Une Mouette et autres cas d’espèces

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Une Mouette et autres cas d’espèces, libre réécriture de La Mouette d’Anton Tchekhov par Edith Azam, Liliane Giraudon, Nathalie Quintane, Annie Zadek, prologue de Jacob Wren, épilogue d’Angelica Liddell, mise en scène d’Hubert Colas

 Au moins, il n’y a pas tromperie sur la marchandise ou pas vraiment: Hubert Colas annonce tout de suite la couleur (mais pas la durée: trois heures et demi sans entracte!): “C’est fort du souvenir d’Hamlet mais aussi du Mariage de Gombrowicz que nous revisitons aujourd’hui La Mouette. Car nous n’allons pas simplement interroger ce patrimoine culturel, nous allons nous intéresser à ce qui le fonde. Nous ne montons pas La Mouette d’Anton Tchekhov, nous réfléchissons à la question qu’il pose dans La Mouette.”
 Ouf! Avez-vous compris qu’il s’agit bien de La Mouette? Mais moins claire, l’annonce de cette revisite d’un texte célèbre, avec comme en écho, le souvenir de deux autres pièces dont une est la plus connue du théâtre occidental avec neuf intervenants mais bon…
Le metteur en scène a confié à quatre écrivaines qu’il connait bien, le soin d’écrire chacune un des quatre actes. “Libre à elles, dit-il, d’inventer, de transposer, d’oublier, de prendre  des libertés ». Et, pour faire bonne mesure, il  a aussi demandé un un Prologue à Jacob Wren  et un Epilogue à Angelica Liddell, “parce qu’elle exècre le théâtre dans le théâtre et déteste La Mouette qu’elle qualifie de “pièce bourgeoise”.


Un projet donc très ambitieux (d’aucuns diront prétentieux.) Avec une sorte de surexposition de l’écriture pour l’écriture et aussi, si on a bien compris les intentions d’Hubert Colas, tout un jeu de miroirs très mode comme dans  Phèdre(s) de Krzystof Warlikowki, etc. voir Le Théâtre du Blog).

Ce qui, bien entendu, ne va pas sans risques.  Que reste-t-il de la pièce d’origine et qu’en est-il de cette-re création sur le plateau? Une mise à distance, une réinterprétation compliquée et pas vraiment dans l’axe de cette illustrissime Mouette qui n’en demande sans doute pas tant? Il y a donc d’abord le prologue, signé Jacob Wren, qui tient un peu d’un Tchekhov pour les nuls, un peu aussi d’un cours d‘économie socio-politique où l’auteur replace les choses dans leur contexte historique, et propose une réflexion sur la notion de temps et sur la différence de perception qu’en ont les êtres humains. Avec des constats du genre : “Karl Marx est mort en 1883. Il n’ a jamais vu d’automobile. Quelles sont les choses que nous ne verrons jamais? (…) L’automobile a été inventée en 1886. Anton Tchekhov est mort en 1904. La Révolution russe a eu lieu en 1917. Le pétrole et le charbon auront plus ou moins disparu, d’ici 2045.” Le tout truffé de quelques citations d’Anton Tchekhov: “Si l’argent se fraye un jour un chemin jusque dans votre cœur,, il faut que vous vous en débarrassiez.” (…) “Par hasard ,l’homme vient, et sans rien de mieux à faire, détruit… Un sujet de nouvelle.”

