La nouvelle saison du Théâtre National de Chaillot

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La nouvelle saison du Théâtre National de Chaillot

 

Didier Deschamps@Patrick BergerDidier Deschamps annonce tout de suite la couleur: “Le théâtre est l’un des lieux formidables où l’individu peut se reconnaître autour des valeurs essentielles de liberté, de justice et de fraternité”.  Mais il a aussi insisté: le Théâtre National de Chaillot restera avant tout  le Théâtre National de la danse.
Comme si de méchants petits loups, bien en cour à l’Elysée, (des noms? non pas de noms!) voulaient faire revenir le théâtre à la première place … en lui succédant évidemment à la Direction de ce grand théâtre, objet de bien des convoitises!
Fleur Pellerin est partie, reniée par l’Elysée, et François Hollande (qui n’est jamais venu voir un spectacle à Chaillot) n’a sans doute pas que cela à faire. Mais, à la question de savoir si son mandat serait reconduit, Didier Deschamps s’est dit confiant.
En tout cas, il a jusque là mené un parcours sans faute,  alors que les choses  n’étaient pas évidentes et a fait venir un large public à la danse contemporaine. Donc, en cinq ans mission accomplie avec une belle efficacité. Quant à l’avenir… Silence radio au Ministère de la Culture: la décision devrait être prise en juillet, quant au renouvellement du mandat de Didier Deschamps.
L’actuel directeur a aussi souligné qu’à l’occasion des travaux qui ont lieu à Chaillot et se feront en octobre au Théâtre de la Ville, la possibilité de collaborations fructueuses, ainsi qu’avec le Cent-Quatre.
Mais la part consacrée au théâtre dans la programmation sera cette saison des plus limitées, même si Didier Deschamps, comme pour se faire pardonner, accueille aussi Krysztof Warlikoswski avec Les Français, une étonnante et remarquable adaptation d’ A la recherche du temps perdu présentée cette saison sur quelques scènes en France (voir Le Théâtre du Blog) et de plus jeunes metteurs en scène; comme Mélanie Laurent avec Le dernier Testament, inspiré des Evangiles ou Olivier Letellier, créateur de spectacles pour enfants.
Didier Deschamps a affirmé plusieurs fois, comme dans une sorte d’exorcisme, la vocation vers la danse de Chaillot jusqu’à un quasi-monopole, qu’il entend donner à Chaillot. La nouvelle ministre de la Culture, elle, ne semble pas s’être exprimée sur le sujet. Cette orientation, suppose selon lui, qu’il ne puisse plus y avoir d’école de comédiens dans le théâtre. Mais, désolé, les faits sont têtus: L’Ecole a été supprimée sans état d’âme et d’un trait de plume, il y a dix ans-belle erreur!-par son prédécesseur Ariel Goldenberg qui ne supportait pas son existence, et n’avait jamais même voulu rencontrer les élèves de la dernière promotion! L’actuelle directrice de la Création au Ministère de la Culture alors administratrice de Chaillot, avait déjà, (elle aussi pas très inspirée non plus!) essayé (mais ce fut un bel échec!) de faire disparaître l’Ecole. C’est d’autant plus dommage que, située dans un grand théâtre national, elle fut ensuite le modèle de beaucoup d’autres, et avait beaucoup apporté à Chaillot et réciproquement. Reconstruire un nouveau modèle d’enseignement et de recherche entre danse contemporaine, technologies récentes et théâtre n’avait rien d’étrange ni de scandaleux, au contraire: dommage…

  José Montalvo restera bien lui, comme depuis 2011, artiste permanent à Chaillot et exemplaire d’une danse contemporaine accessible  à un large public; il présentera à nouveau son beau succès Y Olé, ( 2015), un spectacle où il revisite son enfance espagnole, et où se mêlent flamenco, hip-hop, Le Sacre du Printemps de Stravinski, chants traditionnels africains, et danse contemporaine.
A ses côtés, trois artistes associés, comme Rocío Molina, artiste de flamenco, Anne N’Guyen avec un spectacle de hip-hop: Danses des guerriers de la ville, et enfin Olivier Letellier, metteur en scène de théâtre que l’on a déjà plusieurs fois à Chaillot. Au total, treize créations dont huit mondiales, et quatre spectacles pour jeune public.
La programmation-danse (sans risques) reste très solide, voire brillante, avec, entre autres la Batsheva Dance company, Le Nerderslands Dans Theater, Carolyn Carlson, Brigitte Lefebvre, Jean-Claude Galotta, le Malandain ballet Biarritz, ou la reprise du  Romeo et Juliette par Angelin Preljocaj.
Plus inattendu cependant, le projet Silence initié par Dominique Dupuy, le grand précurseur en France de la danse contemporaine autour de la thématique du silence; l’idée assez prometteuse du chorégraphe est “de faire se côtoyer la pensée, la théorie et la pratique autour de propositions mêlant ateliers, paroles, gestes, images et musiques”.
  La grande préoccupation de Didier Deschamps-et on le comprend bien-est aussi de faire co-exister au mieux une saison artistique, avec ces grands travaux dont Jérôme Savary qui dirigea le théâtre de 1988 à 2000, avait bien perçu l’urgence. (Il avait déjà intelligemment fait percer un couloir  pour que le public puisse aller du grand Foyer à la salle Firmin Gémier, sans passer par les jardins du Trocadéro).
 Ce second lieu de 420 places, avec une scène peu pratique et une salle inconfortable, mal conçu en 1967 par Jean de Mailly et Jacques Lemarquet, scénographe de Georges Wilson, le directeur de l’époque, était de toute évidence obsolète, et devait faire l’objet d’une réhabilitation globale. En fait, la grande campagne de travaux commencée en juin 2014, a aussi plusieurs objectifs: d’abord, l’accès du théâtre qui se fera aussi par les jardins, comme prévu par l’architecte Jacques Carlu en 1937 mais qui n’avait jamais fonctionné, à cause sans doute du seul accès métro situé sur la Place du Trocadéro, sera remis à l’honneur.
 Ce qui permettra au public de voir aussi enfin dans le sous-foyer autrefois doté de vestiaires et de toilettes, les sculptures de Paul Belmondo et d’Aristide Maillol, les fresques peintes entre autres  par Paul Belmondo, Pierre Bonnard, Othon Friesz, Edouard Vuillard, Roger Chapelain-Midy, Maurice Brianchon… comme les voyait le public de Jean Vilar, quand l’entrée du parterre de la grande et unique salle, se faisait au niveau de la scène,  et non par le grand Foyer comme maintenant.
Mais le très grand plateau (18m de profondeur x 15m environ) de cette salle, souffre aussi d’un grave handicap: la descente des décors était des plus difficiles, à cause d’un monte-charge trop court, et d’une pente pour camions mal étudiée depuis l’avenue du Président Wilson. Elle devra aussi, dans quelques années, faire l’objet d’une révision drastique et se voir offrir des gradins en dur, ce qui permettrait d’avoir en-dessous une vaste salle de répétitions

