Peer Gynt

Peer Gynt, d’après Henrik Ibsen, adaptation et mise en scène d’Irina Brook,  (en anglais et  français sur-titrés)

 

Crédit photo : Monika Rittershaus – Jean-Claude Fraicher

Crédit photo : Monika Rittershaus – Jean-Claude Fraicher

Un spectacle musical, inventif et facétieux dont le héros, à la fois veule et bienveillant dans sa quête de lui-même, évolue dans le show-biz, à la manière du héros faustien pactisant avec le diable dans Phantom of the Paradise (1974), film musical de Brian De Palma.
Ici, Irina Brook fait de Peer Gynt, un musicien-chanteur qui quitte son pays natal, en abandonnant ses proches et intimes dont sa mère, et sa fiancée, la pure Solveig.
Il devient une
rock-star dans un quartier new yorkais  et on pourrait le comparer à Iggy Pop, lui aussi, artiste rock, acteur, compositeur et chanteur américain, dont le  groupe The Stooges, fut dès les années 60, le précurseur iconique du mouvement punk, et a composé avec David Bowie, Nightclubbing. D
ésigné comme the Godfather of Punk des années 70 et 80..
 
Peer Gynt, menteur et séducteur, parcourt le monde pour mettre fin d’abord aux médisances jalouses de son village, au gré de rencontres hasardeuses comme le Roi des Trolls et sa fille qu’il séduit; ils l’obligeront à pactiser avec le diable : « Occupe-toi de toi seul, et néglige les autres ! »
  La rock-star Peer Gynt s’enfuit, poursuit sa route, se perdant en tours et détours, mais reviendra voir sa mère mourante. Vingt ans plus tard, il vit dans la débauche, avant de perdre de sa morgue et de décliner, pour finalement, être couronné Empereur des fous.
Il ira s’éteindre auprès de la seule certitude qu’il ignorait : l’amour qu’il portait sans le savoir, à la douce Solveig, et deviendra enfin soi-même. Fantasque, poète amoureux des mots et anticonformiste, Peer Gynt est porteur d’une insolence qui le proclame roi de l’illusion, des mensonges et du rêve.
S’il reste une énigme pour lui-même (il a beau peler l’oignon dont il est la métaphore)il ne trouve en lui que le vide et le rien. Pour survivre, il élève l’imaginaire  sur les hauts lointains des montagnes qu’il atteint  sur un renne volant…                                                                                                                          
  La mise en scène festive d’Irina Brook immerge le monde de Peer Gynt dans un imaginaire musical-efficace et de pacotille-passant du classique et du traditionnel, au rock-funk, au jazz et à la country. Elle sait dessiner avec des couleurs vives, des microcosmes américains folkloriques typés et datés, mêle hippies et chapeaux de cow-boy, glamour et strass bon marché, et sait créer un univers où les midinettes rêvent de devenir chanteuses.
  Ce Peer Gynt réunit une distribution cosmopolite avec des acteurs, danseurs, chanteurs et musiciens comme la danseuse indienne Shantala Shivalingappa (Solveig), l’Islandais Ingvar Sigurdsson, immense comédien qui incarne brillamment l’impossible et infatigable héros, chantant, courant, palabrant…Mais il y a aussi des interprètes venus du Rwanda, du Japon, et aussi de New York et Paris.   
 Sourires et  bonne humeur: Irina Brook a donné un coup de fouet à  cette épopée tragi-comique norvégienne, qu’elle a illustrée de poèmes de Sam Shepard et de chansons originales d’Iggy Pop. Une passerelle blanche figure les hauteurs et l’inaccessible des rêves osés, et les comédiens évoluent à vue sur le plateau, montent les marches du podium pour le concert, installent le lit de la mère, ou  inventent le bar des habitués de country…
  Un spectacle qui s’attaque, par la satire et l’ironie, aux forces négatives de notre temps, et qui fait du peuple obtus, de méchants trolls, des réactionnaires fermés aux étrangers et à la différence.
Un conte coloré et cruel aux dimensions du rêve.

Véronique Hotte

Théâtre Saint-Quentin-en-Yvelines/Scène nationale, jusqu’au 21 mai.

