La Cosa de Claudio Stellato

La Cosa de Claudio Stellato

Dès l’entrée, un odeur de bois frais parfume l’air ambiant. On s’installe de part et d’autre d’un carré pour découvrir de curieuses installations réalisées avec 1.600 bûches soit quatre stères !
Face à une belle arche, quelques bûches savamment empilées d’où dépasse une tête rappellent Ô les beaux jours du grand Samuel Beckett. De l’autre côté, un homme est couché, le ventre couvert de bois ; un autre repose sur des bûches alignées à la verticale. Dans un coin, on devine un comédien dissimulé sous un amoncellement de bois dont il s’extrait lentement jusqu’à ce que la construction s’écroule.
 Le spectacle repose sur le principe du jenga, jeu qui consiste à bâtir une tour avec des rectangles de bois, puis à les retirer un à un, retardant au maximum le moment ou tout tombe. A ce traitement seront soumises la grande arche et les bûches verticales qui supportent le comédien. Dans un deuxième temps, l’action s’accélère, les quatre performeurs entassent frénétiquement des bûches produisant une mélodie aléatoire, semblable aux carillons de bois creux. Ils bâtissent, en la gravissant,  une  pyramide de plus en plus haute.
Après une course effrénée autour de l’édifice, ils se jettent dessus, allant jusqu’à y balancer leurs partenaires pour gagner en vitesse! Puis, munis de haches, ils s’attaquent aux souches les plus grosses. Heureusement, le plateau du théâtre de la Cité Internationale est renforcé ! Dans leur folie, ils lancent les haches  qui se plantent dans le bois! Enfin arrive un tronc horizontal sur lequel la danse des lames produira là encore une belle musique et des gerbes de copeaux jailliront jusqu’aux premiers rangs : image saisissante.
Tendu, le public tremble pour eux jusqu’à la fin : poids du bois, échardes, glissades dans la sciure, chutes de bûches, le danger est partout! Et parfois l’un d’eux se coupe et saigne. Une belle poésie et de superbes images, parfois un peu absurdes, se dégagent de cet univers de brutes, dans une rencontre absolue avec cette matière noble, qui sert à nous chauffer, et à fabriquer nos meubles…
Les artistes ne se sont pas lancés à corps perdu dans ce spectacle,  élaboré en trois ans, à partir des sculptures éphémères exposées par Claudio Stellato : «Quand les trois autres interprètes sont arrivés, le travail a encore évolué. Nous avons gardé l’idée de construction/destruction mais nous y avons ajouté l’idée que tout devait se faire dans une coopération constante. Nous avons travaillé sur la douceur, le plus longtemps possible. La Cosa est sans  doute un spectacle un peu «bourrin» mais il a gardé un lexique très particulier, de sa traversée de la douceur. »
 L’étonnement va crescendo et le public, bien qu’assez proche, reste toujours en confiance. Bravo à Claudio Stellato, Julian Blight, Mathieu Delangle et Valentin Pythoud pour leur engagement total, sans compter leur talent, leurs sourires, et la part d’improvisation (et donc d’imprévu) inhérente à ce genre de performance. Ils tiennent leurs personnages comme ils tiennent le public en haleine durant cette petite heure.  On en sort lessivé !

Julien Barsan

Spectacle vu au Théâtre de la Cité Internationale

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Archive pour avril, 2016

Machin La Hernie de Sony Labou Tansi

Machin La Hernie,  de Sony Labou Tansi mise en scène de Jean-Paul Delore

 

MachinLaHernie2(c)PierreVanEechauteSony Labou Tansi, né en 1947 dans l’actuel Congo-Kinshasa et mort en 1995  à Brazzaville, a écrit en 1981,  un roman-fleuve dont les éditions du Seuil publient alors une version réduite, L’État honteux, titre consenti par l’auteur qui lui préférait à l’origine, Machin La Hernie.
  Dix ans après la mort de Sony Labou Tansi, La Revue Noire a publié le manuscrit intégral en restituant le titre initial souhaité. Le héros, le président Martillimi Lopez, est un dictateur défunt dont le narrateur raconte et incarne la vie qui consiste à anticiper et à déjouer les complots pressentis : un «ventriloque de l’État qu’il dirige et de son état de garçon sexué», selon Jean-Paul Delore.
Un personnage de théâtre en résonance avec l’actualité, un règlement de comptes. Et le public a droit à la présence incandescente, soleil noir et mélancolique,de cet auteur et acteur unique, Dieudonné Niangouna. Une verve exceptionnelle, une niaque et une hargne de tous les instants, sans concession ni complaisance, une transe radicale. Ainsi, quand le Président du Congo vient d’être tout juste réinvesti ce 16 avril, la pétition Urgence Congo rédigée par Jean-Paul Delore, la costumière Catherine Laval, Dieduonné Niangouna et l’auteure Laëtitia Ajanohun dénonce les attaques criminelles contre les populations civiles en République du Congo : « Le 4 avril 2016, falsifiant comme d’habitude le résultat des urnes, la Cour constitutionnelle de la République du Congo, aux ordres, valide la réélection à la Présidence de la République du candidat Denis Sassou Nguesso, au pouvoir depuis 32 ans.
Préparé à ce coup d’état électoral, cette fois, le peuple congolais est prêt à amplifier sa résistance pacifique et à poursuivre sa désobéissance civile. »
Pour l’interprète engagé- Dieudonné Niangouna, Machin La Hernie, écrit donc il y  a près de quarante ans, résonne encore avec l’actualité, dont «la montée du FN, le terrorisme ambiant, la superpuissance de la France-Afrique fabriquée par les indifférents, la canaille des générations sacrifiées, le mal-être de l’Histoire, le bout du tunnel qu’on n’aperçoit plus, l’échec des droits de l’humain ».
Machin La Hernie se fait un spectacle aigu, une cage de résonance amplifiée, une fiction grotesque et sarcastique sur l’état du monde, un État honteux où Martillimi Lopez – tyran paranoïaque, délirant, est malmené par les événements dont il est aussi le manipulateur. Il gît agonisant, abandonné dans un palais déserté de tout sujet, garde ou conseiller, tandis qu’il s’imagine avoir encore et toujours du pouvoir.

