Chapitres de la chute/Saga des Lehman Brothers

chapitres de la chute

Chapitres de la chute/Saga des Lehman Brothers de Stefano Massini, mise en scène d’Arnaud Meunier

 

Il était une fois trois garçons, fils d’un marchand de bestiaux juif, fraîchement débarqués aux Etats-Unis, depuis leur Bavière natale. Un trio efficace avec Henry, la tête, Emmanuel, le bras, et Mayer, la patate qui fait tampon entre les deux autres.  Ils ouvrent un modeste commerce de tissus en tout genre, dans une petite ville d’Alabama. Au pays du coton, la chance aidant, ils deviennent très vite d’ingénieux courtiers qui revendent les récoltes des planteurs esclavagistes, aux usines textiles du Nord, puis, de fil en aiguille, ils fonderont la Bank of Alabama.
Quand survient la guerre de Sécession, loin d’être ruinés, ils rebondissent,  investissent, en surfant sur une économie nord-américaine à la formidable vitalité… Leurs rejetons suivront leurs traces au cours des siècles suivants, et en trois générations, naîtra ainsi une fortune colossale qui, de crise en crise, finira… par s’effondrer en septembre 2008, provoquant la catastrophe financière mondiale, dite des « subprimes » et la disparition de la banque.
Cette saga familiale en trois saisons : Trois frères (1844-1867), Pères et fils (1880-1929) et L’immortel (1929-2000), nous conte l’histoire du capitalisme vue par le petit bout de la lorgnette, mais aussi les mécanismes d’un système vicieux, qui, en constant déséquilibre, court à sa perte. A l’image du funambule qui, de temps en temps, passe en fond de scène, entre les tours jumelles du World Trade Center à Manhattan. Belle métaphore poétique qui allège la pièce, comme les rêves bibliques qui hantent les héros.
Stefano Massini, jeune auteur italien déjà couronné de succès, ancre son théâtre dans le réel, à l’instar de son compatriote Fausto Paravidino. Amoureux du détail, il construit ici un feuilleton à rebondissements, dont il dessine avec minutie les protagonistes.

Les comédiens passent d’une narration factuelle adressée au public, à l’incarnation de personnages dans de courtes séquences dialoguées, ce qui les rend ainsi plus familiers. Cette forme originale permet un récit critique, teinté d’ironie, des commentaires d’ordre technique, ou des intermèdes, tout en faisant appel à la sensibilité des spectateurs, avec des êtres de chair et de sang.
On se laisse captiver par le succès et le destin fascinant des Lehman, même si le rythme du spectacle fléchit parfois, ce qui provoque le départ de spectateurs à l’entracte.  On connaît déjà la fin, mais tout l’art réside dans la façon de raconter…
La mise en scène, efficace et sans afféterie, suit le scénario à la lettre. Avec comme décor: la porte de la boutique des Lehman Brothers à la clenche qui grince, ou des projections de photos ou films, en rapport avec les événements historiques traversés, ou l’imaginaire des personnages.
Les situations se ressemblent d’un chapitre à l‘autre, pour souligner la nature cyclique des crises du système capitaliste et la permanence des antagonismes-encore vivaces aujourd’hui-entre tenants de l’économie réelle, et spéculateurs aventureux. Mais ces redites engendrent une certaine lassitude, au lieu de créer le comique de répétition escompté ; et plusieurs fois, le texte en devient même pédagogique. Malgré l’énergie et le talent des six acteurs.

Heureusement, après l’entracte, la performance de Serge Maggiani (Robert Lehman), dandy visionnaire, cynique et séduisant, fait décoller le spectacle. Ce dernier chapitre, plus synthétique, nous plonge dans l’univers vertigineux des traders, bien loin de la boutique des ancêtres des Lehman.
Ces trois heures quarante peuvent paraître longues à certains, mais d’autres trouveront le texte suffisamment passionnant pour pallier une réalisation… un peu en retrait.

 Mireille Davidovici

Théâtre du Rond-Point, Paris VIème, jusqu’au 29 mai.
Le texte, traduit de l’italien par Pietro Pizzuti, est publié chez L’Arche éditeur.

 

 

 

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