Le Lièvre blanc d’Inaba et des Navajos
Le Lièvre blanc d’Inaba et des Navajos, création de Satoshi Miyagi (en japonais sur-titré)
Dix ans après avoir inauguré le théâtre Claude Lévi-Strauss avec Le Mahabharata, qui avait aussi ensuite enchanté le public du festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog), Satoshi Miyagi et sa compagnie du SPAC-Shizuoka Performing Arts Center ont été de nouveau invités par le musée du Quai Branly pour y présenter une création originale.
Six mois de répétitions au Japon, complétées par une résidence sur place, ont donné naissance à cette épopée inspirée par L’Autre face de la lune de Claude Lévi-Strauss (2002). Le célèbre ethnologue voit une correspondance entre le mythe du lièvre blanc, relaté dans Le Kojiki, recueil de contes japonais du Vlllème siècle, et la légende amérindienne plus récente, de l’Oiseau-Tonnerre. Selon lui, il existerait un troisième mythe d’origine, datant de l’époque des grandes glaciations, donc avant la dérive des continents, qui aurait circulé de l’Indonésie à l’Alaska. Claude Lévi-Strauss n’a pas réécrit la fable d’origine et laisse les chercheurs libres de la retrouver.
Le public découvre successivement les mythes japonais et amérindien, joués, chantés et dansés par les artistes de Satoshi Miyagi, puis une marionnette représentant Claude Lévi-Strauss, relate ce mystère : «Tout se passe comme si un système mythologique, peut-être originaire d’Asie continentale et dont il faudrait chercher les traces, était passé d’abord au Japon, ensuite en Amérique.»
La dernière partie du spectacle, fruit de recherches, dialogues et expérimentations du metteur en scène et de ses acteurs, aboutit à une écriture scénique qui réinvente le mythe d’origine. Nous nous souvenons alors des grands moments de création collective au Théâtre du Soleil, mis en scène par Ariane Mnouchkine; spectacle total, Le Lièvre blanc d’Inaba et des Navajos s’y apparente et, en deux heures, mobilise tous les artifices scéniques, avec vingt-six acteurs, chanteurs et musiciens en permanence sur le plateau nu, modifiant la place des instruments, et se changeant à vue, selon les tableaux.
Personnages simples, parfois naïfs évoqués ici avec poésie, le lièvre porte un kimono en tissu clair et un masque stylisé aux longues oreilles en paille, matériau qui est aussi celui d’un crocodile, joué par des comédiens rampant sur le plateau. Ceux qui jouent les animaux du mythe amérindien, portent de grands masques rappelant ceux de la célèbre troupe américaine du Bread and Puppet des années 70. Accompagnés de musiques et chants superbes.
Grâce à l’adaptation de la scénographie japonaise au théâtre Claude Lévi-Strauss, avec un surprenant final ouvert sur le jardin, le public, très proche de la scène, peut saisir pleinement les nuances de jeu des comédiens.
Exemple parfait de théâtre-récit, Le Lièvre blanc d’Inaba et des Navajos nous emporte dans un voyage fantastique, et au musée du Quai Branly, ce spectacle prendra une valeur symbolique. Un moment fort de partage et d’intelligence…
Jean Couturier
Spectacle vu le 3 mai à Shizuoka (Japon); présenté du 9 au 19 juin au Théâtre Claude Lévi-Strauss, Musée du quai Branly, Paris.
www.quaibranly.fr