Nous sommes repus mais pas repentis (Déjeuner chez Wittgenstein)

 

Nous sommes repus mais pas repentis (Déjeuner chez Wittgenstein) de Thomas Bernhard, conception de Séverine Chavrier

  nous-sommes-repus.rubio_03Comédienne franco-suisse, fervente de philosophie et de musique classique, et pianiste, Séverine Chavrier (qui ne revendique curieusement pas le titre de metteuse en scène), a donc «conçu», puisque conception, il y a, Ritter, Dene, Voss, du grand auteur autrichien.
Le titre en allemand reprend le nom des acteurs qui ont joué ses pièces au Burgtheater à Vienne, comme entre autres, La Place des héros. La pièce connue en France sous le titre: Déjeuner chez Wittgenstein (1984) a été ici encore rebaptisée, les Dieux savent pourquoi, et il y a quand même là-dessous, une certaine prétention, quand il s’agit d’une œuvre aussi connue!
La pièce se passe dans une riche et belle salle à manger de la grande bourgeoisie autrichienne, avec, aux murs, des portraits de famille. Deux sœurs célibataires, comédiennes sans travail (mais leur père a acheté un théâtre pour qu’elles restent dans le milieu, refrain connu!) et qui, de toute façon, n’ont pas besoin de cela pour vivre, ont invité à déjeuner leur frère philosophe-tout aussi célibataire-qui vit, lui, dans un hôpital psychiatrique.
Haine bien recuite et amour familial (ce n’est pas toujours incompatible: ces héritiers fortunés se sont toujours connus et ont eu les mêmes parents bien bourgeois). On sent que ce déjeuner de retrouvailles avec potage aux petites lettres adorées des enfants, et profiteroles au dessert (que le frère prétend détester), va virer à un violent affrontement verbal, teinté d’humour le plus noir, et où les répliques assassines se succèdent. Entre d’abord les deux sœurs, entre l’un des deux et son frère, entre les deux sœurs et le frère: la panoplie est complète
! Vive l’amour de la famille !
 Ritter, assez égoïste, tyrannise Dene l’aînée qui a voulu faire sortir de l’hôpital psychiatrique, Ross, leur  frère, qui, visiblement, préfère encore y rester, plutôt que de revenir dans cette maison familiale, antichambre de l’enfer. Dene, dévouée et résignée, sait probablement qu’elle ne jouera plus jamais au théâtre, sauf dans des petits rôles, mais fait encore semblant d’y croire.
Bref, chez ces trois personnages, il y a comme une impuissance à vivre, une soumission à l’autre, une profonde douleur existentielle et un désespoir que l’on devine sans issue. Avec, en toile de fond, l’hypocrisie d’une société autrichienne que Thomas Bernhard ne supportait pas.
Autour de cette table, cette fratrie parle beaucoup : de la vie quotidienne, de l’art en général, et de musique classique-Dene vient d’acheter une nouvelle version de la Neuvième-mais aussi de théâtre.
“Je hais le théâtre”, dit leur frère, comme n’a cessé de le répéter aussi l’auteur autrichien…tout en écrivant plusieurs pièces; Ross, sans doute quelque peu “dérangé” comme on disait autrefois, veut absolument qu’on écoute ses discours délirants mais reste lucide et cruel. Et ses deux sœurs, par moment tout à fait hystériques, ne lui feront aucun cadeau.

