Déjà la fin ? d’Henri-René Lenormand

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Déjà la fin ? d’Henri-René Lenormand, adaptation d’Alison Cosson, mise en scène de Patrice Bigel

 

 L’usine Hollander, lieu depuis longtemps  de la compagnie La Rumeur , offre un cadre idéal à cette pièce en trois actes représentée en 1935 au Théâtre des Arts (maintenant Théâtre Hébertot) sous le titre Crépuscule du Théâtre.  Henri-René Lenormand (1882-1951), dramaturge à succès de l’époque, aujourd’hui tombé dans l’oubli, nous fait vivre l’agonie d’un théâtre contraint de fermer pour laisser place à une activité plus rentable, le cinéma : «Toute une faune, tout un bestiaire vit, dort et répète les dernier instants d’un monde qui est en train de sombrer »,  annonce le programme.
Nous entrons par la petite porte dans une grande salle vide, pour assister à une répétition houleuse, où s’affrontent les acteurs devant un auteur qui voit son texte tronqué pour céder aux caprices de l’actrice-vedette; quant au régisseur, il est est dépassé par les événements…
Les bribes qui nous en sont livrées, évoquent un mélodrame burlesque, mêlant humains et oiseaux, sur une banquise dans la brume. Une mouette amoureuse d’un pêcheur, un duo de pingouins… Il y a des accents d’Anton Tchekhov et d’Henrik Ibsen dans cette tragi-comédie absurde qui s’élabore devant nous au premier acte.
L’acte II, parodique, épingle une production berlinoise d’avant-garde : « Le théâtre est un putsch, une suite d’explosions, le drame un feu de salves que je dirige sur la foule » (…) clame, dans un langage guerrier, Putsch, le bien-nommé metteur en scène allemand. »Le dialogue d’abord. Ce qu’on appelle sentiment, poésie, émotions… Ce que j’appelle moi, des pompes à larmes. Voilà ce que j’ai balayé du théâtre.  » L’auteur est scandalisé.
Tournant esthétique et menace procurée par l’arrivée du cinéma: l’écrivain et les artistes s’inquiètent pour leur avenir. Et à l’acte III, le directeur convoque la troupe pour monter La Tempête de William Shakespeare, ultime et vaine résistance.
Mais le théâtre n’en sera pas sauvé : «Le théâtre est avalé par le cinéma»,  et les comédiens contraints de céder à ses sirènes. Quand une actrice, au milieu des décombres, lance une dernière tirade, on peut dire comme Jacques Copeau: «Tout cela est amèrement vrai. La peinture est exacte, par instants, elle vous serre la gorge et vous met les larmes aux yeux. Un peu trop de sentimentalité dans certains passages et d’outrances en quelques autres, ne parvient pas à la discréditer. »
Ce sont ces passages larmoyants d’un lyrisme ampoulé et d’une poésie surannée qu’Alison Cosson a supprimés, pour ramener l’intrigue à l’os,  et lui rendre son actualité avec trois monologues d’une écriture plus moderne, à la fin de chaque acte.

  Dans l’espace impressionnant de l’ancienne usine Hollander, l’atmosphère et les questions d’hier entrent en résonance avec celles d’aujourd’hui : «C’est une certitude pour tout le monde, que nous sommes à la fin d’une histoire, dit Patrice Bigel. La disparition des repères ne se limite pas au seul domaine économique. Mais protéiforme, elle atteint, par là-même, le théâtre qui, touché de plein fouet, subit cette onde de choc (…) » Déjà la fin ? constitue grâce à des images fortes, à une écriture soignée et à une mise en scène juste et sensible, une profession de foi.
Une soirée à partager avec émotion: Patrice Bigel affirme ici que, malgré tout, le théâtre est encore bien vivant…

Mireille Davidovici

Compagnie la Rumeur, Usine Hollander, Choisy-le-Roi jusqu’au 18 juin. T: 01 46 82 19 63 cie.la.rumeur@wanadoo.fr

 

 


Archive pour 30 mai, 2016

La Fonction de l’orgasme


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La Fonction de l’orgasme, d’après William Reich, mise en scène de Didier Giraudon et Constance Larrieu

 

D’après des études publiées en 2000, relatées par l’écrivaine et journaliste Elisa Brune, l’orgasme aurait une influence notable sur la santé physique et psychique des hommes et des femmes. A l’entrée de la salle, ses bienfaits s’affichent sur un écran : un orgasme correspondrait à sept kilomètres de course à pied; la consommation de sperme prévient bien des infections, etc.
Cela corrobore les théories de William Reich (1897-1957) pour qui la libido est source d’énergie vitale et créatrice. Ce brillant et sulfureux psychanalyste veut donner au corps toute sa place, quand la société fait obstacle à la libre satisfaction des pulsions sexuelles, cause immédiate de désordres dévastateurs, au plan personnel et sociétal.

 Loin d’un traité sérieux, le spectacle utilise seulement les thèses reichiennes comme point de départ. Séduite par la dimension biologique, socio-politique de l’ouvrage-phare du psychanalyste, publié en 1929 en Allemagne, censuré puis réédité en 1942 aux Etats-Unis, Constance Larrieu a mené sa propre enquête, et nous livre ses conclusions dans une sorte de vraie/fausse conférence avec archives, études, et interviews à l’appui.
 Elle relate aussi ses difficultés à monter ce projet,  devenu monologue pour des raisons économiques.  Seule en scène, elle dialogue avec les documents qu’elle a recueillis : schémas scientifiques, points de vue filmés de sexologues, et décortique, en les enrichissant d’un regard contemporain, les thèses de l’auteur, aujourd’hui encore controversé mais visionnaire, de La Psychologie de masse du fascisme.
Mi-sérieuse, mi-rieuse, elle embarque le public, avec force clins d’œil,  dans l’univers du savant fou, tout en gardant ses distances, et remet ces questions au goût du jour, en évoquant, la spécificité de la sexualité féminine, longtemps négligée… L’humour, toujours au rendez-vous, produit le décalage nécessaire à cette performance hors-norme, à la fois instructive et amusante. Un vrai plaisir. 
Souhaitons que cette pièce créée en 2015 par la compagnie Jabberwock à la Comédie de Reims puisse continuer à tourner..

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 26 mai au Théâtre Paris-Villette.
Théâtre Nicolas Peskine à Blois en janvier prochain

La Fonction de l’orgasme est publié chez L’Arche-Editions  (1986) et La Psychologie de masse du fascisme chez Payot, (1999).

 

 

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