Music for 18 Musicians de Steve Reich

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Music for 18 Musicians de Steve Reich, chorégraphie de Sylvain Groud

Curieuse proposition que ce « concert dansé». Le public est invité à « ressentir la pièce du fondateur de la musique minimaliste américaine, de façon totalement inédite ».
Sur le plateau, l’ensemble Links et ses 18 musiciens (19 pour être plus précis !) entament la partition, toute en variations répétitives, amplifications et montées en puissance. Très organique, elle prend aux tripes et emmène dans une agréable transe.
Après quelques minutes, un groupe de danseurs traverse le plateau, amorçant de petits gestes. Derrière le chorégraphe, l’équipe du théâtre et même le pompier de service. La fièvre gagne la salle, ça et là des gens se grattent, balancent la tête de droite à gauche, se retournent, se lèvent, et leurs mouvements s’affirment.
 Bientôt, une bonne partie de l’assistance reproduit ces gestes simples, étonnée et sourires aux lèvres. Naissent alors des images magnifiques : des enfants, portés au-dessus du public, semblent nager et des spectateurs, debout, de plus en plus nombreux, tendent les bras le plus haut possible. Une Ola! fait tanguer la salle, et sur une musique plus rythmée, le public se lance alors dans un rock-and-roll effréné, balayé par les lumières.
Une procession se met en place pour gagner la scène où une jeune danseuse amatrice s’engage dans un solo, droite et déterminée, devant cinq cents personnes. Enfin les corps s’apaisent, se couchent, et les musiciens, un par un, quittent leurs instruments, jusqu’aux derniers coups du marimba qui a accompagné tout le morceau.
La musique se ferme tout doucement comme elle s’était ouverte, et les applaudissements jaillissent, sans qu’on sache vraiment s’ils s’adressent aux musiciens, aux danseurs amateurs, au public. Bref, pour une fois, on applaudit à 360 degrés ! Instant de communion très rare : nous avons l’impression d’avoir tous contribué au spectacle.
Le chorégraphe a fait travailler des groupes d’amateurs locaux, enfants et adultes, attribuant à chacun une séquence de cette musique savamment construite. Disséminés dans la salle, ils incitent le public à les suivre et lui communiquent l’envie de bouger diffusée par la partition. Le théâtre, un lieu de partage ? Ici, c’est plus vrai que jamais.  Des adolescents hospitalisés ont participé au spectacle après douze heures d’atelier avec un membre de la compagnie MAD. Sylvain Groud a toujours porté attention aux corps empêchés, allant jusqu’à danser à l’hôpital, s’invitant dans les chambres des patients.
Ce concert dansé reste un moment unique de communion et découverte de la musique de Steve Reich. Joie, sourires et émotion à l’issue de la représentation. On en oublierait, l’espace d’une soirée, la baisse des subventions départementales qui afflige ce théâtre flambant neuf ! Bravo pour cette programmation ambitieuse, populaire et participative. Même si tous les spectateurs ne se sont pas levés pour entrer dans la danse, personne n’est sorti indifférent de cette soirée pas comme les autres.

Julien Barsan

Spectacle vu le 7 avril au Théâtre de Sénart (77). Le 4 juin à 17h, Scène Nationale de Montbéliard T. 0 805 710 700.
Le 18 novembre à Eindhoven, Pays-Bas.


Archive pour avril, 2016

Ellipses et magie nouvelle

Festival Spring  organisé par la Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie/La Brèche à Cherbourg-Cirque-Théâtre d’Elbœuf

 

Ellipses et magie nouvelle par la Compagnie 14:20

 la-chute-aragorn-boulanger_cie1420clement-debailleul-380x258L’un des derniers spectacles de ce bon festival qui promeut les nouvelles formes de cirque en Normandie… Cela se passe au Théâtre de la Renaissance à Mondeville, un petite ville autrefois ouvrière, de quelque 9.000 habitants, tout près de Caen, où, jusqu’en 1993, prospéra la Société métallurgique.
Et dont les habitants ont bien de la chance d’avoir à leur porte une programmation éclectique avec entre autres : une soirée Offenbach par l’orchestre régional de Normandie, Hyacinthe et Rose de François Morel… et c
e spectacle d’illusion et de magie  dont les directeurs artistiques sont Clément Debailleul et Raphaël Navarro, s’ouvre, fait un peu insolite,sur quelques minutes remarquables avec Matthieu Saglio, au violoncelle et Madeleine Cazenave  au piano, devant une salle des plus attentives; on retrouvera ces musiciens accompagnant plusieurs numéros.
Il y a d’abord, imaginé par Etienne Saglio un petit morceau de tuyau d’une dizaine de cms de diamètre qui sort magiquement d’un chapeau haut-de-forme posé sur une table, puis s’en va faire un tour…Petite mais magnifique entrée en matière.
Greg Lackovic  interprète Raymond Ramondson, un magicien clownesque qui rate la plupart de ses tours-vieux numéro bien usé!-mais, à vouloir être comique à tout prix, il a bien du mal à être convaincant, même si, gestuellement, il  se montre très à l’aise.