 Tout est affaire de braguette et d’hernie « contenue dans une peau de bête »; une zone sexuelle excroissante, encombrante autant que félonne, qui dirige prétendument le monde : «Mais je vais vous raconter l’histoire de mon colonel Martillimi Lopez, fils de maman nationale, vous allez rire, oui, vous allez rire…»
Le comédien descend de la salle puis monte sur scène, où l’attend Alexandre Meyer avec  sa guitare électrique. Déclamant son récit sans compter, dansant, se contorsionnant, levant les bras, s’accroupissant et se tenant comiquement «les couilles» – sérieux toujours -, il s’interroge sur la situation qui est la sienne.

En repartant, il invite le spectateur à passer devant sa caméra, et le filme quelques secondes, le temps d’une répartie.La langue de Sony Labou Tansi, généreuse, physique et sensuelle, outrancière et farcesque avec ses occurrences répétées de Machin La Hernie et autres images ludiques évocatrices-un imaginaire linguistique créatif, un monde en soi-claque dans la bouche de l’acteur/performeur avec quelque chose d’étrange et de monstrueux, proche aussi des inventions imagées de Rabelais ou de Céline.
Le monologue n’en finit pas, puissant, répétitif, redondant et obsédant, comme une prière liturgique jetée à la face de la terre et des hommes,spectateurs taiseux malgré eux, et qui ne disent mot, ne réagissent ni se révoltent.
  Un spectacle rebelle, incisif et entêtant, un beau territoire politique de poésie…

 Véronique Hotte

Le spectacle a été joué au Tarmac-Scène internationale francophone, du 13 au 16 avril.
Le texte est publié à Revue Noire Éditions,

 

Madame Ong

Madame Ong direction artistique de Kim Sung-Nyo, scénario et mise en scène de Koh Sun-Woong, composition musicale d’Han Seung-Seok

imagePauvre  Ongnyeo qui ne peut  garder un seul de ses maris!  À peine les noces consommées, la mort les frappe : l’un foudroyé par un éclair, l’autre décapité par la police… Le long cortège de ses victimes, traînant leur cercueil, accompagne les lamentations de la veuve : «Depuis dix ans, je ne cesse de jeter leurs cadavres ! ». Son irrésistible beauté, son visage, «pareil à ces fleurs de pêchers qui s’épanouissent au printemps», ses lèvres «deux cerises », «sa taille de  roseau oscillant au gré de la brise » menacent d’extermination la gent masculine du village. « On est tous foutus, on n’a plus aucun gars qui dépasse ! » Expulsée par les habitants, la maudite erre  par le pays, croisant paysans et marins avant de rencontrer l’homme de sa vie, Byeon Gangsoe, un fieffé vaurien, charmeur et paresseux qui, lui, ne mourra pas… Son ardeur se limite à ses exploits sexuels, pour le plus grand plaisir de son épouse. Sous le regard outragé des totems, statues tutélaires qui peuplent les campagnes, et sous les protestations offusquées des esprits des bois, les amoureux copulent partout, jusque dans la montagne la plus reculée où ils décident de s’installer comme cultivateurs… Byeon, le bon à rien, arrache un totem pour en faire du bois de chauffage, au grand dam des autres totems du royaume qui se vengeront …

