Nous irons pleurer sur vos ombres-Gouelit Ma Daoulagad

Nous irons pleurer sur vos ombres-Gouelit Ma Daoulagad, conception et interprétation d’Yann-Fanch Kemener, musique de Sylvain Barou

YF Kemener 181430  »Je n’étais pas mauvais soldat, /Mais la guerre n’était pas ma loi /Et tuer, je ne voulais pas/Mon capitaine, mon lieutenant, /Ont ordonné mon jugement … Je ne suis ni vivant ni mort/C’est au désert que gît mon corps. /Mon corps, dans la terre d’Algérie/Mon esprit errant jusqu’ici. » (premier chant extrait de la prosopopée Naissance-Apparition.)
Yann-Fanch Kemener, le chanteur traditionnel breton, nous conte la vie de son grand-oncle Julien Joa, un tisserand originaire de Sainte-Tréphine (ex-Côtes du Nord devenues Côtes d’Armor), marié et père de famille, installé à Nantes pour retrouver du travail dans le tissage, fut embrigadé de force dans la grande Guerre, mais insoumis aux ordres militaires, fut condamné dès lors à cinq années de bagne qui le feront mourir avant la fin de sa peine.
Yann-Fanch Kemener rend ainsi hommage à tous les soldats tués, répertoriés comme «non morts pour la France», grands oubliés d’une injuste Mémoire de la première guerre mondiale, les «sans voix». L’histoire particulièrement douloureuse de ce grand-oncle rappelle au souvenir de chacun, tous les soldats morts sur les champs de bataille entre 1914 et 1918 : «Ceci est l’aventure d’un malheureux soldat…En quittant son village, le chagrin l’affligeait. A pleines charretées, des cadavres de tout côté/Du sang des camarades les sillons arrosés. /Pour les pères et mères, quelle cruelle destinée, /Pensant à leurs enfants, tant de peine pour les élever. » (troisième chant : Marche aux armées-Bataille de l’Argonne.)
Le 11 novembre 2011, les Archives Nationales ouvrent leurs fonds et leurs mystères non révélés : le petit-neveu découvre alors avec stupeur l’histoire de Julien Joa, et se met à traquer les moindres informations ayant trait à ce grand-oncle: souvenirs personnels, témoignages, chants, photographies, poèmes.
 Pour ce spectacle de théâtre musical, les carnets de Gaston Certain, mais aussi un album de photos d’Yves Troadec, les chants et témoignages collectés autour de 1970 dans le Centre-Bretagne par les chanteurs Jean-Marie Youdec, et Jean Poder, ont apporté leurs lumières.
  Sur le plateau nu, seul et majestueux un métier à tisser de bois verni, auquel répondent trois autres cadres de bois avec un drap blanc écru, à la fois draps immaculés  pour les blessés et morts à venir, et écrans pour films et photos.
Le spectacle associe musiques, chants, textes, extraits de carnets, et les vidéos de Gildas Roudault. Sylvain Barou, flûtiste de musique bretonne et irlandaise s’adonne à la musique modale, y incorporant encore des influences indiennes, turques et persanes dans un jeu fluide et entêtant, et crée un espace sonore à la fois somptueux, intense et délicat : «Sous la pluie, sur le sol enneigé, /Pire qu’une bête dans son terrier, /Qui, à part toi, ma chère maman /Pourrait comprendre ton enfant ?… Encore tuer, ou me laisser tuer /Qu’importe c’était bien assez… » (septième chant :Gwerz de Julien Joa-La Trappe de l’oubli, Le Bagne.)
La voix fascinante de Yann-Fanch Kemener en poilu à capote bleue, s’envole dans les airs, profondément terrienne, telle une claire eau de roche qui retient pour mieux les dévoiler, les douleurs existentielles.

 Véronique Hotte

Spectacle vu le 26 avril, au Centre Culturel Athéna/Ville d’Auray-Scène de territoire pour les marionnettes et le théâtre d’objets.

 

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