  Beaucoup plus intéressante: la performance corporelle d’Aragorn Boulanger (photo ci-contre) qui prend des poses avec une précision absolue, poses qu’il transforme radicalement en quelque secondes et grâce au noir qu’il télécommande, sur la musique de Madeleine Cazenave. Sur des thèmes comme le déséquilibre, la fuite ou la disparition. Ce qui suppose une  souplesse physique et une concentration mentale de tout premier ordre…
Les numéros de cartes, qu’il s’agisse de magie traditionnelle ou nouvelle, relèvent toujours de quelque chose de fascinant. Mais ceux d’Arthur Chavaudret,jeune magicien qui parait avoir dix-huit ans, passionnent vite les spectateurs. Entre autres, ce numéro où il choisit deux garçons et deux filles dans la salle qu’il place autour de lui. Grâce à une caméra et un grand écran, nous assistons à cet impeccable numéro de « close-up » à quelques mètres.
Il demande à une des jeunes filles de choisir une carte dans le jeu, de la marquer de coups de crayon et de la montrer au public. Il étale le jeu sur la table et fait bien constater que cette carte en a disparu. Comme on peut  le voir à l’évidence sur l’écran.
Il s’en excuse mais pense qu’elle est peut-être dans la poche intérieure de sa veste, dont, bien entendu, il la tire aussi sec. Classique mais éblouissant! Tonnerre d’applaudissements.
  Le numéro suivant ne participe pas vraiment de la magie, quoique! Philippe Beau  a en effet le pouvoir de créer avec ses  seules mains, un espace de rêve poétique de la plus grande intensité. Un grand écran blanc et un petit projecteur pour réaliser une série d’ombres : animaux,  personnages solitaires, ou en couple. Comme dans un sorte de courte chorégraphie virtuose qu’enfants et adultes regardent absolument fascinés « L’imagination, disait Karl Kraus, a le droit de se griser à l’ombre d’un arbre dont elle fait une forêt ».. 
Etienne Saglio manipule toute une série de boules lumineuses de plus en plus nombreuses, jusqu’à dix, semble-t-il,et aux magnifiques trajectoires comme autant d’étoiles filantes. Numéro enrichi de techniques numériques, dit le programme. Qu’importe: un résultat bluffant, et là aussi d’une rare poésie, plus qu’ensuite, sa manipulation décevante d’une plaque de polystyrène assez répétitive sur fond de piano…
Au total,  le dénominateur commun  à tous ces numéros semble bien être un détournement de la réalité avec une palette d’émotions que crée un magicien avec l’aide de la musique en direct. « Il joue, dit Jacques Delord, d’abord une histoire merveilleuse où l’effet magique n’est que langage. Un langage qui touche au cœur, à cette réserve d’émotion que les hommes et les femmes portent depuis avant leur naissance et qu’ils conserveront jusqu’au terme de leur vie. Le rôle du magicien consiste à réveiller la magie qui dort en l’autre. »

Contrat ici bien rempli devant un public, n’ayons pas peur du mot: populaire  de cinq à soixante-dix huit ans au moins. Ce qu’arrive rarement à faire le théâtre contemporain qui tend, de plus en plus, à être un endroit élitiste où se retrouvent les professionnels d’un certain âge, comme pour se rassurer sur leur avenir…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 2 avril au Théâtre de la Renaissance de Mondeville (Calvados)
www. Festival-spring.eu

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2500 à l’heure, texte et mise en scène du Théâtre de l’Unité

