professionnelle…
Mais  en 1974, 400 chercheurs dénoncent de façon très lucide le manque de transparence, les risques de fuites dans les centrales, ce que nie le gouvernement, et le problème,  insoluble des déchets…Bien vu!
La catastrophe de Fukushima seule rendit les gens plus lucides en particulier le P.S. et Martine Aubry. En attendant, les écrans plasma inondent de plus en plus le métro, les pharmacies et les galeries commerciales; les lumières des vitrines restent éclairées la nuit, comme les lampadaires de tout petits villages qui ne voient passer personne au-delà de 21heures, les magazines épais en couleurs et les quotidiens gratuits se multiplient, et les terrasses de café à l’air libre,  à deux pas du théâtre de la Manufacture des Abbesses sont chauffées par de puissantes plaques électriques!
Ce spectacle arrive à point nommé comme une terrible mais efficace piqûre de rappel. Merci Laure Roussel. Chez nous, quel sera notre Tchernobyl?  Les paris sont ouverts. Même si ce gouvernement comme les autres ne semble pas vraiment se préoccuper de cette inflation de dépense énergétique!

Philippe du Vignal

 

Manufacture des Abbesses,  7 rue Véron 75018 Paris. Métro Abbesses ou Blanche.
 

Fission

Fission de Jacques et Olivier Treiner, mise en scène de Vincent Debost

   FissionJacques Treiner, physicien et théoricien, ancien professeur à l’université Pïerre et Marie Curie, et Olivier Treiner  ont écrit cette pièce à partir des transcriptions des discussions entre dix savants atomistes allemands, notamment Otto Hahn, prix Nobel 1944 et père de la chimie nucléaire, Werner Heisenberg, prix Nobel de Physique 1932,  Carl-Friedrich von Weisäcker, Walter Gerlach, issus du  Club de l’Uranium de Hitler,.
 Il avaient été enlevés en 1945  par les alliés puis installés à Farm Hall, près de Cambridge, et placés sur écoute pendant six mois. Heisenberg et son équipe avaient-ils voulu construire l’arme nucléaire, ou leur échec avait-il été volontaire, pour que les nazis ne la possèdent pas.?
Weizsäcker, après la guerre dira qu’Heisenberg et Wirtz avaient en privé conclu un accord pour étudier le plus à fond possible la fission nucléaire de façon à pouvoir décider de l’opportunité d’applications pratiques. Mais, en 1993 seulement, quand les conversations entre ces physiciens allemands, dont Heisenberg et Weizsäcker, enregistrées secrètement à Farm Hall et gardées depuis 1945, ont révélé que Weizsäcker était à l’origine d’un accord parmi les scientifiques, selon lequel après la guerre, ils nieraient avoir voulu développer l’arme atomique.
Entre eux, ils avaient baptisé cette histoire, qu’ils savaient fausse, Die Lesart (la Version ).
Le 6 août 1945,  ils  apprendront avec stupéfaction qu’une bombe américaine, mise au point sous la direction efficace de Robert Oppenheimer par le Laboratoire national de Los Alamos,  venait d’être lancée sur Hiroshima…
Il y a aussi dans ce spectacle Lise Meitner, grande amie d’Otto Hahn. Juive, cette grande physicienne fut contrainte de fuir l’Allemagne en 1938, mais elle poursuivit sa collaboration avec Otto Hahn par correspondance. Ils se rencontrèrent clandestinement à Copenhague en novembre 1938, afin de  planifier une nouvelle série d’expériences.
Toute cette histoire aurait pu servir de base à une bonne pièce. Oui, mais voilà, il y faudrait un vraie dramaturgie, de vrais personnages, et un scénario, toutes choses qui ici, manquent à l’appel! “L’écriture du scénario est la partie la plus difficile… la moins comprise et la moins remarquée”, disait  justement Frank Capra et c’est aussi vrai pour le théâtre. Alors qu’ici, rien n’aiguise notre perception du temps, il n’y a aucune surprise, aucun décalage entre ce que le personnage et le public voient mais de petites scènes laborieuses, datées, avec des flash-back, de sorte qu’on perd vite le fil de ce spectacle dont les auteurs ne réussissent pas à vraiment maîtriser le fil.
Le théâtre documentaire depuis Erwin Picastor dans les années 20 a toujours été un des fleurons de la dramaturgie allemande mais obéit à des règles strictes (qu’il vaut mieux connaître avant de se lancer dans l’aventure) comme, entre autres, le désir d’amener le public une prise de conscience politique à partir de faits bien réels comme chez Peter Weiss avec L’Instruction (1963) à propos du procès fait aux responsables d’Auschwitz, ou Le Vicaire (1964) de Rolf Hochuth, ou En cause : J. Robert Oppenheimer d’Heiner Kipphardt, et plus récemment Der Kick (Le Coup) (2006), une pièce d’Andreas Veiel, écrite à partir d’interviews de participants au meurtre d’un adolescent.
Ou encore Rwanda 94 du Belge Jacques Delcuvellerie, et enfin, chez nous les remarquables spectacles fondés sur des reportages et extraits d’interviews bien réels de Nicolas Lambert comme  Bleu Elf, la pompe Afrique, Avenir Radieux, une fission française (2011) ou  Rouge (2015) trois solos d’une toute autre qualité (voir Le Théâtre du Blog).
Mais ici, on a affaire à une succession de petites scènes mal reliées, alors que la note d’intention, une fois de plus, se gargarise à bon compte d’épithètes louangeuses: «réflexion passionnante», «âpreté singulière des acteurs », «mise en scène atmosphérique et pleine de rythme, « langage clair et direct»… Rien que cela ! N’en jetez plus !
Et sur le plateau, bien sûr, que nenni! Mais une mise en scène maladroite, ennuyeuse qui nous abreuve de fumigènes et patauge sans n’arriver à faire dire quoi que ce soit à ce texte trop indigent, interprétation et direction d’acteurs l’une comme l’autre aux abonnés absents (sauf Marie-Paule Sirvent qui a, elle, un vrai métier d’actrice)… Donc, on vous aura prévenu: ne venez pas vous plaindre si vous trouvez que ces soixante quinze minutes durent cinq heures…
La vie est courte, le printemps arrive, donc pas la peine de perdre une soirée: vous avez sûrement d’autres  priorités que d’aller voir cette pauvre chose qui n’aurait jamais dû exister

Philippe du Vignal

Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis Passage Ruelle 75018 Paris.

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