  Travail pharaonique, financé par le Ministère de la Culture, sur ce site où nous avons pu exceptionnellement pénétrer avec Vincent Brossy, l’architecte-maître d’œuvre de cette opération: un puits de de 29 m a été creusé  dans le zone calcaire (Chaillot étymologiquement: caillou) pour placer un monte-charges digne de ce nom, capable de faire venir les décors  sur le plateau Jean Vilar et aussi, grâce au percement d’un long tunnel, dans la salle Firmin Gémier. Et enfin la révision de la pente à camions.
Ironie du sort: cette possibilité d’introduire enfin et de faire sortir correctement les décors, va se faire quand Didier Deschamps réaffirme la prééminence de la danse à Chaillot. Laquelle n’utilise, comme on le sait, que très peu de décors…
Mais tout change, et la vie, comme la Seine, en bas de Chaillot, est un long fleuve tranquille, comme dit la Bible. Enfin pas toujours! la vie, la Seine (voir la montée des eaux actuelles!) , et les scènes qui on rarement plus de deux siècles!
Et ce qui n’était pas moins indispensable, va être enfin réalisé: l’accès des personnes à mobilité réduite dans l’ensemble du bâtiment, et l’amélioration des espaces de travail, un aménagement qui est loin d’être inutile! Mais l’actuelle et petite salle Maurice Béjart redeviendra une salle de  travail, comme au temps d’Antoine Vitez qui y avait répété son sublime Soulier de satin.
La salle Firmin Gémier deviendra donc modulable (voir la photo au-dessus de ce  chantier difficile et impressionnant!) et sera finie, du moins pour le gros-œuvre, au printemps prochain. Ce gros cube, haut d’une vingtaine de mètres et dotée d’un gradinage de 390 places parfaitement mobile, sera opérationnel pour des spectacles frontaux ou hors-normes, si tout va bien, à la rentrée 2017. Et l’accueil du public se fera par le grand foyer actuel…
Emouvant: Vincent Brossy nous a montré les tonnes de pierres planquées derrière de faux murs; par manque de temps, à l’occasion de l’Exposition universelle, pour les évacuer au moment de la construction en 1937, Jacques Carlu, Léon Azéma et Louis-Hippolyte Boileau, les architectes du lieu, avaient trouvé cette solution inédite…
On peut aussi voir dans un souterrain, les portes d’entrée blindées pour faire entrer, lors de la seconde guerre mondiale, au cas où, les personnes qui auraient été gazées, et les locaux de douches pour les décontaminer. Mais qui, heureusement… n’ont jamais servi.
Le Théâtre National de Chaillot est donc aussi, un lieu chargé d’histoire, du théâtre d’abord avec Jean Vilar, Antoine Vitez, Jérôme Savary, de l’architecture, et de la peinture, mais aussi d’histoire de France au XXème siècle. Il avait  abrité les réunions des occupants allemands, puis, après la guerre, celles de l’ONU…
Ces grands travaux marqueront donc aussi une nouvelle évolution du bâtiment et donc de ce Théâtre National qui aura joué un rôle capital dans l’histoire du spectacle contemporain. La récente orientation danse, voulue par l’Etat sera-t-elle confirmée, ou y aura-t-il, comme certaines personnalités le laissent entendre, un retour au théâtre/théâtre, et aux spectacles multi-media, dans un proche avenir? Probablement, les trois à la fois. En tout cas, un seule certitude: la nouvelle Ministre de La Culture n’aura pas droit à l’erreur, quand il lui faudra renommer, ou non, Didier Deschamps. Chaillot est une grosse boutique, et emploie une centaine de personnes qui, rappelons-le, sont aussi très concernées par ce lieu qu’elles considèrent avec justesse comme leur maison!

Philippe du Vignal

Théâtre National de Chaillot. 1 Place du Trocadéro B.P. 1007-16 75761 Paris cedex 16.
T: 01 53 65 31 00.
Visite virtuelle: www.theatre-chaillot.fr/chronorama


Archive pour mai, 2016

Déjà la fin ? d’Henri-René Lenormand

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Déjà la fin ? d’Henri-René Lenormand, adaptation d’Alison Cosson, mise en scène de Patrice Bigel

 

 L’usine Hollander, lieu depuis longtemps  de la compagnie La Rumeur , offre un cadre idéal à cette pièce en trois actes représentée en 1935 au Théâtre des Arts (maintenant Théâtre Hébertot) sous le titre Crépuscule du Théâtre.  Henri-René Lenormand (1882-1951), dramaturge à succès de l’époque, aujourd’hui tombé dans l’oubli, nous fait vivre l’agonie d’un théâtre contraint de fermer pour laisser place à une activité plus rentable, le cinéma : «Toute une faune, tout un bestiaire vit, dort et répète les dernier instants d’un monde qui est en train de sombrer »,  annonce le programme.
Nous entrons par la petite porte dans une grande salle vide, pour assister à une répétition houleuse, où s’affrontent les acteurs devant un auteur qui voit son texte tronqué pour céder aux caprices de l’actrice-vedette; quant au régisseur, il est est dépassé par les événements…
Les bribes qui nous en sont livrées, évoquent un mélodrame burlesque, mêlant humains et oiseaux, sur une banquise dans la brume. Une mouette amoureuse d’un pêcheur, un duo de pingouins… Il y a des accents d’Anton Tchekhov et d’Henrik Ibsen dans cette tragi-comédie absurde qui s’élabore devant nous au premier acte.
L’acte II, parodique, épingle une production berlinoise d’avant-garde : « Le théâtre est un putsch, une suite d’explosions, le drame un feu de salves que je dirige sur la foule » (…) clame, dans un langage guerrier, Putsch, le bien-nommé metteur en scène allemand. »Le dialogue d’abord. Ce qu’on appelle sentiment, poésie, émotions… Ce que j’appelle moi, des pompes à larmes. Voilà ce que j’ai balayé du théâtre.  » L’auteur est scandalisé.
Tournant esthétique et menace procurée par l’arrivée du cinéma: l’écrivain et les artistes s’inquiètent pour leur avenir. Et à l’acte III, le directeur convoque la troupe pour monter La Tempête de William Shakespeare, ultime et vaine résistance.
Mais le théâtre n’en sera pas sauvé : «Le théâtre est avalé par le cinéma»,  et les comédiens contraints de céder à ses sirènes. Quand une actrice, au milieu des décombres, lance une dernière tirade, on peut dire comme Jacques Copeau: «Tout cela est amèrement vrai. La peinture est exacte, par instants, elle vous serre la gorge et vous met les larmes aux yeux. Un peu trop de sentimentalité dans certains passages et d’outrances en quelques autres, ne parvient pas à la discréditer. »
Ce sont ces passages larmoyants d’un lyrisme ampoulé et d’une poésie surannée qu’Alison Cosson a supprimés, pour ramener l’intrigue à l’os,  et lui rendre son actualité avec trois monologues d’une écriture plus moderne, à la fin de chaque acte.

