Inflammation du verbe vivre

Inflammation du verbe vivre, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad

 

InflammationDuVerbeVivre4_Philocte¦Çte6-®PascalGe¦ülyL’écrivain et metteur en scène revient vers l’immense Sophocle, et à trois de ses  personnages mythiques: Ajax, Philoctète et Œdipe. Inflammation du verbe vivre,  est le deuxième volet de sa trilogie Le Dernier Jour de sa vie, avec Ajax-Cabaret à partir d‘Ajax (voir Le Théâtre du Blog), Philoctète  deviendra Inflammation du verbe vivre, et Œdipe à Colone, Les Larmes  d’Œdipe.
  »Nos intuitions sont-elles des prémonitions ? se demande Wajdi Mouawad. Appelons-nous à nous, défaites et victoires ? Appelons-nous le malheur ? Nous sommes des arbres visités par des oiseaux insatisfaits. (…) Mare de sang qui ne porte plus son nom. Comme une intuition flottante qui serait ou pourrait devenir prémonition. C’est une noyade dans l’eau de nous-même. Que se passe-t-il quand il ne se passe plus rien ? (…)
  Le projet est en fait intiment lié à la disparition brutale de son ami le poète et traducteur Robert Davreu et, très cinématographique, qui l’a conduit avec son équipe à voyager en Grèce entre octobre 2014 et avril 2015, c’est-à-dire au cours de cette période d’écrasement du peuple grec par ce que l’on a appelé la crise, mot commode pour résumer des complexités autrement plus terribles que ce qu’il semble signifier. (…)Les rencontres qui ont eu lieu ont été le fondement de ces deux textes. (…) Des gens merveilleux nous ont fait aimer une manière de vivre et de voir, une manière d’être, une manière de regarder le paysage de l’Histoire qui s’écrivait devant nos yeux”.
 Sur le grand plateau de la salle Jean Vilar, que Wajdi Mouawad a déjà investi plusieurs fois et qu’il maîtrise parfaitement, juste devant un écran à lamelles où sera projeté un film tourné par le metteur en scène. C’est aussi lui qui sera seul en scène, en charge d’une sorte de long poème inspiré de Philoctète de Sophocle mais où on devine aussi l’ombre d’Homère.
On le verra aussi dans le film, dont il sortira et entrera, personnage à la fois véritable et virtuel, réalité et image . Le procédé technique est à la fois bluffant et magique, comme chez José Montalvo qui l’a souvent utilisé dans ses chorégraphies sur ce même plateau, mais  reste un procédé… dont Wajdi Mouawad a un peu tendance à abuser.
  On voit sur l’écran, un travail à la table avec l’équipe du spectacle qui exige de poursuivre le travail, alors que le metteur en scène a très envie de tout laisser tomber : «Quand je tente de comprendre ce que je dois faire, je suis confronté aussitôt au fait que je n’ai pas de texte, parce que Robert Davreu est mort, et cette relation impossible entre la création d’un objet et la mort d’un ami, ce lien entre mort et création, me met dans un état effroyable, ouvre une brèche, une faille, je ne sais pas, avec un sentiment… de dégoût… de dégoût profond… insupportable ; »
Ce théâtre dans le théâtre a quelque chose de déjà trop vu. Bref, cela ne commence pas très bien puis on assiste heureusement à une sorte de grand voyage dans la Grèce contemporaine, avec des images fabuleuses de poésie, comme cet immeuble abandonné où, on ne sait pourquoi, sur un escalier roulant des centaines de dossiers ont été jetés, ou cet aéroport international de l’Hadès lui aussi vide et abandonné, avec devant, en front de mer, attend, nouveau Charon, un chauffeur de taxi jaune comme ceux d’Athènes.