2500 à l’heure, texte et mise en scène du Théâtre de l’Unité

 

  l1084322Pièce faussement pédagogique, façon «histoire du théâtre pour les nuls», le spectacle mythique du Théâtre de l’Unité est de retour. Son credo ? Un véritable «service public» comme l’affectionnait Jean Vilar, le chantre du théâtre populaire. Initialement montée en 1997 «pour l’instruction d’une lycéenne», il avait connu alors un beau succès à Avignon, puis en tournée en France et à l’étranger. L’an dernier, Le Channel de Calais et le Centre Dramatique National de Besançon lui ont à nouveau déroulé le tapis rouge, et une troupe de Rio l’a même adaptée en version brésilienne.
A Athis-Mons, au Centre culturel des Portes de l’Essonne, le spectacle a été choisi pour tourner la page théâtrale d’un établissement qui va bientôt changer de structure administrative.
Ici comme ailleurs, les réjouissances débutent avant l’ouverture du rideau rouge. b
Une ouvreuse revêche et autoritaire ne vend ses programmes qu’aux gens cultivés «pour ne pas gâcher » ! Et il faut montrer patte blanche en répondant à une question. Depuis le premier succès du Théâtre de l’Unité,  La 2 CV théâtre (1977), jusqu’au Parlement de rue avec un essai dit « crash-test » démocratique créé cet été au festival d’Aurillac, Hervée de Lafond joue sa partition préférée : la présentation du spectacle en maîtresse de cérémonie cinglante qui garde l’œil sur la montre et la bienséance.
  Ici,  son ton altier récolte tout de suite des rires nourris, et le public s’amuse de ses vertes réprimandes aux retardataires, ainsi qu’à une dame au foulard jugé mal assorti au manteau, alors qu’«on se doit de s’habiller quand on sort au théâtre ».  Le pompier de service réclame des entraînements de sécurité qui sonnent de façon étrange, en ces temps d’état d’urgence. Un agent de sécurité (Goobi) réprimande sur scène une gamine qu’il accuse de fumer en cachette. (Hervée de Lafond en profite pour tirer des bouffées de cigarettes qui font un peu grogner certains) et confie un encombrant escalier mobile à un spectateur des premiers rangs… Le climat est gentiment goguenard et irrévérencieux.
Quand le spectacle débute, avec, au programme, une révision de 2.500 ans des plus beaux moments de l’art dramatique, la cause est acquise : «Un être humain, les mains vides, qui va se présenter à vous, c’est ça le théâtre. » L’émotion est déjà palpable.
Cela débute par une belle mise en abyme de Rita Burattini (au corps plastique, toujours en métamorphose) qui joue Nina de La Mouette d’Anton Tchekhov, mais avec  les affres de la mauvaise comédienne.
On nous le répète, au cas où on n’aurait pas entendu la première fois : «Il faut des formes nouvelles. Si elles n’existent pas, il vaut mieux que rien n’existe.»On croirait entendre le slogan : «L’Unité, c’est toujours autre chose ! »
 Tout y passe : dans un ordre aléatoire et foutraque, défilent devant nos yeux ébahis, les phallus des Dionysies, les meilleures répliques de Racine, Molière et Shakespeare, un savoureux quiproquo façon vaudeville (truculent Xavier Chavaribeyre qui finit déculotté), la parabole du cigare de Bertolt Brecht (vite expédiée, mais peu claire pour les non-initiés), les moines de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire avec les premiers mystères (XIème siècle) auxquels les  enfants sont invités à participer : hommage aux acteurs amateurs…
Heureusement, de temps en temps, Jacques Livchine, à la diction volontairement didactique (il n’aime guère les nouvelles générations de comédiens qui mangent leur texte!), sort son chevalet pour faire un point sur le vocabulaire. Signés Claude Hacquart, cinq grands modules verticaux et des tréteaux, teintent les saynètes d’une couleur particulière: Grèce ancienne, Comédie-Française, ou contemporaine. L’ensemble fleure bon le théâtre de rue : agitation, artisanat, modestie, mais aussi immense désir de plaire et de faire rire.

 Le marathon, avec certains gags « énaurmes » est parfois frustrant. Ici ou là, la fragilité exhibée se révèle très touchante : un corps dénudé, un masque, un clin d’œil au polonais Tandeuz Kantor, et l’image d’un tout petit théâtre de marionnettes. Une complicité omniprésente: les comédiens mentionnent aussi les coups de  cœur qu’ils ont reçus comme spectateurs.
Jacques Livchine (voir le site du Théâtre de l’Unité) prétend qu’il n’en a pas eu de véritable depuis le début du XXIème siècle. Vraiment ? Nous réfléchissons… Et nous, que garderions-nous ?
Nasser, jeune spectateur félicité pour sa tenue chic (nœud papillon), se voit bombardé vendeur de textes à la fin du spectacle. Hervée de Lafond répète le protocole : saluts, applaudissements, puis tout le monde doit rentrer. Mais le public traîne… et n’a pas envie de partir. On s’est senti chez soi. On s’est souvenu pourquoi on aimait tant ces gens forts et vulnérables qui nous racontent des histoires. On est si bien ensemble…

Stéphanie Ruffier

Spectacle vu à Athis-Mons (Essonne), le 7 avril : Auxerre, les 13 et 14 décembre.
www.theatredelunite.com

