Racine, ou la leçon de Phèdre

 

Racine, ou la leçon de Phèdre, spectacle conçu et interprété par Anne Delbée

  L’actrice et metteuse en scène reprend cette Leçon, hommage personnel  à l’œuvre de Jean Racine qu’elle fréquente depuis longtemps et dont elle a monté Phèdre, Britannicus, etc. Anne Delbée, on n’avait pas vu depuis longtemps sur un plateau celle qui a découvert Paul Claudel à douze ans quand elle vit Tête d’or en 1958, avec Alain Cuny, et qui n’a cessé de se passionner aussi pour le théâtre classique.
  Anne Delbée raconte ici Jean Racine dont la vie a été marquée par le tragique : mort de sa mère à trois ans, puis de son père. Mais l’orphelin, rescapé de la vie, reçut une éducation et une culture exceptionnelles, à l’abbaye de Port-Royal aux Champs, puis devint, encore jeune, un dramaturge reconnu, et un admirateur ambitieux de Louis XIV.
 Ce Jean Racine n’a cessé de la fasciner et elle raconte avec intelligence et passion la vie de celui qu’Arthur Rimbaud à dix-sept ans admirait tant, dit-elle : “Racine est le pur, le fort, le grand»
Elle fait revivre cet homme un peu mystérieux sans doute jamais remis d’une enfance solitaire, vécue sans mère, et qu’émerveillait le théâtre. Il connaît l’italien et l’espagnol, lit Sophocle et Euripide dans le texte, et écrit sa première tragédie, La Thébaïde, à vingt-cinq ans et Andromaque à vingt-huit ! Sa vie tumultueuse  fit scandale, à une époque où l’Eglise dictait ses lois morales…On l’avait accusé  faussement d’avoir fait assassiner dix ans auparavant, sa maîtresse, une actrice, la du Parc qui était morte en fait après un avortement. Il vécut ensuite avec une autre actrice, la Champmeslé puis épousa Catherine Romanet avec laquelle il eut sept enfants.

  Anne Delbée salue le livre brillant de son frère François Regnault Dire le vers (qui est dans la salle comme ses amis, entre autres, Martine Chevallier de la Comédie-Française). Elle règle aussi au passage quelques comptes, notamment avec le Conservatoire qui n’a pas cru bon de la prendre comme élève, et avec les profs qui ne savent pas faire dire correctement à leurs élèves les alexandrins, et leur musique. (Un peu injuste, miss Delbée, qui leur aurait vraiment appris ? Il y faut un sacré métier, vous le savez mieux que quiconque)
 Et elle nous fait un peu la leçon dans le genre : vous allez voir ce que vous allez voir, quand moi, Anne Delbée, je m’empare de quelques vers de Phèdre, ou d’Andromaque. Présentation maladroite, voire, par moments, un chouia exaspérante mais… résultat sublime.
L’actrice a en effet l’art de dire le vers et d’en signifier en douceur le sens exact comme personne, puis d’expliquer encore et toujours comment dans la phrase racinienne, de mettre en valeur les e muets, les liaisons, bref, comment de montrer comment nait la musique de Bérénice, Phèdre. Iphigénie, ou Andromaque ! Et elle insiste avec raison sur le fait qu’une pièce en alexandrins doit être jouée non comme un texte en prose mais bien comme une sorte de partition musicale que, comme nous tous, les apprentis-comédiens, trois siècles après, admirent toujours et rêvent de maîtriser. Mais, comme le disait un professeur de médecine, il faut trois ans au minimum à un pommier pour produire ses premier fruits.
 Et côté mise en scène ? Souvent un peu naïve et peu efficace. Dommage! Anne Delbée porte un costume noir, à bretelles avec une chemise blanche, et parfois une casquette à visière sur la tête. Pourquoi pas ce côté clownesque après tout, pour dire les choses les plus tragiques ? Mais là où cela va moins bien : sur neuf carrés de métal brillant en fond de scène, on voit des effets de lumière rouge d’une effroyable vulgarité, ou revenir en boucle, une vidéo en noir et blanc avec un petit garçon. Image du petit orphelin Jean Racine ? On n’expliquera pas à Anne Delbée le sens du mot pléonasme, qu’il soit écrit ou visuel…Bref, encore et une fois de, plus une vidéo en fond de scène  inutile et parasite.
 Quant à la musique classique, de slam ou de blues sous les vers de Jean Racine, là on ne comprend plus du tout ce parti pris, un brin racoleur ? Nous détailler, de façon aussi intelligente que sensible et précise, toute la superbe mélodie de son écriture pour arriver quelques minutes après, à ce contre-sens scénique. Tous aux abris !
 Alors, à voir cette Leçon? Oui, quand la comédienne nous parle avec passion de la vie de Jean Racine, oui, quand elle nous dit superbement ses vers. Mais, pour le reste, autant en emporte le vent: cette mise en scène est quand même trop approximative pour qu’on vous recommande ce spectacle.
Nous avons assisté à une soirée pour professionnels, donc on ne pourra pas vous dire quelle est la réaction d’un public habituel.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Contrescarpe 5 rue Blainville 75005 Paris T:01 42 01 81 88 les dimanche 8 mai à 15h, lundi 9 mai à 19h30, mardi 10 mai à 19h30 dimanche 15 mai à 15h, lundi 16 mai à 19h30, mardi 17 mai à 19h30.

 

 

 

 

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