  Dans l’espace impressionnant de l’ancienne usine Hollander, l’atmosphère et les questions d’hier entrent en résonance avec celles d’aujourd’hui : «C’est une certitude pour tout le monde, que nous sommes à la fin d’une histoire, dit Patrice Bigel. La disparition des repères ne se limite pas au seul domaine économique. Mais protéiforme, elle atteint, par là-même, le théâtre qui, touché de plein fouet, subit cette onde de choc (…) » Déjà la fin ? constitue grâce à des images fortes, à une écriture soignée et à une mise en scène juste et sensible, une profession de foi.
Une soirée à partager avec émotion: Patrice Bigel affirme ici que, malgré tout, le théâtre est encore bien vivant…

Mireille Davidovici

Compagnie la Rumeur, Usine Hollander, Choisy-le-Roi jusqu’au 18 juin. T: 01 46 82 19 63 cie.la.rumeur@wanadoo.fr

 

 

La Fonction de l’orgasme


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La Fonction de l’orgasme, d’après William Reich, mise en scène de Didier Giraudon et Constance Larrieu

 

D’après des études publiées en 2000, relatées par l’écrivaine et journaliste Elisa Brune, l’orgasme aurait une influence notable sur la santé physique et psychique des hommes et des femmes. A l’entrée de la salle, ses bienfaits s’affichent sur un écran : un orgasme correspondrait à sept kilomètres de course à pied; la consommation de sperme prévient bien des infections, etc.
Cela corrobore les théories de William Reich (1897-1957) pour qui la libido est source d’énergie vitale et créatrice. Ce brillant et sulfureux psychanalyste veut donner au corps toute sa place, quand la société fait obstacle à la libre satisfaction des pulsions sexuelles, cause immédiate de désordres dévastateurs, au plan personnel et sociétal.

 Loin d’un traité sérieux, le spectacle utilise seulement les thèses reichiennes comme point de départ. Séduite par la dimension biologique, socio-politique de l’ouvrage-phare du psychanalyste, publié en 1929 en Allemagne, censuré puis réédité en 1942 aux Etats-Unis, Constance Larrieu a mené sa propre enquête, et nous livre ses conclusions dans une sorte de vraie/fausse conférence avec archives, études, et interviews à l’appui.
 Elle relate aussi ses difficultés à monter ce projet,  devenu monologue pour des raisons économiques.  Seule en scène, elle dialogue avec les documents qu’elle a recueillis : schémas scientifiques, points de vue filmés de sexologues, et décortique, en les enrichissant d’un regard contemporain, les thèses de l’auteur, aujourd’hui encore controversé mais visionnaire, de La Psychologie de masse du fascisme.
Mi-sérieuse, mi-rieuse, elle embarque le public, avec force clins d’œil,  dans l’univers du savant fou, tout en gardant ses distances, et remet ces questions au goût du jour, en évoquant, la spécificité de la sexualité féminine, longtemps négligée… L’humour, toujours au rendez-vous, produit le décalage nécessaire à cette performance hors-norme, à la fois instructive et amusante. Un vrai plaisir. 
Souhaitons que cette pièce créée en 2015 par la compagnie Jabberwock à la Comédie de Reims puisse continuer à tourner..

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 26 mai au Théâtre Paris-Villette.
Théâtre Nicolas Peskine à Blois en janvier prochain

La Fonction de l’orgasme est publié chez L’Arche-Editions  (1986) et La Psychologie de masse du fascisme chez Payot, (1999).

 

 

Le Dernier jour de sa vie-Ajax-Cabaret

Le Dernier jour de sa vie-Ajax-Cabaret, texte de Wajdi Mouawad, d’après Sophocle, traduction de Robert Davreu, mise en scène de Wajdi Mouawad

 AjaxCabaret_1-®PascalGe¦ülyWajdi Mouawad-nouveau directeur du Théâtre National de la Colline-embrasse toute l’œuvre de Sophocle: Ajax, Antigone, Œdipe Roi, Électre, Les Trachiniennes, Philoctète, Œdipe à Colone. Le dramaturge libano-québécois voit dans Ajax, une opportunité de dialogue, un matériau textuel pour concevoir son Ajax-Cabaret, le premier volet de sa trilogie Le Dernier jour de sa vie.
La disparition de Robert Davreu a poussé le dramaturge à réécrire seul Philoctète et Œdipe à Colone : Inflammation du verbe vivre et Les Larmes d’Œdipe, les derniers volets de cette trilogie. Ajax, le héros «au bouclier à sept peaux de bœuf» porte, à sa manière, l’allégorie d’une certaine étroitesse d’esprit-l’errance humaine-qui lui sera fatale.
À la mort du héros Achille, le valeureux combattant Ajax convoite les armes qui devraient lui revenir.
Mais Agamemnon et Ménélas remettent les armes du défunt à Ulysse. Pris de désespoir et de folie, Ajax massacre le bétail de l’armée grecque, le prenant pour les compagnons d’Ulysse. Revenu à la raison, il ne peut accepter le déshonneur de son crime et se transperce  avec l’épée cédée par le Troyen Hector.
Sophocle montre un Ulysse partagé entre la responsabilité de cette mort qu’on veut lui faire endosser, et sa noblesse d’âme. Or,  bien avant sa mort, Ulysse a pitié du héros criminel fou et résiste aux pressions d’une Athéna cruelle et cynique.