Le cirque Romanès

Le Cirque Romanès

rose-Reine-RomanesInstallé depuis vingt-deux ans à Paris grâce au soutien de la Mairie, il nous offre régulièrement des spectacles aériens insolites, conçus autour de Délia et Alexandre Romanès et de leurs six filles, d’un orchestre tzigane  et d’acrobates. Ils ont souvent déménagé, mais après leur installation, square Parodi à la Porte Maillot en juin 2015, ils ont subi vandalisme, vols, fenêtres défoncées, détériorations, et surtout une chute de fréquentation…
Pourtant, le quartier semble tranquille autour de ce joli parc où est planté leur chapiteau écarlate. Nous sommes accueillis avec chaleur, et Alexandre ouvre la soirée: «J’ai mis ma veste de pyjama, vous pouvez laisser sonner vos téléphones portables… »
Vont se succéder, accompagnés par un orchestre d’une dizaine de musiciens qui joue en continu, hormis de courtes interruptions pour les numéros les plus périlleux,  de courts numéros: sept filles splendides aux cerceaux, des numéros de jonglage à trois, six, et douze balles, une petite fille à la corde volante, un jongleur/ danseur aux quatre cerceaux, un autre jongleur avec des massues, une équilibriste sur une corde basse qui marche avec des talons-aiguille, et un drôle de petit chien numéro plein d’humour…
Délia chante: elle porte avec sa voix sa famille et tout le cirque. Des acrobates au mât et à des bandes de tissu, une gitane blonde aux sangles, des équilibristes sur la tête: bref, un spectacle généreux qui ravit l’assistance dont une spectatrice qui revient chaque semaine depuis 2015.
« Pourquoi j’ai écrit ? L’écriture n’est pas une tradition gitane, écrit Alexandre Romanès dans Sur l’Epaule de l’ange. La poésie me semblait trop haute pour moi, inaccessible, et puis la vie, je voulais la vivre, pas l’écrire. Je m’étais fait une raison mais pas le ciel. Lentement, au rythme des saisons qui passent, j’ai rempli un cahier d’écolier. Ce que je sais, c’est qu’il y a des poètes que j’admire. Peut-être que je n’ai pas supporté de les voir passer. J’aurais voulu être l’un des leurs. »

Edith Rappoport

cirqued.jpgSpectacle tous les week-ends, square Parodi, rue de l’Amiral Bruix, Paris. Métro: Porte Maillot. T: 01 40 09 24 20/ 06 99 19 49 59.


Pour aider le Cirque Romanès qui doit finir de rassembler 60 000 €:
https://www.helloasso.com/associations/les-etoiles-multicolores/collectes/soutien-au-cirque-tzigane-romanes
Sur l’épaule de l’ange, Paroles perdues et Un peuple de promeneurs d’Alexandre Romanès sont  publiés chez Gallimard.

Postérieurs (le futur n’existe pas, mais des futurs insistent)

Festival Étrange cargo à la Ménagerie de verre à Paris :

Postérieurs (le futur n’existe pas, mais des futurs insistent) chorégraphie et mise en scène de Pauline Simon

 g_Menagerie16EtrangeCargo02bSimonOn l’aura compris avec ce titre qui joue la distance, mi-factieux, mi- jargonneux, cette nouvelle création construite sur le principe du temps qui se mord la queue, et truffée de références mythologiques et philosophiques, propose d’explorer le futur sous un angle nouveau, «comme caché dans notre dos, niché dans un angle mort», «un espace suspendu entre mythe et anticipation, où le temps est un martèlement ». Soit.
Sur le plateau nu d’un espace au plafond écrasant, sont ainsi convoqués des corps-matières échassiers en bretelles et fuseaux noirs, une femme barbue un peu Daft Punk, chevelure longue dépassant d’une visière opaque et un chœur qui cligne des yeux et lorgne en direction d’un chant de l’opéra chinois Dieu travaille.