La compagnie nationale coréenne de « changgeuk » nous offre un spectacle grand format et fait découvrir au public français cette forme opératique populaire, dérivée du « pansori » théâtre parlé-chanté qui se limite à une chanteuse accompagnée d’un joueur de tambour. Mais le « changgeuk », inventé au XIX ème siècle, implique de nombreux acteurs et musiciens, et des intrigues rocambolesques. Ici, solistes et chœurs jouent une fable tirée d’une pièce érotique « pansori », Byeon Gangsoe Taryeong, avec Byeon pour héros. Le dramaturge Kim Sung-Nyo, lui, a choisi de faire de la valeureuse et obstinée madame Ong, femme fatale malgré elle, l’héroïne de ce conte.  Envolées lyriques alternent avec passages scabreux, mais le texte garde une teneur poétique exprimée par les voix qui, d’aigües, savent se faire rauques, et basculent du murmure aux rugissements ou aux trémolos avec sanglots. Prouesses vocales, jeu des solistes: Kim Ji-Suk et Lee So-Yeon pour Ong ; Kim Hak-Yong et Choi Ho-Seong pour Byeon sont soutenues par un chœur fourni, d’où se détachent des personnages occasionnels. Un grand orchestre souligne les jeux de scène avec instruments traditionnels, comme à cour, les kajagum à douze cordes, les komunga à six cordes et le mélancolique jaegum à deux cordes frottées, et à jardin, les percussions. La musique de Han Seung-Seok s’inspire du pansori, et mêle chants folkloriques, chansons populaires, songs à l’américaine et rap, introduisant ainsi une distance ironique. Elle mixe aussi sons acoustiques et électroniques en une symphonie contemporaine exotique.

Les séquences se passent dans un décor dépouillé, avec une chorégraphie méticuleuse, alors qu’en fond de scène, sur un écran au format changeant, des formes abstraites apparaissent projetées au rythme de l’action. Des touches de bleu ou de rouge rehaussent les costumes stylisés où le blanc prédomine. La première partie, nous entraîne dans une sorte de road-movie théâtral consacré aux périples de Madame Ong, et à son addiction au plaisir sexuel, avec épisodes coquins, scènes burlesques,  parler savoureux et évocateur : «Le cavalier et ses deux sacs accrochés» franchit «le portique de jade» ;  pénètre «la bouche édentée d’un vieux moine poilu» ; «c’est le pilon dans la rivière».

Nous suivons les péripéties avec d’autant plus d’attention que tous les éléments du spectacle possèdent une esthétique raffinée. La deuxième partie, quand les totems prennent le pas sur l’intrigue, est plus lourde, plus convenue et grandiloquente, ce qui déséquilibre l’économie du spectacle. Dommage! Mais cette comédie musicale à la coréenne a une forme originale, inédite en France et il faut saluer le talent de l’équipe de réalisation, et des chanteurs, danseurs, musiciens. On espère que la compagnie coréenne nationale reviendra avec d’autres spectacles…

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu au Théâtre des Abbesses, Paris.

 

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Dom Juan

Dom Juan de Molière, mise en scène de Jean-François Sivadier

 

   952photoL’espace nu d’un théâtre de tréteaux, avec des rideaux en plastique que l’on tire, un sol en planches de bois mobiles à construire ou à déconstruire, comme un jeu de Lego: on reconnaît tout de suite le style Jean-François Sivadier, populaire et festif : chanson mélancolique de Georges Brassens, karaoké Sexual Healing de Marvin Gaye et, comme par caprice, l’envol bluffant d’un plateau d’opéra avec boules magiques célestes, étoiles en vrac et galaxies de veilleuses interstellaires sous la voûte bleue… Et le fieffé libertin,accompagné de Sganarelle, passe par un chemin jalonné de statues antiques solennelles pour aller voir le tombeau du Commandeur. Dom Juan n’a de rival que le plus grand : «C’est une affaire entre le Ciel et moi !»
  Un prompteur suspendu décline à rebours les soixante-et-une occurrences du mot ciel dans le texte de Molière, comme si Dom Juan ne voyait en son âme qu’un dieu réprobateur, porteur de vengeance, et pressentait à l’instinct une punition à venir dans les flammes de l’enfer.
 Mais, en attendant, Dom Juan (Nicolas Bouchaud) courtise les femmes, avec un amusement sucré qui n’en révèle pas moins une attirance obsessionnelle. Figure masculine mythique presque sculptée sur pied, il se rit de toutes les belles, et va, bon enfant, jusqu’à les cueillir dans la salle, butinant de l’une à l’autre en leur contant fleurette, en quête d’un prénom aléatoire : Marie, Joëlle ou Sarah…
Encore trente ans de cette vie qui vaut la peine d’être vécue-mais subie comme une tempête dont les lais de plastique déroulés imitent la mer en colère et ses marées-fait remarquer Dom Juan à son valet.
Le maître en solitude songe à une conversion, bien loin des hypocrisies et faux-semblants. En attendant, le goujat répudie son père, se moque de son créancier, et abandonne son épouse dont les frères s’enquièrent d’un honneur à sauver.
Dom Juan aime «à batifoler», comme dit Pierrot, et s’amuse de tout, comme de ce pauvre homme rencontré dans la forêt qu’il ne parvient pas à faire jurer et auquel il jette une pièce, pour l’amour de l’humanité et non plus de Dieu. Scène censurée à la création, comme l’indique le prompteur.
La pièce résonne étrangement avec l’actualité: guerres, attentats, histoires de religion, et la mise en scène ludique et joyeuse de Jean-François a un côté farcesque. Sganarelle (Vincent Guédon) lutte contre les fourberies morales de son maître, et, en clown éclairé, extraverti et bavard, s’essaye à tous les déguisements et à des raisonnements …qui le font trébucher.