Ajax mort, Ulysse plaide son droit à une sépulture honorable et affirme: « Sa vengeance est plus forte en moi que la haine. » devant Agamemnon qui s’y oppose.  S’impose au Rusé et au Subtil Ulysse l’égalité de tous devant la mort.
Pour Wajdi Mouawad, le tragique tombe sur l’être qui, aveuglé, ne voit pas sa démesure. Il reste à s’interroger sur les raisons de la douleur, la souffrance et la violence. La civilisation se construit sur la connaissance de soi, la juste mesure, une politique libérée de la tyrannie et l’expression collective de la douleur-la catharsis.
Sa mise en scène est fondée sur des situations tendues à l’extrême et des scènes au comique volontairement potache, comme s’il ne fallait surtout pas peser trop sur la matière tragique et acide de la violence inhérente aux conflits sanglants du monde. Wajdi Mouawad  une utilise de façon magistrale le mur de lointain comme écran vidéo et  l’on voit le comédien-metteur en scène aboyer rageusement, la bave animale coulant de bouche, tandis que résonne la sono à pleins tubes de la gamme entière des hurlements et grondements canins.
Sur le plateau, un chien enragé tenu en laisse, un homme nu couvert de peinture noire, tire sur sa chaîne et se déploie dans l’espace en sauts et rugissements incontrôlés, telle une image vidéo descendue sur scène en trois dimensions.
Puis, la tension oppressante installée se rompt et se rompra régulièrement au cours de la représentation, quand surgit, comme à l’improviste, un théâtre d’objets malicieux, inventaire dérisoire et comique, ou bien répertoire ironique des moyens de communication d’aujourd’hui, tels ces objets posés sur un trépied à roulettes.
D’une paroi de toiles blanc cassé avec porte, arrivent sur scène un vieux poste de radio, un autre de télévision, un téléphone portable, une liasse de journaux et un ordinateur, et des maîtres de cérémonie malicieux qui se tiennent droit face au public, parlant tous de manière loufoque.

Résonnent en voix off, le parler populaire de la langue québécoise, le joual, dont les intonations, expressions savoureuses et jeux de mots font rire à tout coup. Mais se fait entendre aussi le français parlé par un Libanais, le français des banlieues, selon les connotations possibles selon les âges et classes sociales.
À côté de ces objets parlants insolites, joue un groupe de rock avec Jérôme Billy, Bernard Falaise et Igor Quezada. Apparaît aussi comme dans un cauchemar, le fantôme farcesque à la voix d’outre-tombe, d’un héros tragique de bande dessinée, icône guerrière de jeu vidéo, la fumée en plus : théâtre dans le théâtre, comique jeté dans le tragique.
Les voix, narratrices de la tragédie d’Ajax , ajoutent leur grain de sel espiègle et un théâtre d’ombres-des guerriers munis de leur lance-s’anime sur les tentures. On n’oubliera pas l’image incandescente d’un Ajax nu, lavé au karcher avant d’être enfermé dans un tombeau transparent, qui réapparaît couvert de peinture blanche, avançant sur la scène du pas de l’homme, selon la frise des débuts de l’humanité.
À cour, veille une forêt obscure de micros sur pied, métaphore des armes d’Achille. Jean Alibert, de famille pied-noir, raconte son retour en Algérie,  dans le village où son père était maire avant l’indépendance, ce dont, enfant, il avait tant entendu parler. Nathalie Bécue, Victor de Oliveira, Jocelyn Lagarrigue et Patrick Le Mauff habitent avec force et conviction le plateau de cet Ajax Cabaret. Des images du massacre de Sabra et Chatila défilent, comme celles de la chambre de Wajdi Mouawad avec photos d’enfant, rangées de livres, et disques de Noir Désir.
La voix du metteur en scène se fait entendre, s’arrêtant sur le sentiment d’humiliation et d’humilité, termes très différents à partir de racines similaires. Pour éradiquer l’émergence possible de la violence et de la vengeance, il «suffirait» de se détacher de ce lien d’une humiliation jadis ressentie …

 Véronique Hotte

Théâtre de Chaillot/Théâtre National de la Danse, jusqu’au 3 juin. T : 01 53 65 30 00
Le texte de la pièce est publié aux Éditions Leméac Actes Sud-papiers

 

Une tombe, une fleur suivi de quatre rêves non censurés en présence de Fleur Pellerin

Une tombe, une fleur suivi de Quatre rêves non censurés en présence de Fleur Pellerin de et par Thibaud Croisy

 

 cg-oynxxiaa23o7Droit et digne dans son costume foncé, le comédien prononce un tombeau en l’honneur de feu la Ministre de la Culture et de la Communication, disparue le 11 février 2016, au bout d’un an, cinq mois et seize jours.
Cette cérémonie d’adieu, rappelant les grands moments de son exercice rue de Valois, avec photos et discours à l’appui, précède une performance Quatre rêves non censurés en présence de Fleur Pellerin créée en juin 2015 au Centre Dramatique National de Gennevilliers dans le cadre du festival des Très Jeunes Créateurs contemporains.
Thibaut Croisy conclut Une tombe, une fleur par : «Alors que deviendras tu maintenant, si ce n’est qu’une technocrate anonyme ? Qui se souviendra de toi ?  (…) et des livres que tu n’as pas lus (…) Où que tu sois, je te dédie ces rêves très sincèrement. »
L’oraison funèbre, compassée mais pince-sans-rire, fait alors place à des rêves débridés, tirés de cahiers d’écolier, lus avec le sérieux d’une confession psychanalytique.
Voici la jeune femme jouant aux dominos, tandis qu’éclate un incendie: notre héros parviendra-t-il à la sauver des flammes et, par la même, à obtenir une subvention, alors qu’elle git sans connaissance, baignant dans son sang ?
 Une autre nuit, il la retrouve en visite au musée Gustave Moreau avec tout son équipe, sous la conduite du Conservateur. «Perchée sur ses talons aiguilles, entièrement nue. Des placards en formica à la place des seins. « Elle s’en tape de Gustave Moreau, dit-elle, ce qu’elle veut, c’est être pute à Amsterdam.» Et de s’écrier : «Tout le monde à poil ! »  «Les Coréens sont des gens très radicaux, l’excuse le rêveur tout aussi embarrassé que le Conservateur… »
Plus tendre qu’irrévérencieux, le performeur fantasme sur le corps de la jeune femme asiatique, tantôt fragile, tantôt érotique, et sur le pouvoir qu’elle exerce sur lui. A l’instar de tout jeune créateur qui court après ses cachets d’intermittent, il est à sa merci et se demande ce qui va se passer pour lui après l’éviction de Fleur Pellerin:  «Que restera-t-il de ma pièce à moi, jeune artiste émergeant qui lutte pour ses «cinq cent sept heures».
Proposition audacieuse et efficace, cette courte pièce évoque avec humour et sans vulgarité, le sort de la ministre, malmenée dans ses rêves, comme elle le fut en réalité lors de sa destitution. Elle renvoie à la fragilité d’un ministère, et à celle des  artistes, souvent considérés par les pouvoirs publics comme la cinquième roue du carrosse…

