Voyage dans les mémoires d’un fou
Voyage dans les mémoires d’un fou de Lionel Cecilio
Déjà présenté au festival off d’Avignon, ce Voyage dans les mémoires d’un fou tient de la confidence ; seul en scène, le comédien interpelle chacun d’entre nous: dans sa modeste chambre, un jeune homme entreprend d’écrire l’histoire amère et désabusée d’«un cœur navré d’amertume ».
Le spectateur endosse alors le rôle d’un lecteur imaginaire, un complice auquel on peut confier ses déceptions car on sait qu’il partagera la même émotion. Le cadre est donc similaire à celui que choisit le jeune Gustave Flaubert, quand, à dix-spet ans, il écrit Les Mémoires d’un fou sur lequel Lionel Cecilio a aussi réécrit un nouveau texte, comme un palimpseste. L’idée lui en était venue en 2012, quand il avait fait une lecture du Journal d’un fou..
Ici, le jeune homme, qui se nomme lui-même: «un fou», atteint d’une maladie incurable, écrit son journal intime, celui des douleurs morales qu’il a connues et des souffrances physiques qu’il endure aujourd’hui : passé vécu dans la peine, et présent dans la souffrance : la dimension dramatique s’en trouve étoffée.
Dans ce texte d’origine, à la fois coupé et enrichi, le jeune héros devient notre contemporain, et ses misères, celles du monde d’aujourd’hui. Mais cette adaptation à la réalité contemporaine se double d’une nouvelle dimension: une veine comique, faisant écho à l’humeur sarcastique du personnage imaginé par Gustave Flaubert.
En passant du spleen romantique à la satire acerbe des institutions (l’école, l’hôpital), le spectacle se dote d’une nouvelle épaisseur, avec des variations de rythme et de registre, et on passe ainsi du rire aux larmes. Le héros a une ironie mordante et cynique, comme l’auteur du Journal d’un fou avouant : « J’avais l’humeur railleuse et indépendante».
La scène accueille de nouveaux personnages : la maîtresse, le médecin… joués aussi par le comédien. La comédie relaie alors le drame romantique, et Lionel Cecilio réalise une interprétation satirique mais aussi une mise en scène brillante, avec autant d’espaces scéniques que de moments dramatiques : passé lointain, passé récent, et présent. Sur le plateau, juste une table où écrire avec lyrisme, un lit où souffre le malade; à l’avant-scène, se déploient les moments comiques.
Danseur, équilibriste et mime, l’acteur fait de son corps, l’essence du langage théâtral et il habite l’espace avec une chorégraphie qui confère au texte une architecture solide. Lionel Cecilio rend hommage à Gustave Flaubert et a incorporé à son propre langage, les moments les plus forts du texte: ceux de la poésie, ceux aussi de la désespérance romantique : «L’homme, grain de sable jeté dans l’infini par une main inconnue, pauvre insecte aux faibles pattes qui veut se retenir sur le bord du gouffre à toutes les branches, qui se rattache à la vertu, à l’amour, à l’égoïsme, à l’ambition, et qui fait des vertus de tout cela pour mieux s’y tenir, qui se cramponne à Dieu, et qui faiblit toujours, lâche les mains et tombe. (…) Je me souviens que, tout enfant, j’aimais à vider mes poches dans celles du pauvre, de quel sourire ils accueillaient mon passage, et quel plaisir aussi j’avais à leur faire du bien. C’est une volupté qui m’est depuis longtemps inconnue-car maintenant, j’ai le cœur sec, les larmes se sont séchées. »
Mais cette réécriture peut aussi évoluer en pastiche. Dans le texte original, revient en leit-motiv ce genre de phrases: «Enfant, j’aimais ce qui se voit, adolescent ce qui se sent, homme je n’aime plus rien. »(…) «Enfant, j’ai rêvé l’amour, jeune homme la gloire, homme, la tombe, ce dernier amour de ceux qui n’en ont plus. » Ce qui, donne ici: «Enfant, j’avais mal à l’être, jeune homme mal au cœur, et, à présent adulte, j’ai mal au corps. »
Bref, un vrai plaisir théâtral, salué avec chaleur par le public…
Michèle Bigot
Spectacle vu au Théâtre des Déchargeurs, le 28 avril.
Festival de l’île, Théâtre de Volvestre de Montesquieu, le 4 juin à 17h.
Festival du solo tout seul devant tout le monde en Normandie, les 13 et 14 août.