Stéphen Butel joue Don Aloze puis Monsieur Dimanche et, enfin est particulièrement attachant, un Pierrot amoureux d’une Charlotte légère et  burlesque (Lucie Valon). Marc Arnaud, lui, joue Gusman, Don Carlos et Don Louis : un honnête homme dont la maturité réfléchie n’autorise nulle faille ni dérive. Quant à Marie Vialle en Done Elvire et Mathurine, elle incarne la dignité d’être femme.
A la fin, Dom Juan, le séducteur abuseur, est projeté dans un large drap écru que les techniciens font monter dans les cintres; dans une brume de fumigènes, métaphore de temps obscurs où chacun doit trouver midi à sa porte.
Un enchantement efficace…

 Véronique Hotte

 Spectacle vu à l’Apostrophe-Théâtre des Louvrais à Pontoise, le 14 avril.

 

Concordan(s)e 2016

 

Concordan(s)e 2016, rencontres inédites entre un chorégraphe et un écrivain

 

Cette manifestation originale mariant littérature et danse (voir Le Théâtre du Blog) arrive à son terme avec les trois créations de l’année, présentées à la Maison de la Poésie devant une salle comble. L’Architecture du hasard entraîne la romancière Ingrid Thobois et le chorégraphe Gilles Verièpe dans un pas-de-deux, où les gestes naissent en écho.
Bientôt leur dialogue se mêlent à leurs mouvements, en une fiction qui croise leur biographie respective : écrivaine, et danseur. « A ma naissance, elle n’existe pas, dit-il. (…)  Il faut attendre 1.825 jours pour qu’elle arrive (…)  » ; « A ma naissance, il court déjà. Il sait aussi se servir de ses bras, réplique-t-elle ».
Lui, aux membres agiles, elle, aux pieds douloureux, ont une mère qui porte le même prénom : France, et ont le même métier: institutrice : «Au cœur de notre enfance, il y a l’école, fondue dans la maison … Nos mères épicentres, ses cours de récréation. » Le hasard fait bien les choses !
Ce ballet délicat de mots et de gestes constitue un joli et léger moment d’échange,  où se mêlent harmonieusement l’écriture textuelle et scénique, avec une sorte d’évidence.

  It’s a match de Raphaelle Delaunay et Sylvain Prud’homme

it's_a_match_r.delaunay_s.prudhomme@delphine.M-micheliLa pièce met en scène un affrontement entre une danseuse et un écrivain. Qui aura le dessus ? Raphaëlle Delaunay, de toute sa superbe, évalue le corps de Sylvain Prud’homme, teste la force et souplesse de l’homme de lettres en montant sur son dos et en lui tordant les bras. Intimidé, il s’abandonne complaisamment à ce jeu, mais s’avoue vite vaincu.
Son point fort : pas la danse, mais les mots qu’il débite dans une long et vain bavardage… « Bla bla bla », se moque la chorégraphe qui tente de le convaincre que la danse est plus efficace que l’écriture, pour prévenir la maladie d’Alzheimer, et l’intelligence du mouvement bien supérieure à celle de l’intellect. Pour accorder leurs violons, il leur faudra mener une lutte sans merci : sur le ring du plateau, les voilà lancés dans un corps à corps violent. Mais c’est pour rire. Et cette petite comédie ravit l’assistance.

 

Zéro, un, trois, cinq de Bertrand Schefer, Edmond Russo et Shlomi Tuizer

zero_un_trois_cinq_edmond_russo_&_shlomi_tuizer_bertrand_schefer_©delphine_micheliIls étaient trois (deux chorégraphes et un romancier), mais deux sur le plateau. Le danseur dicte à l’écrivain ses gestes, tandis que ce dernier débite le règlement de Contredan(s)e, alors que lire serait soit disant interdit : «  Tu ne connaîtras point ton partenaire ; (…) tu ne liras point(…). Mais il ne sait, ni danser ni jouer la comédie, ni retenir un texte par cœur, à part le récit de Théramène dans Phèdre : « Le travail de l’écrivain n’est pas au présent du plateau ; je ne fais pas de slam».
Bertrand Schefer cultive sa gaucherie, encombré de son grand corps, et Edmond Russo face à lui,  paraît d’autant plus à l’aise en athlète accompli, issu du Ballet de l’Opéra de Lyon. «Tu comptais sur eux pour habiter l’espace, se plaint le romancier. »  Il y a du burlesque dans cette pièce, d’autant que Bertrand Schefer, scénariste accompli,  connaît l’univers du spectacle…

Ces courtes chorégraphies ont su tricoter habilement textes et mouvements, trouvant  dans l’équilibre instable entre l’écriture et la danse une cohérence sans prétention. Si, dans les deux dernières pièces, la danse semble avoir le dessus, les écrivains ont du répondant ; moins habiles dans leur corps, ils s’en tirent avec humour et l’on passe un agréable moment.