  La pièce, aussi aussi étrange que passionnante, a souvent été mise en scène en Allemagne et en France; et Krystian Lupa, en Pologne, il y a une dizaine d’années, l’avait recréée avec bonheur. Comme Agathe Alexis, en  janvier dernier (voir Le Théâtre du Blog). Et c’est toujours un régal que d’entendre un texte comme celui-ci…
Et cela donne quoi, quand Séverine Chavrier s’en empare avec sa culture et ses diverses collaborations musicales?
Désolé, mais vraiment rien de très convaincant, et loin, sauf à de rares moments, de l’univers de Thomas Bernhard. La conceptrice semble s’être surtout fait plaisir, en prenant prétexte du texte pour  créer ses images et une sorte d’environnement musical; après tout, pourquoi pas?
Oui, mais voilà, il n’y a pas vraiment ici de mise en scène et direction d’acteurs, et la scénographie, à la fois sommaire et compliquée, qui ne sert guère les comédiens qui parlent trop fort, et avec des micros HF, (on se demande vraiment pourquoi). De toute façon, un beau mais grand plateau comme celui des Ateliers Berthier pour servir une pièce intimiste, on ne voit pas bien: le rapport scène/salle est loin d’être idéal.

Trois tables en bois à pied central, alignées sur une surface couverte de milliers de morceaux de porcelaine blanche, et, dans le fond, une longue desserte avec assiettes, soupières, etc. soigneusement rangées, tout aussi blanches mais qui resteront cette fois intactes. A cour, une plaque à induction à même le sol, qui servira à réchauffer le repas gardé dans des boîtes plastiques, quelques platines pour 33 tours, dont des centaines couvrent le sol, (et vers la fin, on verra tout un mur couvert de pochettes de disques!) un très haut rayonnage vide, avec quelques livres seulement, et un vaisselier en pin où sont accrochées des tasses, et disposées des assiettes. A jardin, un piano à queue sur lequel Séverine Chavrier va souvent jouer. Dans le fond, suspendues, des photos grand format d’hommes et femmes, et trois lits étroits où les personnages iront parfois s’allonger…
 Mais, on s’en doute, tout ce bric-à-brac sans unité ne fait pas une véritable scénographie et surtout, ne traduit en rien l’enfer de ce Déjeuner chez Wittgenstein qu’avait bien vu, lui, Krystian Lupa. Il y a aussi, en fond de scène, un grand écran où sont souvent projetés: merveilleuses forêts d’automne rouges et jaunes, ou toutes givrées d’hiver, et des champs de couverts de neige où, le frère et les deux sœurs, de noirs vêtus, marchent en silence.
Un grand écran où on verra aussi, démesurément grossis, leurs visages filmés par une caméra suspendue par un fil dans une boîte et manipulée par Voss. Tout cela relève d’un nouvel académisme scénique, maintenant bien connu, où Séverine Chavrier a, malheureusement, sauté à pieds joints.

  Les trois comédiens-dont elle-semblent un peu perdus sur ce grand plateau, et tout relève du pléonasme visuel, est hypertrophié, surligné :images comme effets sonores et accompagnement de musique classique envahissante! La pièce n’a pas besoin de tout cet artifice pour exister, et on l’a vue, fort bien et simplement montée avec une table et quelques chaises et accessoires. Comme entre autres, chez Agathe Alexis.
Ici, sauf à de rares moments du déjeuner, cela ne fonctionne pas, et la représentation n’en finit pas de finir (deux heures vingt sans pause!) jusqu’à devenir ennuyeuse, avec une fausse fin redoutable où Voss singe un chef dirigeant son orchestre, puis saluant et resaluant, sous les applaudissements et les hourras-enregistrés-du public!

  Mais parfois, pendant ce déjeuner, il se passe quelque chose entre Voss et ses sœurs, et la mise en scène de Séverine Chavrier sonne alors très juste mais cela ne dure pas! En fait, la « conceptrice » n’a pas réussi à maîtriser l’ensemble de la pièce, et seul, s’en sort, souvent même très bien dans ce rôle écrasant, Laurent Papot. Dommage pour Thomas Bernhard…
On pourra voir en juin, dans une mise en scène de Séverine Chavrier, Les Palmiers sauvages, d’après William Faulkner. Pari d’envergure: l’univers de l’écrivain américain a souvent passionné les gens de théâtre mais n’est pas facile à traduire sur un plateau. La dictature actuelle de la vidéo frappera-t-elle encore? Croisons les doigts.

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier Paris 17ème jusqu’au 29 mai. T: 01 44 85 40 40.

 

 

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