 Mireille Davidovici

 Théâtre Paris-Villette  jusqu’au 5 juin. T. 01 40 03 72 23

 

Pollock, texte de Fabrice Melquiot

Pollock, texte de Fabrice Melquiot, mise en scène de Mélissa Bertrand

  IMG_4539Vingt ans, le bel âge! Celui du festival A Contre Sens (autrefois baptisé Fête théâtrale) créé par l’association théâtrale des étudiants de Paris 3, et qui a lieu chaque printemps à la Sorbonne Nouvelle, offre à de jeunes artistes l’occasion de se frotter aux exigences de la scène et à un public qui est invité à voter. Le metteur en scène Pascal Rambert était le parrain de cette édition.
  Vingt ans, c’est aussi l’âge de Mélissa Bertrand qui s’est lancée dans un projet audacieux : peindre la rage de Jackson Pollock, le célèbre peintre américain, virtuose du dripping. Fabrice Melquiot met en lumière le tempérament taurin de ce génie, tourmenté par une rage et un alcoolisme inapaisables.
Dans son ombre imposante, une femme trinque : elle n’a pas moins de talent, mais semble se sacrifier. La compagnie La Sticomiss, qui tire son nom d’une des répliques que Jackson Pollock lance à Lee Krasner : « Vous êtes pleine d’asticots, miss, OK ? », a choisi de faire de son atelier artistique,une sorte de bar alternatif. Un lieu aussi libératoire qu’aliénant.
  Avec une scénographie mêlant peinture, et musique :un guitariste officie en direct, soutenant le drame par des sonorités de rock sobre, Mélissa Bertrand fait le pari d’un dispositif bi-frontal qui laisse judicieusement voir toute la cuisine quotidienne du couple orageux.
Pots de peinture, bouteilles d’alcool et de bière,  nourriture s’y entrechoquent violemment. On y boit la difficulté de créer et de vivre ensemble jusqu’à la lie. Des bâches transparentes pour protéger les premiers rangs laissent craindre le pire, mais  les jets de peinture resteront assez sages… Trop peut-être.
Jonas Hervouet, un peu jeune pour incarner pareil monstre caractériel, adopte d’abord un jeu vacillant et balbutiant, caricatural, puis gagne ensuite en assurance. Anaïs Seghier lui donne la réplique avec fermeté : sa gestuelle picturale apparaît parfois un brin artificielle et surtout éloignée du style de la véritable artiste qu’était Lee Kassner. Elle affirme toutefois une vraie présence, dès qu’il s’agit de se confronter à son partenaire.
La gageure ici tenait surtout à la gestion de l’espace. Mais Mélissa Bertrand a su jouer avec les rudes contraintes imposées par la salle (de classe). Son exiguïté, rappelant judicieusement la petite grange où Lee Kassner essayait d’isoler son mari des tentations de l’alcool, nous met au plus près de leur corrida.

 Rythme soutenu, adaptation maîtrisée, murs et les sols pleinement investis : Mélissa Bertrand  souligne avec pertinence que Pollock fut l’un des premiers à travailler sur toile horizontale non tendue.  De belles idées émaillent l’ensemble tels ces spaghettis rendus fluorescents par de la gouache, ou ces pots de peinture avalés goulûment. Le propos solide et discrètement féministe, promet d’autres engagements plus radicaux…

 

Stéphanie Ruffier

 

Théâtre de Verre, Paris le 28 mai à 20h, et le 29 mai à 16h. Réservations : compagnielasticomiss@gmail.com

Nô et Kabuki à la Maison de la Culture du Japon

Nô et Kabuki à la Maison de la Culture du Japon

 

Aoï, Yesterday’glory is to day’s dream, nôpéra d’après le livret Aoi no Ue de Zeami, musique de Noriko Baba, mise en scène et chorégraphie de Mié Coquempot, direction musicale de Pierre Roullier

 

ob_b5431f_aoi03Cela se veut, nous dit le programme, “une écriture hybride entre nô traditionnel, danse et musique contemporaine”, à partir d’un nô du grand dramaturge et théoricien du XVIème siècle. Il s’agirait d’une (sic) “recontextualisation dans un monde post-punk “. Dans le drame de Zeami,  Rokujo, l’ancienne maîtresse âgée de Kikaru Genji repense aux moments heureux d’autrefois avec une grande nostalgie. Elle éprouve une grande colère pour la jeune Aoï, la nouvelle épouse de Genji, et veut sa mort. Mais Aoï connaîtra le même destin et refusera de vivre plus longtemps.
   Cette création, initiée par Pierre Roullier, directeur de l’Ensemble 2e2m est jouée par Ryoko Aoki, une actrice de nô, mais aussi danseuse et chanteuse; Pierre Roullier, lui, dirige plusieurs interprètes (flûte, clarinette, basson, violon, alto et violoncelle).
  Ce mariage franco-japonais, d’une parfaite rigueur, mais très statique, tient plus d’une sorte de récital/concert sur une scène nue et ne fonctionne pas bien. Et l’histoire de ces deux femmes qui devrait être émouvante, même si elle ne dure ici qu’une heure, a du mal à retenir l’attention du public.
Sans doute à cause d’un mauvais équilibre entre musique contemporaine (pas franchement exaltante!) et une dramaturgie qui semble occuper la seconde place, à l’inverse du nô traditionnel qui, des siècles après sa naissance, n’a cessé  de fasciner les dramaturges occidentaux  contemporains. Dommage…