 

 

Mireille Davidovici

 

Spectacle vu à la Maison de la Poésie.

Les textes et notes des duos sont publiés par les éditions de L’œil d’or.

www.concordanse.com

Pour que tu m’aimes encore d’Elise Noiraud

Pour que tu m’aimes encore  d’Elise Noiraud

 

1-3Dans le noir, une voix féminine. Mathilde Rénaud présente le flash-info de 17 heures sur Radio-Forum. Faits divers locaux se succèdent : «Soulagement à Parthenay, la foire aux deux boudins aura bien lieu cette année (…) Emotion à Vivonne, où le petit Mickael a été retrouvé après deux jours de disparition. Le jeune caniche (…) a été rendu à sa propriétaire, Madame Pierrette Favard… ». Fin du journal.
Le plateau s’éclaire pour un jeu radiophonique en direct. Au téléphone, une candidate, Elise, treize ans, habitant La Mothe Saint-Héray, un coin perdu… Heureuse surprise: cette fan de Céline Dion vient de gagner ! Elle a deviné qui se cachait derrière les initiales JJG : le célèbre chanteur Jean-Jacques Goldman !

 Les dés sont lancés. Oui, la vie est un jeu, entre innocence, cruauté et belle insolence, quand on est adolescent. Et, à ce jeu, on croit dur comme fer. Le public aussi ! En une heure et demie, Elise Noiraud, auteure, metteuse en scène et  interprète, nous invite dans son univers.  Pour que tu m’aimes encore/Elise, chapitre 2 fait suite à La Banane américaine /Elise chapitre 1, (2013), avec, pour thème, son enfance.
Avec cette deuxième comédie, le public passe à nouveau du rire à la gorge serrée d’émotion. Dix-neuf tableaux, aux titres évocateurs : Le soutien-gorge, J’aime Tony, Te parler deux minutes, La Boum, Caroline est mal élevée, Après le rendez-vous psy, etc. relatent  tourments, espoirs et joies de l’adolescente.
Fidèle au principe d’ «un théâtre de rien», un subtil jeu de lumières suffit à créer les diverses ambiances. La comédienne passe d’un personnage à l’autre, sans décor ou presque : une chaise et, en fond de scène, côté jardin, un coffre rempli d’accessoires.
Au cours du récit, elle confie, à plusieurs reprises, ses premiers émois amoureux  à son Journal, personnifié par une ampoule accrochée par un fil au plafond. Lumière chaude, orangée, dans la pénombre, le journal devenu «personnage-ampoule», éclaire au sens large, ces instants d’intimité, précieux pour Elise, poétiques pour le spectateur.
  Mise en scène, sobre mais fine et d’une forte intensité dramatique : Elise n’est pas en train d’écrire son journal, mais vient lui rendre visite, et l’interpeller de sa voix intérieure. Ainsi dans J’aime Tony : «Cher journal, Aujourd’hui j’avais mis ma petite jupe bleu marine, à fleurs blanches. Celle que Maman m’avait achetée pour le baptême de Pierre-Etienne.»
Dans Mickael Lambeau : «Cher journal, ça y est, Caroline a embrassé un garçon!! C’est Mickael Lambeau.(…) Il vient de Paris ! (…) Son père travaillait à la télé à Paris, alors il connaît très bien plein de stars, Michel Drucker, Jean- Pierre Foucault, Lagaf… Il m’a dit qu’il a même déjà croisé Céline Dion dans la rue ! (…) Malheureusement avec ses parents, ils ont dû déménager, car son père a changé de travail, maintenant il est comptable à la COGEP à Saint-Maixent.»
A travers les mots de la jeune fille et son univers intime, tout un entourage familial (la mère, femme au foyer déprimée) mais aussi provincial se déploie, avec une vérité et une énergie folles.
Entre comédie et performance, Elise Noiraud réussit à emporter le public bien au-delà du monde de l’adolescence, qui se réjouit de ce spectacle destiné à tous les âges.

 Elisabeth Naud

 Comédie de Paris, 42 rue Fontaine 75009 Paris. T : 01 42 81 00 11, jusqu’au 25 juin.

 

Constellations de Nick Payne

Constellations de Nick Payne, mise en scène de Marc Paquien

 