Ce brillant petit hors-d’œuvre, même si on n’en perçoit pas vraiment l’utilité, s’écoute avec grand plaisir. Ensuite, cela se gâte quand on passe à la « relecture » du premier acte, avec un dialogue entre Iakov et un cuisinier qui discutent de l’arrivée d’un nain. Medevenko se fait rabrouer par Macha quand il se plaint. Puis, nous avons droit à de courts dialogues entre les personnages principaux de la célèbre pièce et aux mots fameux de Nina qui répète en boucle: “Je suis une mouette”. Il y a des allusions à notre monde contemporain: portables, speed, coke, amphétamines, etc. Mais, comme toute cette galerie de personnages bien connue des familiers du grand auteur russe, n’a pas été présentée au public, mieux vaut avoir relu le texte original avant, si on veut savoir qui est qui!  Mais cela n’a pas l’air d’avoir du tout gêné Edith Azam…
 Le metteur en scène avait prévenu : il s’agit d’une libre réécriture, alors, tant pis pour vous, si vous êtes un peu largué. Le second acte signé Annie Zadek dont Nécessaire et urgent va être mis en scène au Théâtre de la Colline, est plutôt centré sur Treplev, Trigorine, et Arkadina qui parle longuement  de la position de l’écrivain. Nina, elle, dit le texte préparé par Treplev, son amoureux. Tous les personnages chantent à plusieurs reprises, une chanson du fameux film, Les Oiseaux d’Alfred Hitchkock (1963): “I asked my wife to wash the floor. Ristle-tee, Rostel-tee, mo, mo, moEnfin un peu d’air!
La scène entre Trigorine et Nina est presque intacte mais Trigorine  dit qu’il a peur de vieillir et parle (histoire de faire actuel et branché?) de “l’hécatombe de ces derniers temps, Peter Zadek et Okalpa, Pina Bausch, Franz West, Louise Bourgeois, Chris Marker et Leonora Carrington, Imamura et Ikeda, Maldiney,  Dagognet, Glucksman, P.D. James et Bernard Heidsieck, Manoel de Oliveira, etc. Tous ceux qui ne sont pas morts du sida, meurent aujourd’hui de mort individuelle de masse! “
 On veut bien mais cette liste de noms, dont beaucoup ne disent rien ou pas grand-chose au public, ou cette autre liste de peurs du XXI ème siècle, bref, tout ce tricotage/bricolage de La Mouette originale avec l’actualité la plus récente, font-ils vraiment sens sur un plateau de théâtre? Pas sûr du tout… Enfin, la farandole déchaînée où dix comédiens reprennent tous en chœur la chanson des Oiseaux, apporte une fraîcheur bienvenue dans ce bavardage qui, au bout d’une heure à peine, engendre dans une pénombre obstinée, un ennui de premier ordre.

Liliane Giraudon, qui a eu en charge le troisième acte, suit davantage la pièce originale  avec le départ d’Arkadina et de Nina. Mais, à relire les deux textes, on ne voit pas bien ce qu’apporte celui concocté par cette écrivaine. Hubert Colas souligne qu’il n’a pas voulu d’un rapport uniquement littéraire à la pièce -et il a raison- et qu’il a  souhaité une véritable écriture de plateau qui… fait cruellement défaut ici.

Dernier acte que le metteur en scène a confié à Nathalie Quintane. A la toute la fin, Treplev, le jeune écrivain se tue d’un coup de feu. Mais ici, il est de nouveau sur terre: “Dieu merci, tout çà, c’est du passé, puisque je suis mort, dit le jeune homme dans une ultime rencontre avec Nina. Elle lui dit qu’il lui a manqué cruellement et qu’il a bien fait de se tuer pour échapper à la morosité de l’époque contemporaine.
Il y a ici un écossage de petits pois, que les personnages pratiquent tous en parlant et qui rappelle à l’évidence celui de La Demande en mariage, sublime nouvelle que le dramaturge russe transforma en sublime petite pièce.  Une belle scène où on entend le bruit délicieux des petits pois tomber dans les bassines en plastique. Mais l’écriture de Nathalie Quintane se veut très prosaïque, du style: “J’ai un vu film totalement dégeulasse, (…) Manque de pot” (…) Manque de bol  (…) dit Treplev. “Tu t’es marié, mon salaud”, réplique Nina. Bref, ce dialogue racoleur n’a vraiment rien d’immortel!

Pour finir, le metteur en scène nous offre un épilogue de quelques minutes “écrit pour Hubert Colas” par la grande Angelica Liddell, (voir Le Théâtre du Blog) et traduit de l’espagnol par Christilla Vasserot.  Où l’écrivaine et metteuse en scène bien connue, fait comme toujours dans la provocation:  “Les acteurs, égoïstes claquemurés entre les parois de leur tête, en train de sucer leur propre bite, encore et encore, et ils se la sucent tellement, leur bite, que chaque jour ils doivent faire de l’exercice, afin de conserver la souplesse requise pour atteindre avec leur bouche, la base de leurs testicules”.
Angelica Liddell s’étonne aussi qu’un “auteur de théâtre écrive sur des écrivains pour qu’une fois la pièce écrite, d’autres écrivains aillent durant des siècles parler de leur stupide vie d’écrivain? Et qu’à leur tour, des metteurs en scène montent la pièce de l’auteur”. La jeune et belle actrice lituanienne Vilma Pitrinaite, malgré un fort accent, apporte à ce court monologue, la grâce et la force qui manquent tant à ce collage de textes laborieux qui précède. Mais cela aurait sans doute été encore plus fort, si on avait vu Angelica Liddell, filmée et disant son texte en espagnol, avec surtitrage.