  Dans un monde blanc post-apocalytique, entrées et sorties se multiplient, et, ici ou là, apparaissent un dauphin en plastique gonflé à l’hélium, un bébé-sac éventré, des résurgences de danse-contact et de batterie que la chorégraphe affectionne, un haka-flamenco… L’ensemble très référencé (trop) et l’ironie omniprésente provoquent quelques rires mais gênent une véritable adhésion à «l’objet».
Scène significative et pertinente : la conférencière donne à voir le fameux «sentiment océanique» de Romain Rolland, ce lien fort au grand tout pouvant être envisagé comme une expérience mystique, mais aussi, plus prosaïquement comme une sensation simple et extrême d’harmonie avec la nature. Avec un commentaire de tableaux chorégraphiques illustratifs tout à fait exquis : «On peut s’abîmer longtemps dans la contemplation d’un paysage de cette vigueur. »
Les spectateurs jubilent du décalage entre image et discours : la mer et la falaise, la niña et el nino, ainsi que l’ex-voto représentant Janus concentrent toute la grâce et le grotesque assumés du projet. On retrouve ainsi avec plaisir les recherches sur la médiation, la fausse traduction-drôlatique et poétique du sur-titrage de l’histoire d’un enfant qui s’appelle Kinder.. Des percussions, une dernière sarabande à l’instabilité intéressante, en ombres chinoises, et c’est tout.
Pas aussi audacieux et cohérent que Sérendipité, ce futur-là n’est guère lisible. Un peu fumeux comme une boule de cristal.

 Stéphanie Ruffier

Spectacle vu à la Ménagerie de verre à Paris le 6 avril.

Festival Temps d’images de Montréal: Pauline Simon

Sérendipité chorégraphie et mise en scène de Pauline Simon

 

serendipité   La « sérendipité », comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous la pratiquons tous, en nous égarant sur une page de la Toile que nous n’avions pas prévu de visiter. Trouver ce qu’elle ne cherche pas, cheminer vers l’inattendu: Pauline Simon, cette touche-à-tout formée à la danse contemporaine au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, se plaît à mixer chorégraphie, théâtre et nouvelles technologies.
Guère étonnant que l’Usine C, centre de diffusion pluridisciplinaire à Montréal, ait choisi de présenter son travail en février dernier, lors de la dixième édition de Temps d’images festival international qui explore de nouvelles formes de performance artistique.
Le spectacle débute sobrement par un face-à-face avec le public. Un regard, une toux, un geste ou un chuchotement  parmi les spectateurs suffisent à modifier les déplacements de l’interprète, en solo. Comme en danse-contact ou en biodanza, un effleurement sonore et tactile (ici le spectateur est invité à toucher le corps de Pauline Simon avec un micro) suffit à déclencher le mouvement d’une improvisation chorégraphique.
Réagir au vivant : l’idée n’est pas neuve, mais son extension à l’univers numérique, lieu de tous les possibles,  tout à fait judicieuse. Google s’intègre avec maestria dans le processus créatif. Sur le plateau, une scénographie de type « travail en cours » ,avec ordinateur et lampe sur une table met à l’honneur le fameux moteur de recherche diffusé sur un écran vidéo en arrière-fond.

 Après s’être installée au bureau, la performeuse pianote. Chaque amorce d’écriture dans la barre blanche fait défiler comme un poème vertical, nos formulations de recherche. Un «j» fait naître une multitude de marques commerciales. Un «J’ai l’immense plaisir de» ouvre d’autres propositions.
La moindre correction dans une phrase déroule recettes de cuisine, envies de maigrir, etc. Avec sa poésie involontaire, ces échos savoureux à toutes nos recherches internet : sexe, suicide, citations célèbres, paroles de chanson, spiritualité, etc. offrent une image saisissante de notre monde, de nos hantises, et des résidus de beauté : ah! le vers : « Ton souvenir luit en moi comme un ostensoir » qui surgit au détour d’une expression triviale, ou les particularismes québécois comme la fameuse chaîne de pharmacies Pharmaprix.
  Le clavier numérique interprète sous nos yeux une véritable fugue à géométrie et rythme variables. La médiocrité percutant la grâce…  Dans cette boucle infinie, hésitations et envolées de la création elle-même sont, bien sûr, soulignées, avec clins d’œil appuyés au spectacle en train de se faire. Un peu de non-sens à l’anglaise, un écho à la musique sérielle et aux recherches de John Cage, et coqs-à-l’âne à la Eugène Ionesco: les mots se font matière dansante, sentiers mouvants à suivre ou à abandonner. Beau et enthousiasmant.
Si, du point de vue chorégraphique, il n’y a rien de très novateur, cette joie de la pérégrination langagière vaut le détour. La présence magnétique, singulière et décalée de Pauline Simon aussi, qui ouvre des pistes qu’on a bien envie de suivre !

 Stéphanie Ruffier

 Spectacle vu à Montréal à la dixième édition de Temps d’Images.