VIC16032210Les théories actuelles de la cosmologie conçoivent l’existence de mondes multiples : un «multivers». Alors que notre univers, selon la physique quantique, défini comme l’ensemble de ce qui nous est causalement connecté-une sphère centrée sur la Terre, de quelques dizaines de milliards d’années-lumière de rayon, serait une parcelle infime de ce méga-monde. L’existence de copies  à l’identique de notre propre Univers pourrait, avec une certaine probabilité, exister quelque part.
Constellations de Nick Payne, sensible à la cosmologie contemporaine, est aussi une comédie sur la rencontre amoureuse entre une physicienne et un apiculteur, mais aussi une réflexion sur les mystères de l’existence, sur la vie et la mort. La pièce avait été créée en France par Arnaud Anckaert.
Pour Marc Paquien, les épreuves que subissent des amants ont des versions identiques mais aux  subtiles variations, avec une répétition vive et foisonnante, une récurrence ré-envisagée toujours. Un jeu, une danse tournoyante et ludique de duos d’amour en métamorphose.
La constellation, groupement d’étoiles vu de la terre, est ainsi comme versée en miroir et reflétée sur le plateau nocturne et glacé, suspendu dans le vide, figure ovale de galaxies, disque sauvé grâce à l’énigme d’un souffle animé et étoilé.
Marie Gillain et Christophe Paou diffusent toute la tendresse attendue d’un couple d’amants qui évolue avec  délicatesse et émotion. Ils bougent dans l’espace avec  des mouvements sûrs, tous deux installés sur un cercle stellaire, pour des échanges vivaces, ludiques et furtifs. Avec une carte du Tendre ici largement déployée : rencontre, éloignement, bouderies, séparation, retour : partages temporels précieux  avec une présence au monde accordée dans l’intensité de tous les instants.
Insouciance, candeur et oubli de soi, les comédiens offrent toute l’humanité dont ils sont capables, jusqu’à recevoir les ratés et les troubles étranges que dispense la vie : maux pernicieux d’un corps fragile et et de l’âme.

 La jeune femme mélange peu à peu les syllabes et fait se heurter les mots : «fou vert» pour «feu vert»… jusqu’à user de la langue des signes. Or, l’ami retrouvé reste présent auprès de sa compagne et fera tout avec elle, pour atteindre et toucher d’autres constellations qui puissent percer la belle voûte bleue.
Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand se souvient de l’admiration «de ce firmament splendide du giron des forêts américaines, ou du sein de l’Océan». Depuis son plateau céleste, Constellations diffuse avec subtilité, l’histoire du monde et des êtres : l’infini de cette rencontre qui circule en chacun de nous…

 Véronique Hotte

 Théâtre du Petit Saint-Martin, 17 rue René Boulanger 75010 Paris. T : 01 42 08 00 32

 

Cioran/Entretien, d’après Entretien avec Léo Gillet

Cioran/Entretien, d’après Entretien avec Léo Gillet, adaptation et mise en scène d’Antoine Caubet

 imageDans un modeste restaurant de style rétro, un homme, attablé, sans doute le dernier client, va dialoguer une heure durant avec une jeune femme: journaliste, serveuse ou simple cliente, on ne sait. Elle compulse des livres, en cite des passages, à commencer par leurs titres: Sur les Cimes du désespoir, Précis de décomposition, La Chute dans le temps,  Syllogisme de l’amertume, De l’inconvénient d’être né … « Il n’aime pas la vie ce monsieur , dit-elle »
  L’homme lui répond qu’il les trouve en effet un peu trop voyants, que ces textes sont des règlements de compte. Ainsi commence le spectacle écrit à partir d’une interview de l’écrivain, menée par Léo Gillet, un intellectuel hollandais francophone, en 1981, à la Maison Descartes d’Amsterdam, devant un public attentif et rieur.
Ses interventions traduisent en effet une liberté d’esprit et un humour caustique, en particulier vis-à-vis de lui-même, et démentent sa réputation de solitaire désespéré, véhiculée par ses œuvres. Il répond avec une sincérité détachée : « C’est une sorte de cuisine que je vous révèle. »

  La mise en scène sobre, ménage au fil de cet échange intelligent, des ruptures qui correspondent aux thèmes abordés par l’animateur :  l’ennui, expérience même du néant qui mène à la plénitude par le vide, comme dans le bouddhisme: «C’est comme se guérir de tout »; l’insomnie :«une catastrophe qui vous met en dehors des vivants »; l’écriture, sa seule activité, et encore, par petits fragments, «chaos d’instantanés»,  «parce que je suis paresseux, admet-il .» Il conseille d’ailleurs de «ne jamais lire un livre d’aphorismes d’un bout à l’autre ».
  Pour lui, l’histoire se déroule mais n’a d’autre sens que d’enchaîner les catastrophes : comme dans les pays de l’Est, toujours envahis, jamais maîtres de leur destin. Telle sa Transylvanie natale, tantôt hongroise, tantôt roumaine ou allemande… Un paradis d’innocence, peuplé de bergers et de paysans, d’où il fut arraché pour le lycée de Sibiu (voir Le Théâtre du Blog).
Quant au suicide, «c’est une pensée qui aide à vivre; elle vous permet de tout supporter». «Ne soyez pas désespéré, lance-t-il à l’assistance, vous pouvez vous tuer quand vous voulez. »