 

La Barrière d’Isaka sous la neige des amours

 

CiUJdweUoAAvLJ8D’une toute autre envergure  est ce spectacle de kabuki dont le titre est  en fait celui de la seconde pièce de ce formidable triptyque qui commence par une très belle danse Omatsuri (Le grand festival). Très souvent jouée dans les spectacles de kabuki actuels. Avec un personnage, chef d’une brigade de pompiers qui était considéré comme un super-héros, à cause du grand nombre d’incendies.
Ensuite Yajûro Bando,  grand acteur japonais  a joué dans des pièces très variées du répertoire kabuki, explique avec beaucoup d’intelligence et d’humour les fondements de son art.
  Après l’entracte, La Barrière d’Osaka sous la neige des amours qui fait partie d’un kabuki créé à Edo en 1784, un drame qui n’a pas été conservé sauf deux remarquables scènes dont l’une est présentée ici. Cela se passe près du Mont Osaka couvert de neige, près d’un cerisier en fleurs de plus de trois siècles, alors qu’on est en plein hiver.
Le gardien de la barrièe un peu alcoolisé est Omoto no Kuronushi, un homme qui veut être empereur à la place de l’empereur. C’est comme dans un  conte de fées: la coupe, le cruchon de saké, et la hache ont une taille anormale. Il essaye de lire son avenir dans le reflet des étoiles au fond de sa coupe, lesquelles étoiles lui prédisent que s’il abat le vieux cerisier et en brûle le bois  pour l’offrir aux dieux, il sera empereur. Mais, quand il veut donner le premier coup de hache, il tombe évanoui et surgit alors l’esprit de l’arbre, incarné par  Kurozome, une jeune prostituée qui lui raconte sa vie.

Kuronoshi laisse tomber à son insu une morceau de kimono ensanglanté; Kurosome fond alors en larmes: elle a la preuve que Kuronoshi a tué Yasusada son amoureux.  Les deux personnages vont alors se battre.
  La pièce est admirablement jouée par Bandô Yajûrô et par son fils aîné Bandô Shingo qui interprête ce rôle d’onnagata (travesti) avec une concentration et une présence  étonnantes… Chant et récitatif, orchestre de shamisen et autres instruments, en parfaite unité avec le jeu des deux acteurs. Costumes et maquillages sont aussi de toute beauté.
Un seul regret: le spectacle s’est joué trois jours seulement, alors que tous les professionnels et élèves d’écoles de théâtre devraient avoir vu ce remarquable trésor vivant. Le kabuki et le nô, avec leur sens de la rigueur et un autre sens du temps et de l’espace, auront beaucoup apporté au théâtre contemporain occidental. Cela devient de plus en plus évident.
  Il faudrait absolument que cette Barrière d’Osaka sous la neige des amours, avec toute son immense poésie, puisse être invité par un grand théâtre français:  investir la salle Gémier au Théâtre National de Chaillot, ou le Cent-Quatre, ou le Théâtre des Abbesses, pour une série de représentations…

 Philippe du Vignal

Ce dernier spectacle s’est joué du 12 au 14 mai à la Maison de la Culture du Japon à Paris.

 

De passage de Stéphane Jaubertie

De passage, de Stéphane Jaubertie, conception et mise en scène de Johanny Bert

 

De-Passage-©-Jean-Louis-FernandezIl était une fois… Un conte ultra-moderne, la trajectoire à grande vitesse et très intense d’un enfant-racontée par lui-même, arrivé à ses quarante-trois ans-du départ de Maman chaque soir pour l’hôpital où elle travaille jusqu’au noyau dur au centre de la terre et retour.
En passant par la maladie, le doute, le mensonge, la peur, la question des origines, l’amour, les fleurs de chaque saison, et la vie, la vie, la vie… Avec tout ça, l’écriture de Stéphane Jaubertie concrète, directe, adressée à l’enfant que nous restons, au fond. Pas de joliesses : la mort même, regardée en face et prise à bras le corps.
 Mais un rythme soutenu, vivace, qui représente l’enjeu même du conte : tenir, encore et encore. L’enfant ici est courageux et généreux (ce que l’on accorde plus rarement aux enfants) et attentif à employer les mots justes : prenons-en de la graine.
Pour De Passage, Johanny Bert a conçu un dispositif unique et original. Dans un cadre de scène aux centaines d’ampoules (à basse consommation), le conteur appelle les images, s’efface devant l’écran du théâtre d’ombres pour donner à chacune sa dimension, au fil des angoisses et des victoires de l’enfant.
 Parfois, il rejoint les acteurs de l’autre côté, dans ce spectacle, on ne peut plus vivant. Le conte nous est glissé dans l’oreille par des casques diffusant, sous la parole, une bande-son d’une grande délicatesse.
Tout cela réalisé avec une précision magique, pour ne pas dire infernale, et de cette exactitude naît la poésie. Johanny Bert, avec des spectacles étiquetés « théâtre d’objets »,  est en effet passionné par l’objet, et invente à chaque fois, jusque dans le moindre détail, la forme nécessaire à son propos.
On dira que c’est le travail de tout metteur en scène  mais tous n’ont pas choisi la liberté absolue (et les contraintes particulières) du théâtre d’objets. Chapeau donc à son théâtre d’ombres et aux comédiens qui s’y sont initiés avec lui.
Ah ! Et il y a encore une bonne nouvelle pour les enfants : huit d’entre eux pourront assister au spectacle de l’autre côté de l’écran, et profiter de toute la manipulation. L’envers vaut l’endroit, double magie ! De Passage est joué au Théâtre de l’Epée de Bois-au nom particulièrement bienvenu- pour La Grande escale des Tréteaux de France en région parisienne.
Cinq spectacles qui ont déjà éprouvé leurs forces dans tout le pays, comme c’est la vocation de ce Centre Dramatique National itinérant, vont se poser à la Cartoucherie : L’Ecole des femmes, de Molière, mise en scène (et jouée) par Robin Renucci, directeur de ce Centre Dramatique national et Le Faiseur de Balzac, œuvrer, de et par Laure Bonnet, sur nos rapport avec le travail et sa place dans notre vie, et l’inusable et terrifiante Leçon, d’Eugène Ionesco, mise en scène par Christian Schiaretti, directeur du T.N.P. à Villeurbanne.
Plus des rencontres, débats et ateliers de pratique théâtrale tous les week-ends : dans le très joli Théâtre de l’Epée de Bois, à la Cartoucherie de Vincennes : de quoi s’offrir un beau moment de théâtre populaire.

