À plates coutures, de Carole Thibaut

À plates coutures, de Carole Thibaut, mise en scène de Claudine Van Beneden

 

  Histoire écœurante de banalité : celle d’une entreprise qui produit des objets utiles, agréables, et qui se vendent bien. Bas salaires, ouvriers et encore plus ouvrières, exploités et malmenés par de petits chefs : tout est en ordre. Mais si le carnet de commandes ne va pas mal, les marchés, eux, ne vont pas du tout.
La boîte-liquidée!-et bradée au plus offrant, passe par une phase d’exploitation encore plus féroce. Car, chacun le sait, un salarié n’est plus un travailleur, ni un producteur qui exerce avec soin et amour un métier, mais devenu un coût, une variable d’ajustement. Les « Lejaby », à Yssingeaux   (Haute-Loire) ont vécu de leur travail et ont lutté aplatescouturesépour le garder. Cent-soixante neuf opérations  pour fabriquer un soutien-gorge :  du travail bien fait, malgré la pression des cadences.
Il y a toute une sociabilité: les copines, les pas-copines, celles qui font cavalier seul, les solidaires et les rigolades, les révoltes. Bref, de l’humain, et qui mérite le respect.

Médiatisation, feux des projecteurs : une usine de lingerie fait sans doute plus fantasmer qu’un abattoir de poulets… Mais la pièce se termine (presque) toujours de la même façon : par une glorieuse défaite de la classe ouvrière. Bon, inutile de se lancer dans une leçon d’économie du genre : « plus compliqué que cela»…
À plates coutures a déjà beaucoup tourné, dans la région des Lejaby, et ailleurs. Carole Thibaut relaie la parole des ouvrières: parole collective et confessions intimes: tout ce qui fait la matière même du théâtre : imbrication, tressage, « à plates coutures » entre le collectif et l’intime.
Le travail occupe une telle place, et pas seulement en temps et en fatigue, qu’il est impossible à détricoter de la vie, dite privée.

Le récit sonne particulièrement juste, quand “les filles“ racontent leur grève avec occupation de l’usine, et le désarroi de leurs maris démunis devant la machine à laver ou le repas des enfants. Et le manque d’argent… Mais la représentation du travail, elle, ne fonctionne pas aussi bien, malgré une ébauche de chorégraphie. La forme reste à trouver, et on reste aussi sur sa faim quant à l’accompagnement musical: on a envie de demander au compositeur-interprète quelque chose de plus moderne-on ne parle pas de combats du passé-même si le public populaire reste en effet fidèle à ses émotions de jeunesse, à en juger par le succès d’émissions comme Stars des années 80, Les Années-bonheur et autres…

Mais il y a aussi de belles et justes idées dans ce spectacle: par exemple, rapprocher l’image des ouvrières de Lejaby, de celles des clientes :  toutes des femmes qui peuvent porter la même lingerie, et les corps déformés par le travail, sont peut-être tout aussi désirables que ceux photo-shopés d’une pub…
L’essentiel, malgré certaines faiblesses du spectacle? Encore une fois, leur parole  lucide, intelligente, drôle et digne. D’où naissent les moments d’émotion, et un vrai respect. La Maison des métallos, créée par, et pour les luttes syndicales, n’a pas oublié sa vocation en route…
Aux artistes maintenant, d’assumer encore mieux leurs responsabilités : toujours plus haut !

Christine Friedel

Spectacle vu à la Maison des Métallos.

Et les 26 et 27 septembre, Théâtre des Ilets CDN de Montluçon (03);
Dans le cadre du Festival Théâtral du Val d’Oise, le 14 novembre au TPE Bezons; le 17 novembre  à l’Espace Culturel Lucien Jean; le 25 novembre  à la Briquerie de Montmorency.

Le 26 janvier à La Caravelle de Marcheprime; le  23 février au Centre Culturel de Liffré: le 4 février, Théâtre de Montélimar (26); le 7 mars, Théâtre de Tournon-sur-Rhône (07); le 9 mars, Théâtre de la région de la Vallée d’Aoste, Italie; le 17 mars  ATP de Villefranche-de-Rouergue et le 19 mars, Théâtre du Peuple de Millau (12); le  23 mars,Théâtre Christian Ligier de Nîmes (30); le 25 mars, Théâtre de Chenôve (21); le 4 avril, Théâtre de Saint-Lô (50); le 27 avril,  Théâtre Gérard Philipe à Orléans et le 18 mai, Théâtre des 3 Pierrots de Saint-Cloud (92).

