Chantiers d’Europe: Do Natural
Do Natural d’après D’après Nature. Poème élémentaire de Winfried Georg Sebald, adaptation et mise en scène de Miguel Loureiro
S’emparant de Nach der Natur. Ein Elementargedicht de l’écrivain allemand (1944-2001), le metteur en scène l’adapte en portugais, et attribue chacun de ces trois récits de vie à un interprète différent, se réservant la dernière partie, autobiographique, et donc à la première personne: La sombre nuit fait voile. Les deux premières étant écrites à la troisième personne du singulier.
Dans ce triptyque en vers libres, le premier chapitre Comme la neige sur les Alpes évoque la vie de Mathias Grünewald (v. 1475-1528), peintre du fameux retable d’Issenheim, le second, Et que j’aille tout au bout de la mer, celle de Georg Wilhelm Steller (1709-1746), naturaliste et explorateur, et le dernier, celle de l’auteur lui-même. Ces trois hommes ont vécu à des époques différentes mais ont en commun leur Rhénanie natale et les violences qu’ils ont subies : répression de la Réforme et épidémie de peste dont fut victime Mathias Grünewald ; fureur des éléments pour Georg Wilhelm Steller lors de l’expédition catastrophique du navigateur russe Vitus Bering sous le règne de Catherine II, et naufrage sur une côte de l’Alaska, puis longue traversée de la Sibérie au bout de laquelle la mort l’attendait.
Ces drames entrent en résonance avec celui de Winfried Georg Sebald qui, né à la veille de la débâcle du IIIe Reich, a haï l’Allemagne et s’exila à Manchester. Les comédiens, assis à une table, s’adressent au public comme des conteurs, et croisent les épisodes de chaque récit. Tandis qu’en nous tournant le dos, une lectrice ponctue ces histoires par des extraits de textes en allemand, ou en latin.Ce dispositif peu théâtral nous laisse quand même entrevoir la qualité de ce long poème qui, remarquablement porté par les acteurs, sonne aussi bien en portugais, que dans la traduction française des surtitres.
Winfried Georg Sebald parle en couleurs, et sa langue se révèle imagée: chez lui, la peinture revient comme un leitmotiv. Quelques tableaux de Mathias Grünewald nous sont projetées en noir et blanc et au fond de la scène, dont son présumé autoportrait en Saint-Sébastien. On nous distribue aussi des reproductions de planches de De bestiis marinis, catalogue des espèces marines établi par Georg Wilhelm Steller, enfin, en conclusion, est projetée aussi dans les gris, La Bataille d’Alexandre d’Albrecht Altdorfer, exposée à l’Alte Pinakothek. de Munich.
Peintre déjà cité avec Loth et ses filles (1537) par Winfried Georg Sebald, tableau que l’on peut voir au Kunsthistorisches Museum de Vienne, à propos de l’incendie de Nüremberg qui traumatisa sa mère quand elle était enceinte : « A l’horizon rougeoie/un terrible incendie/qui détruit une grande ville./La fumée monte de la contrée,/ les flammes frappent le ciel,/et dans le reflet rouge sang/on voit les façades/sombres des maisons.»
Mais ni le talent des comédiens, ni la beauté du texte, ni ces quelques illustrations ne suffisent à nous captiver vraiment : prisonniers du surtitrage, par ailleurs tout à fait synchrone, sans doute lisons-nous plus le texte, que nous ne regardons et écoutons…
Mireille Davidovici
Théâtre de la Ville, Café des œillets jusqu’au 19 mai.
D’après nature. Poème élémentaire, traduit de l’allemand par Sibylle Muller et Patrick Charbonneau est publié chez Actes Sud (2007 ). Édition originale en allemand, 1988.