Christine Friedel

De Passage, jusqu’au 5 juin.
La Grande escale, jusqu’à 2 juillet. T : 01 48 08 39 74

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La Mouette d’Anton Tchekhov mise en scène de Thomas Ostermeier

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La Mouette d’Anton Tchekhov, traduction d’Olivier Cadiot, adaptation et mise en scène de Thomas Ostermeier

  Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’histoire : «Une jeune fille vit depuis son enfance au bord d’un lac, libre et joyeuse comme une mouette. Mais un homme passe par là, la voit et, par hasard, par désœuvrement, lui prend la vie, comme si elle était une mouette ».
 Dans la traduction d’Elsa Triolet (celle d’Olivier Cadiot n’étant pas disponible), Trigorine, écrivain habile, la raconte, en “prophétie auto-réalisatrice“, puisqu’il sera pour Nina, le prédateur négligent en question. C’est aussi l’histoire d’une rivalité entre une mère et son fils : «Il voulait nous donner une leçon, nous montrer comment il faut écrire et ce qu’il faut jouer, j’en ai assez, à la fin !», et entre une actrice «sur le retour», belle et célèbre, et la captivante jeunesse de Nina.
Bref, cet été-là, au bord du lac, chacun aime, mais pas la bonne personne : «Comme tout le monde est nerveux !», dit le docteur Dorn, «et que d’amour !», sans compter les personnages supprimés par Thomas Ostermeier.
Pourtant, la vie avance : le vieux Sorine sera pour toujours l’ «homme qui a voulu » mais n’a pas pu ; la triste Macha aime toujours Treplev qui la console, à défaut de l’aimer. Son œuvre sera publiée et Nina sera comédienne, sans gloire, sans grand talent, mais enfin sur les planches. Pas toujours gai de réaliser son rêve… Et la grande Irina gardera son écrivain Trigorine.
Olivier Cadiot donne une traduction vivante, moderne, allégée des noms patronymiques, et des «vous» qui encombrent la pièce. Mais on perd d’un côté, ce qu’on gagne de l’autre: Thomas Ostermeier charge cette Mouette, écrite après le voyage au bagne de Sakhaline qui fut, pour Anton Tchekhov, une confrontation avec l’enfer, d’éléments biographiques de l’auteur, et des comédiens d’aujourd’hui.

L’évocation par l’instituteur Medvedenko, d’un médecin syrien obligé de «faire le taxi», en plus pour rembourser sa dette aux passeurs de ses parents (et encore il a eu de la chance !) est forte, au point de faire paraître le texte de Tchekhov, quand il revient, petit et médiocre!
Quant à la question du théâtre, on a l’impression que Thomas Ostermeier ne l’aime pas non plus : après avoir mis dans la bouche de Treplev, jeune artiste révolutionnaire une critique virulente, caricaturale, du théâtre contemporain-et du sien propre par la même occasion-, il prend évidemment soin (il faut être juste !) de lui faire inventer un théâtre encore plus caricatural, dans son radicalisme gratuit.
Le spectateur n’est pas gâté non plus. Même bien placé à la corbeille, et, après vérification de son audition par comparaison avec de jeunes voisins, nous avons eu du mal à entendre les comédiens.
Pourtant, dans la troupe réunie pour d’autres spectacles très réussis (Les Revenants d’Ibsen, par exemple), quelque chose fonctionne  de temps en temps, et des éclats nous en parviennent, en particulier par la voix de Valérie Dréville : «Je suis actrice, je ne suis pas banquière ! ».
Olivier Cadiot ou pas, il n’y a pas trente-six façons de traduire cette expression brutale de la vitalité d’Irina. On sourit parfois, mais, de là, à être émus… Et o
n se passerait des jolies mélodies de Sébastien Pouderoux à la guitare électrique.
On veut bien que l’intimité, sur l’avant-scène du grand plateau de l’Odéon soit dessinée par les planches du petit théâtre, et on aime le grand tableau que Martine Dillard  brosse tout au long de la représentation sur le  fond de scène : une mouette noire devient paysage avec lac et montagnes (le spectacle a été créé à Lausanne!), avant qu’elle le recouvre pour en faire, au dernier acte, un «noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir » d’un tableau sur lequel personne n’écrira plus.

  Cela renvoie avec beauté, hauteur et élégance à la question de l’art, importante dans la pièce. Mais malheureusement, cette mise en scène, étirée, de mauvaise humeur et  donneuse de leçons, ennuie!

 Christine Friedel

                                                                      +++++++++++++++

 mouette Notre amie Christine a tout dit: ennuyeux ce spectacle qui devrait plutôt s’intituler Une lecture personnelle de La Mouette. Il y a un peu tromperie sur la marchandise!
Agaçante en effet, la façon dont se moque Thomas Ostermeier des stéréotypes du théâtre contemporain dans un tirade virulente qu’il a ajouté au texte, comme s’il voulait faire du public son complice. Premier, deuxième voire troisième degré? Lequel public, souvent professionnel en ce soir de première, rigole… Pénible et assez pathétique.