 

 

 


Archive pour 20 mai, 2016

Nous sommes repus mais pas repentis (Déjeuner chez Wittgenstein)

 

Nous sommes repus mais pas repentis (Déjeuner chez Wittgenstein) de Thomas Bernhard, conception de Séverine Chavrier

  nous-sommes-repus.rubio_03Comédienne franco-suisse, fervente de philosophie et de musique classique, et pianiste, Séverine Chavrier (qui ne revendique curieusement pas le titre de metteuse en scène), a donc «conçu», puisque conception, il y a, Ritter, Dene, Voss, du grand auteur autrichien.
Le titre en allemand reprend le nom des acteurs qui ont joué ses pièces au Burgtheater à Vienne, comme entre autres, La Place des héros. La pièce connue en France sous le titre: Déjeuner chez Wittgenstein (1984) a été ici encore rebaptisée, les Dieux savent pourquoi, et il y a quand même là-dessous, une certaine prétention, quand il s’agit d’une œuvre aussi connue!
La pièce se passe dans une riche et belle salle à manger de la grande bourgeoisie autrichienne, avec, aux murs, des portraits de famille. Deux sœurs célibataires, comédiennes sans travail (mais leur père a acheté un théâtre pour qu’elles restent dans le milieu, refrain connu!) et qui, de toute façon, n’ont pas besoin de cela pour vivre, ont invité à déjeuner leur frère philosophe-tout aussi célibataire-qui vit, lui, dans un hôpital psychiatrique.
Haine bien recuite et amour familial (ce n’est pas toujours incompatible: ces héritiers fortunés se sont toujours connus et ont eu les mêmes parents bien bourgeois). On sent que ce déjeuner de retrouvailles avec potage aux petites lettres adorées des enfants, et profiteroles au dessert (que le frère prétend détester), va virer à un violent affrontement verbal, teinté d’humour le plus noir, et où les répliques assassines se succèdent. Entre d’abord les deux sœurs, entre l’un des deux et son frère, entre les deux sœurs et le frère: la panoplie est complète
! Vive l’amour de la famille !
 Ritter, assez égoïste, tyrannise Dene l’aînée qui a voulu faire sortir de l’hôpital psychiatrique, Ross, leur  frère, qui, visiblement, préfère encore y rester, plutôt que de revenir dans cette maison familiale, antichambre de l’enfer. Dene, dévouée et résignée, sait probablement qu’elle ne jouera plus jamais au théâtre, sauf dans des petits rôles, mais fait encore semblant d’y croire.
Bref, chez ces trois personnages, il y a comme une impuissance à vivre, une soumission à l’autre, une profonde douleur existentielle et un désespoir que l’on devine sans issue. Avec, en toile de fond, l’hypocrisie d’une société autrichienne que Thomas Bernhard ne supportait pas.
Autour de cette table, cette fratrie parle beaucoup : de la vie quotidienne, de l’art en général, et de musique classique-Dene vient d’acheter une nouvelle version de la Neuvième-mais aussi de théâtre.
“Je hais le théâtre”, dit leur frère, comme n’a cessé de le répéter aussi l’auteur autrichien…tout en écrivant plusieurs pièces; Ross, sans doute quelque peu “dérangé” comme on disait autrefois, veut absolument qu’on écoute ses discours délirants mais reste lucide et cruel. Et ses deux sœurs, par moment tout à fait hystériques, ne lui feront aucun cadeau.

  La pièce, aussi aussi étrange que passionnante, a souvent été mise en scène en Allemagne et en France; et Krystian Lupa, en Pologne, il y a une dizaine d’années, l’avait recréée avec bonheur. Comme Agathe Alexis, en  janvier dernier (voir Le Théâtre du Blog). Et c’est toujours un régal que d’entendre un texte comme celui-ci…
Et cela donne quoi, quand Séverine Chavrier s’en empare avec sa culture et ses diverses collaborations musicales?
Désolé, mais vraiment rien de très convaincant, et loin, sauf à de rares moments, de l’univers de Thomas Bernhard. La conceptrice semble s’être surtout fait plaisir, en prenant prétexte du texte pour  créer ses images et une sorte d’environnement musical; après tout, pourquoi pas?
Oui, mais voilà, il n’y a pas vraiment ici de mise en scène et direction d’acteurs, et la scénographie, à la fois sommaire et compliquée, qui ne sert guère les comédiens qui parlent trop fort, et avec des micros HF, (on se demande vraiment pourquoi). De toute façon, un beau mais grand plateau comme celui des Ateliers Berthier pour servir une pièce intimiste, on ne voit pas bien: le rapport scène/salle est loin d’être idéal.