  L’interprétation nuancée de Christian Jéhanin révèle l’homme derrière l’écrivain : un moraliste, nourri aux maximes de La Rochefoucauld, Chamfort et Joubert. Sincère et jovial, il semble ne rien cacher de sa vie,  expérience où s’ancre sa pensée. Sauf son enthousiasme pour les thèses nazies, qu’il a exposé dans Eloge de la Barbarie, recueil d’articles écrits entre 1933 et 1941, et que Léo Gillet a eu le tact de ne pas évoquer.  Emile Cioran explique cependant qu’il n’a jamais revu la Roumanie après la guerre, et qu’il a alors choisit d’écrire en français.
Pour lui, «la seule patrie c’est la langue». Il raconte, dans un très beau passage : «  En France j’ai compris ce que signifient manger et écrire. En Roumanie on mange pour manger, et «on écrit pour dire quelque chose, sans conscience de l’acte d’écrire». Confession joyeuse, nourrie d’anecdotes intimes, à l’ombre de laquelle se profilent une noirceur fondamentale, l’obsession du suicide, et le drame de la solitude, qui donne un bel éclairage sur l’œuvre de celui qui nous quitta en 1995, emporté par la maladie d’Alzheimer, avant d’avoir pu mettre fin à ses jours.
  Le parti pris de construire «une petite fiction en dehors du texte de l’interview» ne se justifie pas vraiment. En entretenant le doute sur la fonction de l’interlocutrice d’Emile Cioran,  et en en faisant un personnage théâtral, le metteur en scène complique et alourdit inutilement ce dialogue. Malgré cette réserve, on prend plaisir auvoyage dans une pensée en mouvement, vive et parfois paradoxale : «Je me suis toujours considéré comme irresponsable, disait Emile Cioran. Donc pour moi écrire, c’est dire ce que je veux. Quitte à me contredire, ça n’a aucune importance. »

 Mireille Davidovici

Théâtre de l’Atalante, Paris, jusqu’au 18 avril.
Le texte est tiré d’Entretiens, Cioran Gallimard (1985).

 

Bovary, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues

Bovary, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues, d’après Madame Bovary de Gustave Flaubert et Le Procès Flaubert, traduction française de Thomas Resendes

 

Bovary-1358-SylvainDuffardMadame Bovary est l’héroïne mythique du roman éponyme publié en 1857. L’auteur s’est emparé d’un fait divers qui avait défrayé la chronique normande sous Louis-Philippe: le suicide par empoisonnement de l’épouse d’un officier de santé. 

L’œuvre-quatre années de travail ardu- est la biographie imaginaire d’une bourgeoise de province. L’écrivain dit faire œuvre d’anatomie et décrit  une société dont les rouages vont peu à peu étouffer l’héroïne de cette bourgade, et la mettre à mort.

 À partir des rêves romanesques d’une jeune fille sensible et avide de lectures, qui a fait un mariage banal avec un petit bourgeois sans prétention mais amoureux d’elle, l’auteur rend tangibles l’ennui provincial, les  rêves érotiques et d’envol céleste qui mèneront l’innocente dans les bras successifs de deux amants qui, finalement, la décevront. Gustave Flaubert décrit ici le monde avec objectivité, sans épanchement lyrique. Son style s’insinue, diffractant la lumière de l’instant qui varie à l’infini, tels les yeux changeants d’Emma, dans les personnages, paysages ou objets: signes authentiques de la modernité d’une écriture mise au service de la sensation du monde. Avec humour, ironie, dérision et satire, l’écrivain avoue être à la fois homme et femme, amant et maîtresse, époux éconduit…

Fasciné par Madame Bovary, l’auteur et metteur en scène Tiago Rodrigues, directeur du Théâtre national de Lisbonne, a adapté ce classique: il a un rapport inné de la littérature au théâtre,  et a  mis en scène le procès intenté en 1857 à Gustave Flaubert, pour outrage à la morale publique et religieuse, et aux bonnes mœurs. Mais finalement le tribunal les acquittera de la prévention portée contre eux et les renvoie sans dépens. «Dans ces circonstances, attendu qu’il n’est pas suffisamment établi que Pichat, Gustave Flaubert et Pillet se soient rendus coupables des délits qui leur sont imputés… »

 
L’œuvre originelle renaît étrangement sur scène à travers ce spectacle, tissage savant des trois fils : juridique avec la langue des avocats, artistique, avec des extraits du roman, et intime quand  le metteur en scène évoque un Gustave Flaubert amoureux, à partir de sa Correspondance.

Sur le plateau jonché de feuilles blanches du roman, métaphore de sa lente élaboration, de fins châssis sur pied, garnis de disques translucides assemblés,  évoquent l’officine du pharmacien Homais, ou bien, regroupés et fermés en fond de scène, le fiacre de l’adultère avec Léon.
Ruth Vega Fernandez, actrice suédoise d’origine espagnole et que l’on a vue au T.N.P., incarne l’avocat impérial Ernest Pinard, et prend le public à témoin ; sa dureté arrogante et le simplisme d’une pensée bridée font écho à l’état d’une société conventionnelle et  moraliste.
Elle arpente à vive allure le plateau et l’avocat (David Geselson) au raisonnement subtil et maîtrisé tente d’expliciter l’esthétique flaubertienne à son interlocuteur qui ne veut guère écouter, inapte à toute vision artistique. Il interprète aussi un des deux amants d’Emma, et le brave pharmacien Homais, bavard et satisfait. 

