Britannicus de Jean Racine
Britannicus de Jean Racine, mise en scène de Stéphane Braunschweig
Après avoir écrit des pièces sur des thèmes de la Grèce ancienne, comme La Thébaïde, Alexandre le Grand, Andromaque, Racine explore la tragédie romaine, historique et politique, avec Britannicus (1669), marchant ainsi sur les brisées de Pierre Corneille.
« Ma tragédie n’est pas moins la disgrâce d’Agrippine, que la mort de Britannicus », écrit le dramaturge dans la préface de 1676.
Néron affermit son pouvoir personnel, et on va assister à la révélation de sa nature monstrueuse et criminelle, et à ses débuts du tyran. Avec aussi, la tragédie d’un frère qui tue son frère par alliance : intrigue parfaite, mêlant le thème de l’usurpation politique (Néron a dépossédé Britannicus du pouvoir légitime, aidé par les manœuvres et les crimes de sa mère), à celui de la rivalité amoureuse.
Passion et jalousie du tyran en herbe, concupiscence et plaisir de nuire, déclenchent la machine tragique. Contre la manipulatrice Agrippine à la chute préfigurée, Néron fait enlever Junie, promise au jeune Britannicus, qui est incapable de la moindre clairvoyance. L’empereur, lui, a tout du criminel médiocre, «apparemment naturel, dit Georges Forestier, parce qu’il oscille entre son passé vertueux qui n’est plus qu’un masque, et son impatience à pouvoir s’abandonner sans frein à ses passions, entre l’influence de Burrhus et celle de Narcisse…» Monstre non révélé, hésitant, il se révèle ainsi «humainement», à travers sa passion amoureuse pour Junie, avec désir sexuel, jalousie et violence.
Dans la mise en scène lumineuse mais glacée de Stéphane Braunschweig, Laurent Stocker, d’une ambiguïté rare, laisse planer une équivoque pesante dans les silences que Néron sait ménager, quand il affronte ses conseillers ou détracteurs. Calme, colère froide, cynisme et indifférence à tout ce qui entoure cette âme damnée. Ce petit tyran, paradoxalement magistral, en proie à des instincts non contrôlés, se débarrassera vite d’Agrippine et de Britannicus.
Face à lui, Dominique Blanc incarne la fière figure d’une mère calculatrice et majestueuse; elle donne toute la mesure d’une humanité blessée et cache à son fils, ses mauvais pressentiments. S’abandonnant librement aux alexandrins de racine déclamés selon l’esthétique du «beau naturel», Dominique Blanc, en mère de l’empereur, libère une voix cristalline aux tonalités pures et coupantes, louvoyant entre accents sucrés ou raisonneurs, et échos plus sombres.
Face à cette femme orgueilleuse, Georgia Scalliet, en Junie belle et sensible aux réminiscences tragiques, pleure pour son amant, empêchée d’en dire davantage, prisonnière du regard de Néron qui assiste à la rupture qu’il a programmée… Clotilde de Bayser, confidente d’Agrippine, porte la distinction grave de sa condition, et Hervé Pierre joue Burrhus, ce gouverneur veule et partagé.
Stéphane Braunschweig propose ici une mise en abyme des décors de ses précédents spectacles, avec de grandes portes insolites menant au palais de Néron, qui rappellent la même distorsion de proportions que dans son Tartuffe (2008). Au-dessus du plateau, un toit s’ouvre vers la lumière du ciel.
Les personnages sont mus ici par la douleur de ne pas être assez aimées; et de nombreuses portes, dans la profondeur du champ de vision, offrent un espace personnel segmenté et confiné. Cette installation évoque la possibilité d’échanges, pourtant mis à mal entre les êtres. Avec ces portes manipulées avec précaution, et en silence.
À la fin, Britannicus (Stéphane Varupenne) qui a été empoisonné, gît sur un lit, torse nu, blanc sous une lumière éblouissante, qu’encadre une porte étroite fermée. Comme dans un Verrou de Fragonard qui serait sans ébats, détourné et mis en échec, Néron fera mettre à mort le jeune amant qui se prépare. Les joutes oratoires se succèdent, fascinantes entre un fils et sa mère, si semblables dans leur hostilité, et sonnent très juste.
Dans un rapprochement impossible, et le cœur sans cesse sur le qui-vive, avec l’air de n’y toucher jamais…
Véronique Hotte
Comédie-Française, salle Richelieu, Place Colette, 75001 Paris, jusqu’au 23 juillet. T : 01 44 58 15 15