Trois tables en bois à pied central, alignées sur une surface couverte de milliers de morceaux de porcelaine blanche, et, dans le fond, une longue desserte avec assiettes, soupières, etc. soigneusement rangées, tout aussi blanches mais qui resteront cette fois intactes. A cour, une plaque à induction à même le sol, qui servira à réchauffer le repas gardé dans des boîtes plastiques, quelques platines pour 33 tours, dont des centaines couvrent le sol, (et vers la fin, on verra tout un mur couvert de pochettes de disques!) un très haut rayonnage vide, avec quelques livres seulement, et un vaisselier en pin où sont accrochées des tasses, et disposées des assiettes. A jardin, un piano à queue sur lequel Séverine Chavrier va souvent jouer. Dans le fond, suspendues, des photos grand format d’hommes et femmes, et trois lits étroits où les personnages iront parfois s’allonger…
 Mais, on s’en doute, tout ce bric-à-brac sans unité ne fait pas une véritable scénographie et surtout, ne traduit en rien l’enfer de ce Déjeuner chez Wittgenstein qu’avait bien vu, lui, Krystian Lupa. Il y a aussi, en fond de scène, un grand écran où sont souvent projetés: merveilleuses forêts d’automne rouges et jaunes, ou toutes givrées d’hiver, et des champs de couverts de neige où, le frère et les deux sœurs, de noirs vêtus, marchent en silence.
Un grand écran où on verra aussi, démesurément grossis, leurs visages filmés par une caméra suspendue par un fil dans une boîte et manipulée par Voss. Tout cela relève d’un nouvel académisme scénique, maintenant bien connu, où Séverine Chavrier a, malheureusement, sauté à pieds joints.

  Les trois comédiens-dont elle-semblent un peu perdus sur ce grand plateau, et tout relève du pléonasme visuel, est hypertrophié, surligné :images comme effets sonores et accompagnement de musique classique envahissante! La pièce n’a pas besoin de tout cet artifice pour exister, et on l’a vue, fort bien et simplement montée avec une table et quelques chaises et accessoires. Comme entre autres, chez Agathe Alexis.
Ici, sauf à de rares moments du déjeuner, cela ne fonctionne pas, et la représentation n’en finit pas de finir (deux heures vingt sans pause!) jusqu’à devenir ennuyeuse, avec une fausse fin redoutable où Voss singe un chef dirigeant son orchestre, puis saluant et resaluant, sous les applaudissements et les hourras-enregistrés-du public!

  Mais parfois, pendant ce déjeuner, il se passe quelque chose entre Voss et ses sœurs, et la mise en scène de Séverine Chavrier sonne alors très juste mais cela ne dure pas! En fait, la « conceptrice » n’a pas réussi à maîtriser l’ensemble de la pièce, et seul, s’en sort, souvent même très bien dans ce rôle écrasant, Laurent Papot. Dommage pour Thomas Bernhard…
On pourra voir en juin, dans une mise en scène de Séverine Chavrier, Les Palmiers sauvages, d’après William Faulkner. Pari d’envergure: l’univers de l’écrivain américain a souvent passionné les gens de théâtre mais n’est pas facile à traduire sur un plateau. La dictature actuelle de la vidéo frappera-t-elle encore? Croisons les doigts.

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier Paris 17ème jusqu’au 29 mai. T: 01 44 85 40 40.

 

Seventeen de François Stemmer

Seventeen de François Stemmer

img_8557-hr1La Maison des Pratiques Artistiques Amateurs (Ville de Paris) encadre des amateurs de toutes disciplines. Après ceux de Saint-Germain-des-Près, Broussais, Saint-Blaise, un nouveau site vient d’ouvrir sous la Canopée des Halles.
La compagnie de François Stemmer, a repris Seventeen, créée en 2013 au Point-Éphémère à Paris par des adolescents, comédiens amateurs pour la plupart. Avec une partie de la distribution normande: des jeunes issus de l’atelier de création de la MPAA.