On ne sait comment de Luigi Pirandello

On ne sait comment, de Luigi Pirandello, mis en scène de Marie-José Malis

 

 on_ne_sait_comment1cdenise_oliver_fierroLa dernière des pièces achevées du grand dramaturge sicilien, écrite en 1935 donc juste avant Les Géants de la montagne, a pour thème une situation proche d’un chassé-croisé entre deux couples amis et fidèles,  et un cinquième larron.
  Le jour où Roméo, marié à Bice, couche avec Ginevra, la femme de Giorgio, son ami marin parti en mer, tout bascule et rien ne va plus. Les autres et lui-même ne cesseront de dire qu’il est devenu fou …
Mais de la folie parfois, surgit la vérité inaccessible.  Roméo a mauvaise conscience et accuse son épouse d’accepter les avances de l’ami. Il se méfie des siens, prétextant voir en chacun l’auteur d’un crime inavouable. Lui-même dans son enfance (il prend à témoin Giorgio) n’a-t-il pas été criminel envers un enfant ?
Marie-José Malis met en scène un théâtre qu’elle veut à l’écoute de la parole de l‘autre.  Où est sa vérité? Est-il franc, toujours conscient de son identité, ou porte-t-il un masque d’hypocrite ?
 L’humanité secrète des aspects sombres et inquiétants, mais aussi lumineux et sereins. Commettre un «crime» en pensée est aussi blâmable que le commettre en réalité.

« Pourquoi l’as-tu dit ? », demande Bice à Roméo qui vient d’avouer à Giorgio qu’il a fait l’amour avec Ginevra : chassé-croisé qui ne devait plus exister qu’en pensée. La réalité a des conséquences que l’on doit taire pour ne pas blesser.
 Roméo venait de dire que les femmes en savent le plus long. Mais elles se taisent et Pirandello/Roméo a maille à partir avec cette vérité-là.
 Marie-José Malis, directrice du Théâtre de la Commune, estime urgent «d’aller au cœur des ténèbres, vers le point noir de l’âme humaine, ce cœur abject et indistinct d’où vérité et mensonge sont indiscernables, ce cœur de notre époque, relativisme, nihilisme complaisant, goût de l’ironie et de la délectation morose».
Un geste suffirait pour que, retombé sur ses pieds, chacun retrouve une humanité perdue. La question des rapports amoureux renvoie à celle du pouvoir: les personnages fragiles et si proches d’On ne sait comment, que jouent Pascal Batigne, Olivier Horeau, Sylvia Etcheto, Victor Ponomarev et Sandrine Rommel, se révèlent capables d’une douceur incroyable  mais aussi d’une grande violence verbale.

Ils tissent face au public, et dans la lumière de la scène comme de la salle, la matière existentielle-la nôtre-cette étoffe qui fait les songes mais ici bien vivante. Les acteurs  travaillent sur le grain de la voix, les pauses dans la parole, la sérénité d’une respiration, et le calme de leurs personnages qui, pourtant, vont se révéler secrètement meurtris. La mise en scène renvoie au spectateur la précieuse dignité d’être au monde, à l’écoute des crises intimes d’hommes et de femmes abîmés.
Une estrade, un somptueux rideau rouge de théâtre qui semble traîner, quelques lucarnes qu’on ouvre ou qu’on ferme, la musique lointaine et les dialogues d’un film populaire italien, à peine saisis : la vie…

 Véronique Hotte

Théâtre de La Commune-Centre Dramatique National d’Aubervilliers, jusqu’au 17 avril. T : 01 48 33 16 16.

Nuit chorégraphique moderne par les danseurs du Bolshoi

Nuit chorégraphique moderne par les danseurs du Bolshoi.

Bolshoi modTrois chorégraphes pour cette création: Hans Van Manen, qui avait conçu le solo Live au gala de Diana Vishneva, il y a quelques mois (voir Le Théâtre du Blog), a  réalisé Frank Bridge Variations, avec cinq danseurs et cinq danseuses, dont l’Etoile Ekaterina Shipulina, sur une musique de Benjamin Britten.
 La chorégraphie doit servir la musique,  dit-il, reprenant une phrase de Georges Balanchine: «Si vous voyez la musique, vous entendez les pas». Sur un plateau nu, les danseurs en collant de couleur se déplacent en groupe, en solo ou en duo, obéissant à une géographie de l’espace très mathématique. Une réalisation parfaite mais sans réelle émotion qui est, en revanche,  bien là dans Short Time Together de Sol leon et Paul Lightfoot, sur les musiques de Max Richter et Ludwig van Beethoven.
L’excellent danseur-étoile Vladislav Lantratov et ses partenaires interprètent avec perfection cette chorégraphie complexe, même si le propos n’est pas très lisible. Un homme en veste noire que l’on voit de dos, sorti de la fosse d’orchestre, rejoint une femme en robe blanche pour un pas-de-deux, auquel s’invite un autre danseur en complet gris, surgi de l’obscurité à jardin. L’image d’un vieil homme, projetée en vidéo  au-dessus d’eux accompagne le trio qui disparaitra pour laisser place à une porte entourée de murs rouges réduisant de moitié le plateau.  D’où sortent trois danseurs et une danseuse, tous en blanc.
 Les interprètes finissent par se retrouver sur la scène, alors que, sur l’écran, un couple de vieilles personnes entame une dernière danse. Sol Leon revendique «une chorégraphie sensible sans références biographiques particulières, très inspirée par le rouge, le noir et le blanc». 
Enfin, La Symphonie des Psaumes sur une musique d’Igor Stravinsky clôt la soirée en beauté. Créée par Jiri Kylian, avec les danseurs du Bolshoi en 2011 et reprise, après cinq semaines de répétitions, par son assistant Stefan Zeromski qui  parle «d’une pièce très fermée qui s’ouvre au monde et au ciel».