En fait, Hubert Colas semble en fait plus à l’aise quand il s’agit de créer des images scéniques. Mais quand il entreprend de travailler en termes véritablement théâtraux, il semble s’essouffler et faire dans le didactique. On aimerait bien qu’il nous explique pourquoi il tombe dans tous les stéréotypes du spectacle contemporain. Pourquoi ces voix parfois presque inaudibles au-delà du sixième rang? Pourquoi ces images pléonastiques en noir et blanc (par ailleurs assez belles) comme celle du lac, etc. ? Pourquoi surtout cette retransmission en très gros plan, avec, obscènes au sens étymologique du terme, les visages des comédiens sur un beau rideau de fils servant d’écran, alors qu’ils sont bien présents mais presque invisibles sur le plateau, derrière ce même rideau?  Cela fait au moins vingt ans qu’on a droit à ce genre de traitement aussi inutile que prétentieux et qui ne surprend plus  aucun spectateur… Pourquoi aussi ces voix sonorisées (véritable manie actuelle) par des micros H F  avec dispositifs/verrues sur le dos nu des acteurs ?
Pourquoi cette vingtaine de gros fauteuils club en cuir dont certains mus électriquement où sont assis les comédiens, sinon pour le plaisir de s’offrir quelques belles images-gadgets?  Pourquoi ce jeu dans la salle -vieux procédé, sous-brechtien plus qu’usé, quand les personnages de La Mouette s’assoient au premier rang pour regarder le petit spectacle de Nina et Treplev…

Tout cela participe d’une scénographie et d’une mise en scène un peu narcissiques où l’auteur semble avoir surtout voulu se faire plaisir. Du coup, rien à faire: sauf à quelques très rares moments et malgré la belle énergie des acteurs qui donnent le meilleur d’eux-même (surtout Cyril Texier, Laure Wolf, Vilma Pitrinaite, Valère Haberman), le spectacle -et c’est plus grave-n’arrive jamais à nous accrocher ni à nous surprendre. Au bout d’une heure, un mien confrère a préféré et on le comprend, quitter cet océan d’ennui.  Quant aux spectateurs marseillais, ils semblaient quelque peu sonnés et beaucoup, à la sortie, avouaient n’avoir pas compris grand chose à cette entreprise de couture-collage bas de gamme, dotée le plus souvent d’une lumière sépulcrale. La plupart sommeillait doucement et n’a guère applaudi; d’autres plus nombreux ont quitté la salle sur la pointe des pieds pour ne pas déranger ceux qui dormaient déjà.
Ainsi dans un théâtre déjà peu rempli, le balcon s’est vidé petit à petit d’un tiers environ de son public! Les faits sont têtus et Hubert Colas qui n’est pas n’importe qui, devrait se poser des questions quant à la dramaturgie et aux écritures mises en place ici avec une certaine complaisance, sur des thèmes comme le rôle de l’écrivain dans la société actuelle et les demandes de subvention à faire, les campagnes qui se dépeuplent, le bas salaire des profs, ou les abeilles en voie de disparition!

Tout cela vite et mal tricoté, sans véritable fil rouge d’un acte à l’acte suivant, avec quelques dialogues de La Mouette. Ici, rien ou presque ne nous concerne vraiment et n’en finit pas de finir. La pauvre Mouette d’origine passe quatorze mauvais quarts d’heure avec, presque en permanence, un ennui garanti. Tous aux abris. Conseil d’ami: si vous envisagez une rupture rapide et efficace, emmenez-y votre amoureux (euse). Et votre bonne grand-mère? Elle se sentira sans doute coupable de n’être pas assez douée et de ne rien comprendre au théâtre contemporain. Pas grave: de toute façon, elle s’endormira vite et vous n’aurez qu’à la réveiller trois heures plus tard…

En fait, question de format et encore une fois de dramaturgie, cette Mouette revue et corrigée n’aurait jamais dû s’envoler d’un laboratoire expérimental personnel pour aller à la rencontre du grand public! Libre à Hubert Colas de mener toutes les recherches qu’il veut en petit comité.Mais le spectacle tel que nous l’avons vu au Gymnase et déjà rodé depuis plusieurs jours, relève d’un malentendu, même si, dit-on, la presse régionale a bien aimé ( la presse régionale a toujours bon dos!).
Que faire? Hubert Colas pourrait abréger et surtout revoir sa mise en scène et cette bizarre construction dramaturgique. Mais c’est sans doute trop tard et on ne comprendra jamais pourquoi il n’a pas simplement monté avec humilité La Mouette d’un certain Anton Tchekhov… En tout cas, nous souhaitons bien du courage aux éventuels spectateurs du Théâtre des Amandiers à Nanterre où, à la rentrée, se jouera, quelques jours ce spectacle.

Philippe du Vignal

Spectacle joué au Théâtre du Gymnase à Marseille du 25 au 30 avril.

 

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