Le vide/Essai de cirque

 

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Le Vide/Essai de cirque d’Alexis Auffray, Maroussia Diaz Verbèque et Fragan Gehlker

  Béatrice Picon-Vallin vous avait dit il y a deux ans, beaucoup de bien de ce spectacle qui, repris aujourd’hui dans ce même Monfort, tient aussi de la performance et rappelle les frissons que procurait Gina Pane, artiste se baladant sur des corniches à Paris dans les années 1970.
On entre par l’arrière de la scène du Monfort, où sont accrochées des pancartes avec une citation du Mythe de Sisyphe d’Albert Camus qui a visiblement beaucoup influencé les créateurs de ce Vide/Essai de cirque. «Vivre naturellement n’est jamais facile. On continue à faire les gestes que l’existence commande, pour beaucoup de raisons dont la première est l’habitude. Mourir volontairement suppose qu’on a reconnu, même instinctivement, le caractère dérisoire de cette habitude, l’absence de toute raison profonde de vivre, le caractère insensé de cette agitation quotidienne et l’inutilité de la souffrance. (…) Ce divorce entre l’homme et sa vie, l’acteur et son décor, c’est proprement le sentiment de l’absurdité ».
Sur ce grand et curieux plateau du Monfort surmonté en effet d’une sorte de cône allant vers le ciel et que l’on découvre pour la première fois en entrant par les coulisses, sept grosses et belles cordes blanches suspendues aux cintres, et sur le sol, deux épais  matelas, avec des boudins rectangulaires de polystyrène, une sorte de boîtier noir  sur lequel Alexis Auffray, par ailleurs aussi violoniste, va pianoter pour décrocher les dites cordes, six tables sommaires à tréteaux, quelques radios-cassettes et un “vieux” magnétophone Révox qui doivent paraître bien moyen-âgeux aux nombreux enfants qui peuplent la salle, et plusieurs sacs de sable comme contre-poids.

Une heure durant,comme Sisyphe, Fragan Gelker, en jean et T-shirt orange va essayer mais en vain de mettre en place des matelas très épais destinés à amortir une chute. De toute façon à quelque quinze mètres de hauteur, et encore à condition d’être dans le bon axe, s’il tombait, c’est peine perdue! Cela fait partie de ce petit jeu cynique qu’il  a déjà commencé à pratiquer avant l’arrivée du public.
Puis, il va recommencer son incroyable et silencieux travail quotidien d’acrobatie, sans jamais dire un mot, avec quelque chose de Buster Keaton. Entre réalité et fiction bien ficelée : cela commence “très mal”, puisqu’à peine monté à quelques mètres de hauteur, il tombe sur les matelas au sol! Maîtrise parfaite du corps et de l’esprit chez ce petit homme entouré de son équipe, et qui va tenter de nouveau chaque soir son pari de trompe-la-mort.
Il monte à une corde “qui casse par hasard”, redescend et récupère une autre bonne corde qu’il place sur son épaule, remonte fait un nœud avec la première pour l’allonger et redescend “normalement”, c’est à dire en s’ entourant le corps de la dite corde! Ou une autre fois, la tête en bas suspend par ses seuls pieds…
   Il monte à plus de quinze mètres, s’accroche à une poutrelle métallique, puis lâche la corde. Suspendu par une seule main! A la limite du supportable pour le public qui regarde avec émerveillement mais aussi avec la peur au ventre, cette montée dans les airs, sans aucun artifice, ou harnais.
 Puis, de loin, on voit monter ce jeune homme silencieux passer par les trappes vitrées du plafond qui se sont ouvertes vers le ciel bleu de printemps. Objectif atteint: il est sur le toit du théâtre. De façon tout à fait naturelle, comme s’il arrivait devant son appartement…Réapparaissant une minute plus tard, par une des portes de la salle. Très longuement applaudi par le public!
 Ce sont quelques-uns de ces fabuleux moments que nous offre Fragan Gelker, accompagné par Alexis Auffray qui joue du violon, quand, exaspéré et indifférent au travail de son ami dans les airs (alors que c’est lui, le maître des cordes!) il déplace sans grande raison des postes de radio avec une certaine nervosité. Bien joué!
Avant de faire une bonne dizaine de tours de piste sur patins à roulettes, en brandissant les plateaux des tables où sont inscrits quelques mots sur le sort de Sisyphe et une indication de sortie pour le public.
  Peur du vide, peur de la mort qui rôde, vertige qui nous saisit, alors que nous sommes bien assis en bas: tout est magnifiquement dit dans cet exploit de soixante minutes. On a surtout la sensation d’assister à un événement d’une qualité exceptionnelle, mais aussi unique.
“Il n’y aura jamais deux fois, disent les créateurs, le même spectacle dans deux lieux différents. Il y a le désir du réel. Tout doit être vrai ici et maintenant.Il y a le spectacle vivant, voué à refaire en permanence. Répéter, jouer, rejouer. Alors nous nous demandons, cela a-t-il un sens ?Il y a un point départ, pas de point d’arrivée, mais tout paraît évident. C’est l’absurde.”

  Ce spectacle exceptionnel nous renvoie finalement au plus profond de nous-même: à la mise en danger de notre corps dans l’espace, et aux questions métaphysiques qui nous hantent, comme au sens de l’infini et de l’absolu. Sans autres paroles, que quelques mots écrits à la craie, au début et à la fin.
Du vrai et du grand théâtre tout public à partir de huit ans. Ne le ratez surtout pas, même si c’est en 2017.

Philippe du Vignal

Le Monfort, rue Brancion, Paris XVème, jusqu’au 21 mai : lundi 9, vendredi 13, samedi 14 à 20h; dimanche 15 à 16h; jeudi 19, vendredi 20 et samedi 21 à 20h.
Budapest, Trafo, du 26 au 28 mai; Copenhague, NY CIRKUS Festival, du 12 au 16 août. Chambéry, Espace Malraux, du 14 au 20 novembre.
En 2017:
Quimper, Théâtre de Cornouaille/Scène nationale, du 2 au 4 février; Noisiel, La Ferme du Buisson, du 23 au 25 février; Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines/Scène nationale, du 3 au 11 mars; Le Quartz/Scène nationale de Brest, du 2 au 6 Mai
 

 


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