Elle fait référence aux religions : catholique, avec des prie-Dieu qui limitent la scène et sur lesquels se perchent les danseuses. Et musulmane, avec un mur de tapis de prière dressés en fond de scène. Une curiosité… Danseuses et danseurs, en robe longue, évoluent souvent de dos ou de profil. Portés, sauts, amples gestes, parfois d’une certaine sauvagerie, témoignent des qualités physiques et techniques des artistes.
Des couples se composent et se disloquent. A la fin, tous rejoignent le rideau de tapis qui s’envole dans les cintres. La  musique de Stravinsky, sous la baguette de Pavel Klinichev, et accompagnée des chœurs du Théâtre du Bolshoi, prend toute sa puissance dans cette salle historique. Émotion garantie.
  Les deux pièces précédentes auraient peut-être demandé une salle plus petite. Mais on voit que les chorégraphes ont pris un réel plaisir à travailler avec cette troupe qui sert aujourd’hui parfaitement le répertoire contemporain.  

Jean Couturier

Spectacle vu au Bolshoi  le 28 mars ; reprise du 20 au 22 mai.
www.bolshoi.ru      

Questcequetudeviens? conception et mise en scène d’Aurélien Bory

Questcequetudeviens? conception et mise en scène d’Aurélien Bory, chorégraphie de Stéphanie Fuster

  Sur de rares accords de guitare, la danseuse entre timidement en scène, dans la pénombre d’où se détache le rouge de sa longue robe à volants puis esquisse quelques pas et joue avec son costume, qu’elle quitte, manipule, naine ou géante selon sa position derrière l’étoffe rutilante, deuxième peau rigide, objet d’un trucage amusant mais peu convaincant.
Surgissent de la pénombre, un guitariste (José Sanchez) et un chanteur (Alberto Garcia) qui complètent le trio traditionnel du flamenco, danse qu’elle nous livre par bribes.  Après cette première partie volontairement saccadée et hésitante, elle se glisse dans un gros conteneur, dont la présence massive et peu esthétique rompt avec la nudité du grand plateau.
Confinée dans cette espèce de studio, elle s’exerce devant son miroir, ses talonnades (taconeo), résonnent, scandées par le chant et la musique. On peut voir par une vitre, son corps en mouvement; et son image, reflétée, brouillée, déformée, amplifiée par des jeux de lumières et de vapeur, prend des allures fantomatiques. Son corps disparaîtra noyé dans un nuage de buée ; tambourinent encore ses pas, tandis que les deux musiciens virevoltent sur la scène gagnée par l’obscurité.
Dans le dernier tableau, le plus spectaculaire, la balaora se confronte à l’eau. Ses mouvements sont comme empêchés par l’élément liquide qui  résiste mais, volontaire, elle persiste et fait naître des gerbes chatoyantes sous les éclairages d’Arno Veyrat.
«Qu’est-ce que veut dire être  danseur de flamenco ? Quelle réalité derrière ça ? La plupart du temps: être seul dans un studio minuscule et triste, et s’entrainer. Et c’est ça que je voulais : cette vérité.»
Aurélien Bory dans ce spectacle, créé en 2008 et qui n’a cessé de tourner depuis, interroge la danse en traçant le portrait de Stéphanie Fuster, et il récidivera avec la Japonaise Kaori Ito, dans Plexus en 2012, (voir Le Théâtre du Blog).
Il s’inspire ici de l’expérience de la chorégraphe qui s’est immergée  dans le monde du flamenco à Séville et qui, pendant huit ans, a travaillé tous les jours, seule, dans un studio, avant de se perfectionner auprès du prestigieux Israel Galván.
Le metteur en scène impose à la danse une certaine distance, et donne ainsi une dimension théâtrale à la chorégraphie. Pour souligner la difficulté de cette discipline, il invente des obstacles: rigidité de la robe, étroitesse du local de répétition, résistance de l’eau sont autant d’embûches à surmonter. Comme dans toute entreprise artistique.
Aurélien Bory, sensible à la question de l’espace, s’appuie beaucoup sur la scénographie qu’il a conçue. Ici, l’aménagement du plateau ne met pas totalement en valeur ce travail passionnant de décomposition et recomposition du  baile  flamenco. Mais le spectacle, servi par d’excellents artistes, nous fait découvrir cette danse  sous un angle neuf.
On retrouvera cette problématique dans Espæce, qu’il prépare pour le  prochain festival d’Avignon, à partir d’Espèces d’espaces de Georges Perec.

