Anna Karenine
Anna Karenine, d’après le roman de Léon Tolstoï, adaptation et mise en scène de Gaëtan Vassart
Ce serait l’histoire de trois femmes : Daria, l’épouse trompée et accablée d’enfants de l’avocat Oblonski, parfois résignée, parfois non ; sa sœur, Kitty, une jeune fille pleine de rêveries, flattée à son entrée dans le monde par la modeste demande en mariage de Lévine, mais éblouie par le brillant aristocrate Vronski et leur belle-sœur, Anna Karenine, « la plus belle femme de Russie », solidement mariée mais désabusée: «les bals où l’on s’amuse n’existent plus pour moi» (sous-titre du spectacle), soudain emportée avec Vronski dans les orages de la passion.
Ce serait donc l’histoire de ces trois femmes et surtout celle de leur émancipation qui ne se trouve pas là où on l’attend : Anna a cru rompre avec les conventions en s’enfuyant avec son amant (passons sur les épisodes de remords et de retour au foyer conjugal, et du noble pardon de son irréprochable mari!). Mais elle aura l’horrible chagrin de voir son amant contraint de rester auprès d’elle par devoir, empêché de rejoindre la société qui l’attend, sans tache sur son nom, puisqu’il est un homme…, avec un beau mariage à la clé.
Anna Karenine serait une Emma Bovary d’une classe supérieure, une Hedda Gabler avant la lettre, ou l’Ariane épouvantée de Belle du Seigneur d’Albert Cohen: en un mot, l’héroïne sublime et dérisoire de la passion vécue jusqu’à la lie et qui finit dans le fait-divers. Il y a là, de quoi faire du grand théâtre mais ici… justement le grand théâtre n’y est pas!
On ne reprochera pas à Gaëtan Vassart une adaptation forcément réductrice du célèbre roman mais une mise en scène sans cohérence, une scénographie et des costumes désolants, à l’exception de celui d’Anna. Une robe a besoin d’un tissu et d’une coupe, et les paillettes, difficiles à manier, ne font pas un décor !
Passons aussi sur la chorégraphie (?) du bal! Le metteur en scène a la main lourde, mais parfois avec bonheur quand, par exemple, Alexis Karenine, l’homme modèle, prononce un long discours sur fond d’hymne russe: le spectaculaire vocal, cela marche… Mais où est la pensée dans ce bric-à-brac ?
Ce qui nous console: les actrices… Emeline Bayart qui interprète Daria, la mère de famille excédée et trompée, est réjouissante d’humour, et, en plus ,elle chante ! Sabrina Kouroughli, en Kitty un peu verte, n’est pas mal non plus. Mais surtout Golshifteh Farahani, star mondiale (Altamira d’Hugh Hudson, Les Deux amis de Louis Garrel, Les Malheurs de Sophie de Christophe Honoré) et comédienne discrète (et en plus, elle joue du piano!). Belle, gracieuse, elle retient ses forces pour mieux les laisser deviner et articule le texte dans un français parfait, avec une léger accent qui dresse autour d’elle, et donc d’Anna, une très légère frontière faisant du personnage, une intouchable, trop haute et trop belle pour ne pas tomber.
Gaëtan Vassart, comédien, n’a pas trop mal dirigé ses camarades (à l’exception de Vronski, quelque peu transparent) mais il lui manque d’être vraiment metteur en scène. Dommage…
Christine Friedel
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes. T : 01 43 28 36 36, jusqu’au 12 juin.