 


Archive pour 18 mai, 2016

L’album de Karl Höcker

p1Les chantiers d’Europe au Théâtre de la Ville (septième édition):

 L’album de Karl Höcker  mise en scène de Paul Bargetto par le Teatr Trans-Atlantyk (en polonais, surtitré en français)

 

Karl HöckerLes Chantiers d’Europe: un voyage dans les théâtres de pays peu explorés… Après le Portugal, à l’honneur avec Miguel Loureiro, nous voici en Pologne, plongés dans l’univers d’Auschwitz, via un album de photos, trouvé là-bas en 1945 par un officier américain et rendu public en 2006, quand il fut donné à l’United States Holocaust Memorial Museum de Washington.  
   A partir de ces images, Paul Bargetto a organisé un travail collectif de mémoire, avec les cinq comédiens de la compagnie qu’il a fondée à Varsovie, et avec la dramaturge Malgorzata Sikorska-Miszczuk. Américain, il se partage depuis quinze ans entre Etats-Unis et Europe, et travaille sur des thématiques politiques.
La troupe revendique un théâtre documentaire, et a mené une enquête poussée et tente de reconstituer, grâce à des improvisations, les scènes où figure le lieutenant SS Karl Höcker, entourés de ses supérieurs, hauts dignitaires nazis, et celles où apparaissent de jeunes femmes de l’hôpital ou de la Sola Hütte, résidence lacustre du personnel d’Auschwitz-Birkenau.
Les acteurs décryptent pour nous les images projetées en fond de scène. On y reconnaît le très chrétien Rudolf Höss, converti au nazisme, le commandant des camps d’extermination, bien connu par ses Mémoires, popularisées par Robert Merle sous le titre La mort est mon métier.

Le sinistre docteur Josef Mengele, surnommé « l’ange de la mort », à cause de ses expériences sur les prisonniers, arbore un sourire carnassier qu’un des comédiens se fait un plaisir d’imiter. A l’instar de ses camarades qui prennent les poses des différents personnages photographiés, tout en essayant d’imaginer, dans leurs improvisations, les mots ou les pensées qui se cachent derrière ces visages, souvent enjoués.
 Ont-il eu des doutes ? «Les ordres prévalent», fait-on répondre à l’un des bourreaux. Qu’éprouve le gynécologue Karl Clauberg, qui stérilise les femmes au Bloc 10 ? Et le docteur Hans Delmotte, d’abord réticent à la sélection des prisonniers ?  «Ressaisis-toi, Delmotte ! » fait-on dire aussi  à Josef Mengele, penché, l’air sévère, vers son confrère.
Ces photos, envers des images atroces des victimes révélées à l’ouverture des camps, sont tout aussi insoutenables. La morgue et l’apparente insouciance affichées par les tortionnaires dépassent l’entendement et nous interpellent. Les acteurs ont parfois du mal à se mettre dans la peau des nazis,  par exemple à imiter leur salut. Polonais, ils sont d’autant plus sensibles à la Shoah, qu’Auschwitz, ce lieu de mort qu’ils sont allés voir pour alimenter leur travail, se trouve dans leur pays et que nombre de leur compatriotes y ont disparu.
 Leurs commentaires et leurs actions sur scène brouillent parfois les images, mais ces diversions interviennent comme des appels d’air et introduisent une distance critique. Cet album, feuilleté par le Teatr Trans-Atlantyk nous incite à ne pas oublier et, à ce titre, mériterait une tournée plus ample.

Mireille Davidovici

Spectacle vu au Carreau du Temple,  jusqu’au 18 mai. Les Chantiers d’Europe se poursuivent jusqu’au 4 juin. T : 01 42 74 22 77.
theatredelaville-paris.com

 

 

Avant toutes disparitions, chorégraphie de Thomas Lebrun

Avant toutes disparitions chorégraphie de Thomas Lebrun

IMG_0114«Un mouvement de vie avant toutes disparitions. Disparitions par désillusion, élimination, ravage, dévastation, ultimatum,  combat, guerre, dilution ou fatalité», écrit  Thomas Lebrun, à propos de sa  dernière pièce, moins sombre qu’il ne l’annonçait.
Les chorégraphes Odile Azagury et Daniel Larrieu,  ses complices de toujours, ouvrent le spectacle et vont scrupuleusement, presque religieusement, poser de petits pots de plantes sur un sol de gazon naturel, sans jamais agir avec les dix danseurs qui évoluent d’abord en fond de scène, avant d’en occuper ensuite le centre, et qui seront rejoints, à la fin, par Thomas Lebrun et Anne-Sophie Lancelin pour un quatuor, nimbé par un nuage de fumée,  moment émouvant et d’une grande beauté plastique mais… un peu trop long.

Deux générations d’interprètes se croisent ainsi lentement, avec des gestes simples, précis et sensuels. Pour Thomas Lebrun, sa pièce a besoin «de différences d’âge et de pensée, de différents corps pour y ancrer le vivant avant tout effacement… mais aussi pour après». Certaines images peuvent nous faire penser à des pièces de Pina Bausch et les lumières de Jean-Marc Serre enveloppent d’une étrange pénombre les corps qui se cherchent, se trouvent puis se séparent. La création musicale de Scanner, parfois trop présente, accompagne ces alternances d’unions et désunions des corps, et intègre aussi Just, un joli morceau de David Lang qu’on a entendu dans Youth. le dernier film de Paolo Sorrentino,
Les danseurs évoluent en couple et en groupe, ou parfois dans une ronde qui se désagrège. Formant, en une heure trente, un spectacle hypnotique, sensible et attachant.