 Mireille Davidovici

 Le Monfort, Paris (dans le cadre du Festival (Des)illusions) jusqu’au 16 avril. T: 01 56 08 33 88 – www.lemonfort.fr
Teatre Ovidi Montllor, Barcelone, les 13 et 14 juillet au Grec Festival de Barcelona- Mercato de les Flors www.lameva.barcelona.cat/grec

Espæce, du 15 au 23 juillet, Opéra Grand Avignon.

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Iolanta et Casse-Noisette de Piotr Tchaïkovski

Iolanta et Casse-Noisette de Piotr Tchaïkovski, mise en scène et scénographie de Dmitri Tcherniakov.

iolantaLe metteur en scène russe change les repères habituels de Casse-Noisette, et en fait littéralement exploser les décors, entre le premier et le deuxième tableau: une scène très réussie qui restera longtemps dans les mémoires.
 Comme à sa création, en 1892, à Saint-Pétersbourg, le ballet est présenté ici, précédé du  dernier opéra en un acte de Tchaïkovski, Iolanta. Casse-Noisette pourrait très bien illustrer, d’un point de vue clinique, la conversion hystérique de Iolanta, tout comme il expose les visions cauchemardesques de l’héroïne du ballet, Marie.
Dmitri Tcherniakov propose une scénographie remarquable : les décors s’emboîtent les uns dans les autres, tels des matriochkas et font le lien entre les deux œuvres. Iolanta, la fille du roi René, aveugle, va retrouver la vue, grâce à l’amour. L’opéra se déroule dans un salon bourgeois russe de style dix-neuvième siècle, qui, en demi-cercle, n’occupe que la partie centrale du plateau. Fermé d’un tulle, ce salon deviendra, pour le ballet, le cœur d’un appartement des années soixante.
Iolanta commence donc dans la pièce où l’on célèbre l’anniversaire de Marie. La fête s’efface avec un glissement du décor vers le fond, pour laisser place au cauchemar de Marie : éboulements, explosions et bruits de chars dans un paysage de désolation hivernale.
La séquence de la Nuit et le pas-de-deux avec Marie (Marine Ganio) et Vaudéamont (Stéphane Bullion) sont pathétiques, peuplés d’hommes et de femmes, comme rescapés du très long siège de Stalingrad (900 jours!) en 1941 par la Wermacht.
La Valse des flocons, évoquée par des projections de neige sur les trois hauts murs et le tulle de la scène,  relève de la magie, tout comme la très esthétique scène de La Forêt.
Le Divertissement, avec sa succession de danses, plonge les personnages parmi d’inquiétants jouets géants. Les deux séquences : La Valse des fleurs et les Variations autour du pas-de-deux, se déroulent dans un espace vide. Puis, le décor du premier tableau de Casse-Noisette réapparait sur les dernières notes de musique.
Les chanteurs d’Iolanta, au jeu classique, sont remarquables sur le plan vocal, tout comme la direction d’orchestre d’Alain Altinoglu. Comme les danseurs, tous très convaincants, en particulier les deux solistes et Alice Renavand  (la mère).

Mais les trois chorégraphies restent inégales : Arthur Pita transforme l’anniversaire de Marie en une danse de salon assez banale, empreinte de références à Pina Bausch ; Sidi Larbi Cherkaoui insuffle une ambiance  poétique et nostalgique à ses pas-de-deux,  à La Valses des flocons, et à la Valse des fleurs. Mais Édouard Lock déstructure sans raison les mouvements des danseurs dans la séquence de La Nuit et  dans celle du Divertissement.
Malgré ces réserves, on assiste  à quatre heures (avec deux entractes) d’un spectacle flamboyant, conquis par la découverte de cet opéra et par cette nouvelle interprétation de Casse-Noisette.

Jean Couturier

Le spectacle a été présenté à l’Opéra Garnier du  7 mars au 1er avril.

www.operadeparis.fr          

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