Quant à Jacques Bonnaffé, il est à la fois Gustave Flaubert comme on aime l’imaginer et un Léon, rêveur, gauche et emprunté. Madame Bovary, jouée avec grâce et liberté par Alma Palacios, se laisse aller à  une ivresse onirique lors du bal, dansant avec fiévre. Jacques Bonnaffé lui répond  en dansant aussi un peu, empêché encore de se livrer vraiment, et bloqué par la vérité flagrante de sa créature échappée qu’il laisse exister  librement.
Gustave Flaubert a accordé tous les droits à son égérie : parcourir l’existence, obéir à la force du désir et à la réalité de son corps, éprouver le monde enfin,  malgré le regard des autres. Parmi eux, l’époux malheureux: Charles Bovary  qu’interprète, efficace et humain, Grégoire Monsaingeon; il sait jouer la maladresse de gens du terroir  mais créer aussi l’univers sonore des comices agricoles: bêlements de chèvres, beuglements de vaches et caquètements de poules, en duo avec Jacques Bonnafé.

Un très beau spectacle, au souffle vif et  sensuel.

Véronique Hotte

Théâtre de la Bastille, jusqu’au 17 avril, et du 3 au 26 mai. T : 01 43 57 42 14
Le texte de la pièce est édité aux Solitaires Intempestifs

 

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Naked Lunch, chorégraphie de Guy Weizman et Roni Haver

Naked Lunch, chorégraphie de Guy Weizman et Roni Haver en anglais, surtitré en français,adaptation de Naked Lunch (Le Festin nu) de William Burroughs, musique de Yannis Kyriakides

   IMG_9461Cette adaptation dansée, jouée et chantée de cette œuvre de William Burroughs marque d’une pierre blanche la première venue en France de ces chorégraphes néerlandais, qui ont d’abord été danseurs à la Batsheva Dance Company.
 Mettre en dialogues, en scène et en musique ce livre-référence de la beat generation, publié en 1959, mettre en images l’addiction à l’alcool et aux drogues : entreprise osée… Le 6 septembre 1951, à Mexico, l’écrivain, drogué, voulant jouer à Guillaume Tell, tue sa femme d’une balle dans la tête, épisode qui servira de trame à la pièce. D’entrée, l’un des personnages annonce: «On en a pour une heure trente… Vous comprenez, il y en a du monde sur scène. Ce plateau est immense, rien que pour le traverser, il faut une minute et demi. On a aussi une femme enceinte et elle ne peut pas danser trop vite… Et tout le monde voulait un solo de deux, trois minutes.»
Cette création nous emporte dans un vent de folie, avec une chorégraphie remarquable de précision, sur une musique hallucinée de Yannis Kyriakides. Trois excellents percussionnistes, trois chanteurs impressionnants de mobilité, trois danseurs et quatre danseuses, et une actrice, Veerle van Overloop (dans le rôle de la femme de l’auteur) occupent en permanence l’espace qui se transforme grâce à un jeu subtil de praticables, scialytiques à éclairage sans ombre des salles d’opération, et de châssis mobiles où sont accrochées de grandes radiographies de tête de bébé, d’un crâne transpercé de clous, d’un panoramique dentaire, et la photo d’un couloir souterrain.  

  Naked Lunch donne à voir le corps du danseur traversé par l’expérience des toxiques dans l’interzone mythique décrite par Williams Burroughs. Mais, pour peindre la folie et le délire, mieux vaut posséder une écriture chorégraphique très structurée. Comme ici, avec une rare qualité de danse, dynamique, en tension permanente, qu’elle soit individuelle ou collective. Danseurs et chanteurs, pieds nus ou en chaussettes rouges,  changent régulièrement de costumes.
 Les bouffées délirantes de personnages sous héroïne de Naked lunch se retrouvent  surtout dans les associations de mots proférées par la comédienne : «Bleu, policier, père, pute, cancer, combat, came, sexe, rêver …». Pour donner un peu de respiration à ce texte dur, le public, au milieu du spectacle, est invité quelques minutes sur le plateau, à une danse collective libératoire. Fait intéressant : un chorégraphe s’empare de l’imaginaire du drogué : cette expérience personnelle ressentie profondément dans le corps et le psychisme du sujet dépendant, l’est aussi par l’interprète dans l’acte dansé.
Et les endorphines libérées par l’effort, le poussent à se sublimer, à laisser libre son corps en mouvement; l’adrénaline, que procure la danse, le transforme, et se transforme aussi en une beauté plastique que le public vient chercher ici, et qui le pousse à revenir. Nous garderons longtemps en mémoire cette débauche contrôlée d’énergie et de vie paradoxale, puisque la toxicomanie aboutit à la mort.

 Jean Couturier

Spectacle vu au Théâtre National de Chaillot, Paris, du 6 au 8 avril.
www.theatre-chaillot.fr         

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