Page en construction
Page en construction, texte de Fabrice Melquiot , mise en scène de Kheireddine Lardjam
Dans le lointain, un écran vidéo vertical et élevé dans les airs, avec ses cases où défilent des images d’archives, de documentaires, et d’infos relatant les événements qui ont trait aux rapports tendus et distendus avec l’Algérie-hier, aujourd’hui, et dans l’actualité la plus immédiate.
Sur scène, des acteurs -musiciens se tiennent, l’une à son micro, les autres près de leur instruments-Sacha Carmen au chant et à la guitare, Larbi Bestam, au chant et au luth et Romaric Bourgeois au chant, à la guitare électrique et à la mandole.
Au centre, en vedette solo rayonnante, l’acteur et metteur en scène Kheireddine Lardjam invente son propre personnage, entre réel et imaginaire: un citoyen franco-algérien déchiré entre l’Algérie et la France.
«Entre nos deux pays, il y a une fêlure. On la voit sur la Méditerranée, quand on la survole en avion; une strie se dessine, longue de plusieurs centaines de kilomètres, presque parallèle à nos côtes», dit le narrateur et acteur de cette pièce commandée à Patrice Melquiot.
Soit l’histoire de Kheireddine Lardjam, metteur en scène jurassien, que l’auteur savoyard inscrit royalement sur le plateau du théâtre, l’un et l’autre étant en lien–coups de fil de l’acteur à l’auteur, avec précisions et détails consentis-lors de l’écriture puis dans l’avancée même du jeu et de la représentation.
Une mise en abyme, un miroir renversé de soi à l’autre-Kheireddine Lardjam est un héros fictif dont le théâtre s’accomplit des deux côtés de la Méditerranée. Au-delà des blessures laissées dans les corps et les cœurs par la guerre d’Algérie, le spectacle se veut musical et festif, ludique et enjoué, entre concert, vidéo et bande dessinée: Jean-François Rossi a composé un univers de « comics » bien frappés, avec des icônes de superman franco-algérien, (une boutade en passant car il n’est connu de superman en Algérie que Mahomet). L’aventure théâtrale se veut amusée et amusante, à la fois enfantine et audacieuse.
Le comédien n‘hésite pas à se livrer et enfile diverses panoplies diverses-Algéroman et Man Maghreb-étonné, pressé d’en découdre pour construire aujourd’hui des relations de fraternité et d’égalité entre la France et l’Algérie. Aspirant à soulever la chape de silence qui recouvre l’Histoire commune aux deux pays, Lardjam se souvient-à travers la parole empathique de Fabrice Melquiot,et met en scène son propre périple intérieur-expériences initiatiques, prises de conscience et accès à la maturité. Être soi revient à se reconnaître à la fois Algérien et Français, arabe et féminin, hors des sentiers battus des stéréotypes féminins et masculins.
La performance s’accomplit avec humour, distance et ironie, avec un quant-à-soi aguerri. Spectacle généreux, comme le comédien, les musiciens et la chanteuse, qui ouvre joyeusement à une altérité salutaire, pour retrouver le fond universel et commun à chacun, quel qu’il soit, terreau indispensable à la Page en reconstruction.
Véronique Hotte
Théâtre de l’Aquarium, La Cartoucherie de Vincennes , du 10 au 22 mai.
Le texte est publié chez L’Arche Éditeur.