Seventeen, poème visuel et sonore sur l’adolescence, ne prétend pas faire endosser aux jeunes, d’autres rôles que les leurs. « C’est avant tout le corps que je fais parler, dit François Stemmer, ce corps que les adolescents découvrent encore, et cherchent à apprivoiser, ce corps qu’ils exhibent ou cachent, ce corps qui les raconte. Chacun a son rythme, son style, son look. Je les prends tels qu’ils sont, tels qu’ils bougent et je les dirige, je les fais se regarder, se rencontrer, se provoquer, se toucher, se rejeter, s’aimer, s’amuser, se parler, s’exprimer, partager, découvrir, essayer et créer »
Le but : coller le plus possible à leur identité. Les ombres de David Bowie et d’Arthur Rimbaud, ces deux symboles de la jeunesse sont bien là : on entend les poèmes du poète français, et les chansons de la star américaine, dites ou chantées. Ziggy Stardust, ce  personnage conçu et interprété par David Bowee, icône du  glam rock, est un messager humain d’une intelligence extraterrestre; il cherche à transmettre à l’humanité qui n’a plus que cinq années à vivre, un message d’amour et de paix, mais il finit par être détruit par ses propres excès.
« Avec Ziggy, dit François Stemmer, David Bowie s’est créé un monstre. Certains des adolescents présents sur scène en sont là; qu’ils se cachent derrière un look, un discours, ou une idole, ils ont créé un monstre que je veux aussi montrer.» Malgré des références assez justes à Arthur Rimbaud et David Bowie, le résultat, lui se révèle malheureusement inégal. Pendant la longue scène du début, on entend mal le garçon resté dans la pénombre. Puis, les jeunes gens, seuls ou en groupe, vont se mettre en fond de scène, mais c’est assez  fastidieux. Quand enfin, ils sont alignés en pleine lumière, un drôle de personnage marche lentement (trop) vers l’avant-scène, puis se déshabille avec méthode, en fixant le public et en se contorsionnant.
On pense aux films de Larry Clark ,notamment Wassup Rockers (2004) qui traite de la culture skateboard » et du passage de l’adolescence à l’âge adulte  de sept jeunes d’origine latino-américaine de milieu pauvre… La musique très dansante du groupe danois Junior Senior accompagne une époustouflante chorégraphie: souplesse, fluidité et rythme, chaque jeune possède un talent pour la danse hip-hop, la percussion (cajon), le patin à roulettes, ou le skate. D’autres entonnent de superbes duos.
  Mais les scènes, parfois trop longues, s’enchaînent sans véritable dramaturgie ni rythme, et restent trop illustratives. Dommage ! En effet souvent, ces jeunes, très investis, se livrent ici avec un vrai charisme. Le texte-projeté-de Nina Atlan illustre bien leur frénésie, et parle clairement de sexualité, et sans rien de trop contrôlé…
  Puis le spectacle marque une pause : deux adolescents syriens nous racontent leur voyage : risques pris, déchirements de quitter leur famille, nuits passées à la gare d’Austerlitz. Récit touchant, presque indécent. Cet écart entre ces  combattants de la vie, et d’autres, plus favorisés, crée un malaise : leur histoire fait diversion, alors qu’elle mériterait un spectacle à part entière.
  L’adolescence reste un vaste thème difficile à mettre en scène ; on se souvient encore de la justesse de Comme possible de Didier Ruiz (voir Le Théâtre du Blog). De ce Seventeen, même s’il manque de colonne vertébrale, on gardera des images intéressantes, de beaux visages et une scène finale pleine d’énergie positive, .

Julien Barsan

Spectacle vu au centre de Saint-Germain des-Prés, Maison des Pratiques Artistiques Amateurs/Ville de Paris.

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Une famille aimante mérite de faire un vrai repas

Une famille aimante mérite de faire un vrai repas de Julie Aminthe, mise en scène de Thibault Rossigneux

 image« Petit papa Noël, quand tu descendras du ciel, etc. » chante en cœur la petite famille bien proprette. Maman décore le sapin avec la fille, le père astique la cuisine et le fils s’acharne sur un jeu vidéo… Chez les Lenormand, tout semble normal et, comme le revendique la mère à plusieurs reprises: « Une famille aimante mérite de faire une vrai repas », tel qu’il se prépare en ce soir de réveillon.
 Pourtant, au fil de la pièce, tout va se déglinguer, pour arriver à une grande débandade finale; dans cette comédie cruelle, se révèlent les failles de cette famille modèle : mère alcoolique, père au chômage et cachant qu’il a été licencié pour avoir piqué dans la caisse, adolescente suicidaire, gamin révolté contre la société…
 L’auteure pousse tous ses personnages jusqu’à la caricature : mère possessive, voire intrusive, père obsessionnel de la propreté, adolescents suicidaires ou agressifs, et inquiets pour leur avenir. Et elle les accable de nombreuses répliques scabreuses : on se moque des règles abondantes de la sœur, des bouffées de chaleur et de  la ménopause de la mère… Il ne manque que les hémorroïdes du père !
  Révélateurs de la promiscuité où vit cette famille, ces détails n’ont rien du comique escompté. Pourtant, les comédiens entrent à fond dans ces figures stéréotypées et s’en amusent.  Le décor astucieux, tendance op art noir et blanc, progressivement contaminé par du rouge, tourne sans arrêt, à l’instar de ces gens montés en boucle dans leurs lubies.
 On pénètre ainsi dans toutes les pièces de l’appartement qui apparaît comme éventré. A mesure que la tension monte, la vitesse de la tournette augmente, les murs tombent, et la pagaille s’insinue derrière les façades lisses. Cette destruction constitue la partie la plus jouissive du spectacle et correspond aux intentions dramaturgiques.
 La pièce se voudrait drôle et grinçante, pour dénoncer l’aliénation des individus dans notre société et le côté pathogène de la famille, mais on est loin du compte. Et on regrette qu’un metteur en scène, dont on avait jusque là apprécié le travail, se soit embarqué dans cette aventure, et que des acteurs talentueux, aient à interpréter un texte vulgaire, sans grâce ni style, et qui traite par-dessus la jambe des malheurs ordinaires mais réels de cette famille délabrée… 