  D’autant qu’il ne se gêne pas lui pour faire ici la même chose, mais il se garde bien de le mentionner dans sa liste! Comme l’arrivée par la salle, de Treplev, un fusil à lunette à l’épaule (sans doute pour faire plus contemporain?), ou Arkadina et sa famille venant  s’asseoir au premier rang du parterre pour regarder le spectacle de Nina et Treplev, (voir-entre autres-exactement la même scène dans Une Mouette d’Hubert Colas!).
Ou une bête sauvage dégoulinant de sang sur Nina et Treplev (comme entre autres, dans les spectacles d’Angelica Liddell.) Ou ces projections vidéo sur le costume des personnages… Toute cela vu, revu des dizaines de fois, et sans aucun intérêt qu’une image scénique vite oubliée.
Ou encore et toujours, le théâtre dans le théâtre, tarte à la crème du spectacle contemporain, avec ces acteurs assis sur les côtés et en fond de scène quand ils ne jouent pas,  et un gros ventilateur qui va souffler de la fausse neige,  (tout ce qu’on a vu aussi trop souvent un peu partout !), et deux micros disposés à l’avant-scène pour les premières répliques de Macha et Medvedenko.
Et quelques solos de guitare électrique pour parsemer le texte de chansons en anglais (heureusement bien interprétées par Sébastien Pouderoux qui joue Dorn, le médecin). Et bien sûr, les inévitables ordinateurs et portables. (Là aussi, pour faire encore plus contemporain?). Tous aux abris…
Et pour  mettre une  dose de distanciation supplémentaire, une jeune femme (Martine Dillard) peint, en gris, avec un grand balai à décors,  sur le fond de scène,  une sorte de mouette qu’elle finira par noircir complètement. Cela doit ajouter, dans l’esprit du metteur en scène, un côté performance d’art contemporain, à son propos. Passons…
Tous ces ajouts de texte et ces images le plus souvent déjà bien usées, visiblement forgés à partir de séances d’impros, sont-ils vraiment indispensables pour nous dire le monde d’Anton Tchekhov qui n’a guère besoin de toute cette actualisation, ni d’une nouvelle traduction, ni surtout d’une « adaptation » du metteur en scène. Au fait, là-dedans, qui a fait quoi ?
Et dommage, Thomas Ostermeier a cru bon de couper dans la pièce, et d’enlever des personnages comme les parents de Macha, et les serviteurs : cette amputation ôte, de facto, une dimension importante à cette pièce, comme elle ferait dans d’autres pièces d’Anton Tchekhov. Tous ces gens, maîtres, gouvernantes et serviteurs  en effet se sont toujours connus, partagent depuis des décennies, le même espace, la même vie campagnarde, les mêmes longs et rigoureux hivers…Imagine-t-on un instant Les trois Sœurs, sans la vieille nounou ! Ou La Cerisaie, sans le vieux Firs qui parle peu mais à la présence  capitale.  Ce serait ici pour une question de budget?  Ce serait étonnant !
Tout se passe en fait, comme si Thomas Ostermeier avait eu peur que le public suisse d’abord, puis français (donc pas très futé?) ne comprenne pas les enjeux de la pièce; alors, il  simplifie, insiste, surligne, actualise (l’émigration des Syriens!) et fait d’Arkadina, une hystérique criarde. Et cela pendant deux heures vingt!
Est-ce aussi une de ses «actualisations» dont il a le secret mais, au soir d’une première encore mal calée, on entendait souvent mal les acteurs qui chuchotaient, comme s’ils parlaient devant un micro. Pénible, quand il faut tendre l’oreille!

Restent les scènes intimistes, comme celles entre Treplev (Mathieu Sempeur) et Nina (Mélodie Richard, remarquable et très fine) entre Nina et Trigorine (François Loriquet), entre Dorn et Macha, entre Arkadina (Valérie Dréville) et Treplev,son fils).
Scènes sublimes, très émouvantes, y compris dans les silences. A
la toute fin de la pièce où Arkadina joue au loto avec les autres, elle rit nerveusement, alors qu’elle ne sait pas que son fils vient de se suicider… On a beau avoir vu la pièce une bonne dizaine de fois, à tous les coups, on a les larmes aux yeux. Et on retrouve alors pendant quelques instants Thomas Ostermeier qui semble tout de même plus à l’aise quand il met en scène les pièces d’Henrik Ibsen comme Les Revenants ou Maison de Poupée. Mais ici, rien à faire: Anton Tchekhov résiste à cette prétentieuse et éprouvante modernisation.
Cette Mouette, ou plutôt cette lecture personnelle de Thomas Ostermeier ne fera pas date !

Philippe du Vignal

Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris  VI ème.  T: 01 44 85 40 40 jusqu’au 25 juin.

 

Portrait avec retouches

Portrait avec retouches, de Danielle Chinsky et Olivier Achard, mise en scène de Danielle Chinsky et  Dominique Verrier.

 image_previewOn ne le sait pas assez : toutes les maisons sont hantées. Vincent Mirail, un antiquaire, achète avec sa femme un joli mas en Provence. qui sera la maison du bonheur, droit devant: ils attendent un enfant. Mais une présence va les faire dévier de la route tracée : ils trouvent dans le grenier, utilisées comme bâches,  des peintures sur toile vraiment intéressantes.
  Commence alors une correspondance avec l’ancienne habitante des lieux, Judith Hermann, juive, résistante, artiste, partie s’installer aux États-Unis. Et,, de lettre en lettre, de tableau en tableau rendu, acheté, vendu, exposé, la route de Vincent va finir par traverser l’Atlantique.
Le théâtre a souvent été tenté par les correspondances, et pas toujours à son avantage, que l’on donne voix à l’expéditeur ou au destinataire. Mais ce Portrait avec retouches nous donne un théâtre délectable.
 Les deux comédiens trouvent cent manières de jouer l’échange des lettres, en direct ou par l’intermédiaire du public, ou grâce à une de ces belles boîtes aux lettres à l’américaine, et nous évitent la lassitude qui pourrait naître du procédé. Danielle Chinsky  et Olivier Achard ont écrit cette pièce en échangeant une correspondance en temps réel, avec ce qu’il faut de temps morts, de temps perdu et retrouvé, de malentendus et d’intimité.
 La comédienne sert l’auteur avec beaucoup de charme et nous donne une Judith pas commode, libre, passionnée, généreuse et près de ses sous : pas facile de vivre de sa peinture-figurative !-en pleine période d’abstraction triomphante.
Dominique Verrier interprète un Vincent qui est aussi droit que la vie qu’il croyait mener, étonné de se sentir tourmenté sans savoir pourquoi, et qui découvre peu à peu, grâce à Judith, sa propre complexité et sa vraie liberté. Par la peinture, en le regardant de mieux en mieux, et en choisissant le métier de galeriste, il se découvre lui-même.
Danielle Chinsky et Olivier Achard se sont inspirés d’une histoire vraie, et d’une maison réelle de Saint-Rémy de Provence. Mais, en art, toutes les histoires sont vraies, à en juger par leur deux autres pièces qu’ils ont déjà écrites ensemble : Moi, Francis Bacon et… Jeanine et Ecoute Guernica, joués, entre autres, au musée Calvet à Avignon.
Portrait avec retouches,
un très joli spectacle, riche, élégant, nous montre la capacité de l’art à nous réveiller, à nous révéler.

 Christine Friedel

A guetter en tournée

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