Jean Couturier

Théâtre National de Chaillot, Paris jusqu’au 20 mai.       

Le Théâtre de l’Odéon-Théâtre de l’Europe: une nouvelle saison

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Le Théâtre de l’Odéon-Théâtre de l’Europe: un nouveau directeur pour une nouvelle saison

 

stephane-braunschweig_carole-bellaiche_2016 Stéphane Braunschweig, après le décès de Luc Bondy, a été nommé rapidement directeur de ce théâtre, emblématique d’une identité européenne. La prochaine saison sera de transition, mais dit-il, “riche, foisonnante et excitante; l’Odéon a joué un rôle déterminant et pour ainsi dire militant dans la défense d’une certaine Europe culturelle. Il doit jouer un rôle de premier plan, à la fois artistique, et politique dans un Paris, surtout après que la ville ait été victime des attentats que l’on connaît. »
  « Mais le Théâtre de l’Europe doit aussi être plus que jamais ouvert sur le reste du monde. Et nous accueillerons cette saison entre autres une troupe brésilienne. C’est stimulant pour nous, de voir l’on peut faire aussi du théâtre avec de très pauvres moyens comme ces remarquables compagnies du Moyen-Orient ou d’Afrique qui travaillent sans subventions”.
  Le programme 2016-2017 est à la fois sans grande surprise mais intelligent et riche de promesses. Avec, entre autres: les grands noms européens actuels que l’on connaît bien maintenant chez nous: Krystian Lupa avec Des Arbres à abattre  de Thomas Bernhard; Thomas Ostermeier, avec Richard III qui avait été le grand succès du Festival d’Avignon 2015, et la reprise du tout à fait remarquable Vu du Pont d’Arthur Miller, mise en scène d’Ivo van Hove, (voir Le Théâtre du Blog) qui présentera aussi La Source vive, une pièce adaptée du gros roman de l’écrivaine américaine, Ayn Rand et qui avait été aussi un succès du Festival d’Avignon 2014. Et enfin le retour de la grande Deborah Warner  avec Le Testament de Marie.
Du côté français, là non plus pas de grandes surprises, mais deux classiques: Dom Juan de Molière, mise en scène de Jean-François Sivadier, créé cette année au Théâtre National de Bretagne, Hôtel Feydeau, adapté de trois courtes pièces de Georges Lavaudant qui fut aussi un excellent directeur de l’Odéon, avant d’être débarqué vite fait sans élégance ni raison en 2006, par Renaud Donnedieu de Vabres, alors ministre de la Culture.

 Et de Tennessee Williams  Soudain l’été dernier sera montée  par Stéphane Braunschweig qui a très bien aprlé de cette pièce qui a pour thème la mort soudaine mais inexplicable d’un jeune homme de vingt-cinq ans. “ Ce qui me passionne dans Soudain l’été dernier, c’est la manière dont la réalité se révèle sous les airs du plus terrifiant des fantasmes.”
 Le nouveau directeur de l’Odéon a voulu aussi donner une place aux jeunes metteurs en scène comme Guillaume Vincent qui montera Songes et Métaporhoses, d’après Ovide et William Shakespeare; Julien Gosselin qui avait brillamment mis en scène avec Les Particules élémentaires d’après Michel Houellebecq, reprendra 2006 le roman-culte et fleuve de quelque 1.300 pages de Robert Bolaño qu’il va créer à Valenciennes puis au festival d’Avignon. Et Thomas Jolly qui mettra en scène Le Radeau de la Méduse, une pièce de Georg Kayser sur les enfants survivants d’un bateau qui fut torpillé : il devait les conduire  en 1940 au Canada depuis l’Angleterre…
 Mais Stéphane Braunschweig a aussi mis l’accent sur  la nécessité absolue qu’il y avait à faire de son théâtre, un lieu ouvert sur le monde mais aussi au croisement des générations. Et il a enfin insisté sur une nouvelle mesure expérimentale: à l’Odéon, pour chaque spectacle, le tarif des deux avant-premières sera réduit de 50%. Ce qui permettra  un public moins aisé de pouvoir assister à de grands spectacles.
  La salle des Ateliers Berthier  connaît toujours une belle fréquentation.
Ces anciens magasins de décor de l’Opéra devraient sans doute à terme accueillir aussi le Conservatoire national et la Comédie-Française. Ce qui donnerait à ce quartier excentré un pôle théâtral d’importance, ce ne serait pas un luxe dans une ville comme Paris. La fameuse phrase d’Emile de Girardin: “ Gouverner, c’est aussi prévoir”, reste toujours d’actualité, en termes de culture…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon, Paris. T: 01 44 85 40 40.

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