 Mireille Davidovici

Le Montfort Paris XVème, jusqu’au 28 mai.
La pièce est publiée aux Editions Quartett

 

 

 

Chantiers d’Europe: Do Natural

p1Chantiers d’Europe:

Do Natural d’après D’après Nature. Poème élémentaire de Winfried Georg Sebald, adaptation et mise en scène de Miguel Loureiro

 

S’emparant de Nach der Natur. Ein Elementargedicht de l’écrivain allemand (1944-2001), le metteur en scène l’adapte en portugais, et attribue chacun de ces trois récits de vie à un interprète différent, se réservant la dernière partie, autobiographique, et donc à la première personne: La sombre nuit fait voile. Les deux premières étant écrites à la troisième personne du singulier.
Dans ce triptyque en vers libres, le premier chapitre Comme la neige sur les Alpes évoque la vie de Mathias Grünewald (v. 1475-1528), peintre du fameux retable d’Issenheim, le second, Et que j’aille tout au bout de la mer,  celle de Georg Wilhelm Steller (1709-1746), naturaliste et explorateur, et le dernier, celle de l’auteur lui-même.  Ces trois hommes ont vécu à des époques différentes  mais ont en commun leur Rhénanie natale et les violences qu’ils ont subies : répression de la Réforme et épidémie de peste dont fut victime Mathias Grünewald ; fureur des éléments pour Georg Wilhelm Steller lors de l’expédition catastrophique du navigateur russe Vitus Bering sous le règne de Catherine II, et naufrage sur une côte de l’Alaska, puis longue traversée de la Sibérie au bout de laquelle la mort l’attendait.

Ces drames entrent en résonance avec celui de Winfried Georg Sebald qui, né à la veille de la débâcle du IIIe Reich, a haï l’Allemagne et s’exila à Manchester. Les comédiens, assis à une table, s’adressent au public comme des conteurs, et croisent les épisodes de chaque récit. Tandis qu’en nous tournant le dos, une lectrice ponctue ces histoires par des extraits de textes en allemand, ou en latin.Ce dispositif peu théâtral nous laisse quand même entrevoir la qualité de ce long poème qui, remarquablement porté par les acteurs, sonne aussi bien en portugais, que dans la traduction française des surtitres.
Winfried Georg Sebald parle en couleurs, et sa langue se révèle imagée: chez lui, la peinture revient comme un leitmotiv. Quelques tableaux de Mathias Grünewald nous sont projetées en noir et blanc et au fond  de la scène, dont son présumé autoportrait en Saint-Sébastien. On nous distribue aussi des reproductions de planches de De bestiis marinis, catalogue des espèces marines établi par  Georg Wilhelm Steller, enfin, en conclusion, est  projetée aussi dans les gris, La Bataille d’Alexandre d’Albrecht Altdorfer, exposée à l’Alte Pinakothek. de Munich.
 Peintre déjà cité avec Loth et ses filles (1537) par Winfried Georg Sebald, tableau que l’on peut voir au Kunsthistorisches Museum de Vienne, à propos de l’incendie de Nüremberg qui traumatisa sa mère quand elle était enceinte : « A l’horizon rougeoie/un terrible incendie/qui détruit une grande ville./La fumée monte de la contrée,/ les flammes frappent le ciel,/et dans le reflet rouge sang/on voit les façades/sombres des maisons.»
  Mais ni le talent des comédiens, ni la beauté du texte, ni ces quelques illustrations ne suffisent à nous captiver vraiment : prisonniers du surtitrage, par ailleurs tout à fait synchrone, sans doute lisons-nous plus le texte, que nous ne regardons et écoutons…

 Mireille Davidovici

 Théâtre de la Ville, Café des œillets jusqu’au 19 mai.

 

D’après nature. Poème élémentaire, traduit de l’allemand par Sibylle Muller et Patrick Charbonneau est publié chez Actes Sud (2007 ). Édition originale en allemand, 1988.


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