Il y aussi ce chien enfermé  qui hurle et se jette sur la nourriture, un chien malade boite devant Wahid et s’approche de lui. Chien malade (en arabe): Il y avait une forêt à côté de la maison.Où est-elle passée ? Il paraît qu’elle a brûlé ?Wahid (en arabe). Tu parles arabe ?Chien malade(en arabe). Bien sûr, je parle la langue de ta mère.Wahid (en arabe). Qui es-tu ?Chien malade (en arabe). Je suis ton âme. Regarde-moi et vois tes propres yeux.
Ou de vieux pêcheurs, au bord de la mer en train de remailler leurs filets.  Je suis Gaspara Stampa. Je suis née en 1523 et je suis morte en 1554…. Je suis Louise Labé. Je suis née en 1524 et je suis morte en 1566…Je suis Georg Trakl. Je suis né vieux et mort très jeune. Je suis María Zambrano. .
Il y a là aussi Zeus, Athéna, et Apollon qui, avec un humour Normale Sup qui fait penser à La Guerre de troie n’aura lieu de Jean Giraudoux:  «J’ai maintenant, dit-il, la citoyenneté américaine, vous savez. Je ne vis plus du tout en Grèce… Je suis fermier depuis plusieurs siècles. J’aime beaucoup mon nouveau pays. Chaque été je viens ici, chez oncle Hadès, pour rendre visite à mon père, Zeus, et à mes sœurs, Athéna et Artémis. L’avantage des dieux, c’est encore de pouvoir aller du monde des vivants à celui des morts. Mon père et Athéna ont préféré vivre chez les morts. Je ne me soucie plus de rien. La Grèce, tout ça… Ce sont de vieux pays… des vieilleries… La vérité est toujours une erreur. Delphes, c’est du passé.. »
 Mais le metteur en scène prend grand soin de ne pas tomber dans le cliché facile.  Et ce voyage est aussi une sorte d’hommage à son ami et traducteur disparu. Wajdi Mouawad raconte l’histoire de Philoctète, le personage de  Sophocle qui  fut mordu à la jambe par un serpent. En proie à une douleur atroce, il emplit l’armée entière de cris sinistres. Et Ulysse convainquit les autres généraux de l’armée de l’abandonner purement et simplement à ses malheurs. Philoctète resta donc  seul dix ans mais un oracle annonça aux Grecs que la guerre ne saurait être gagnée qu’à la faveur de l’arc de Philoctète, qu’Héraclès lui avait donné avant de mourir.  Ulysse poussa Néoptolème, quatorze ans, fils d’Achille, à gagner l’amitié de Philoctète pour lui voler son arc. La ruse fonctionne mais Néoptolème refusa de trahir Philoctète.
Ulysse surgit, prêt à se battre contre Néoptolème, quand Héraclès dit que Zeus entend que Troie tombe par cet arc et par sa main! ”Philoctète alors obéit. Bien entendu, il faut aussi voir dans ce long récit, une parabole sur les migrants de Syrie surtout, qui échouent sur les rivages des îles grecques

  Il y  a aussi la rencontre avec cette chaise, petit bijou de poésie : «Chaise. Je suis toutes les chaises sur lesquelles tu t’es assis, ici ou ailleurs. Dans ton pays natal ou dans les pays étrangers. Chaise d’école, chaise de l’enfance. Chaise où tu as dit “je t’aime” pour la première fois. Chaise du piano où tu as appris la mort de ta mère, chaise d’attente, chaise de café au soleil de la Méditerranée, je suis aussi cette chaise qui t’attend aux derniers jours de ta vie lorsque, attablé avec tes petits-enfants, tu leur montreras comment laver les fraises et les framboises sans en édulcorer leur goût. Je suis la chaise où tu t’es si souvent assis pour écrire. Je suis la disparition de tout cela. Tu vois ? Tout s’en va et s’efface »
  Wajdi Mouawad/Wahid  lit à l’écran un passage de l’Odyssée, sur les voyages à faire chez Hadès et la terrible Perséphone, « pour demander conseil à l’ombre du devin Tirésias de Thèbes, l’aveugle qui n’a rien perdu de sa sagesse .» On ne peut tout citer d’un texte riche de pépites poétiques. Il dit très bien que ces trois pièces réécrites ont été l’occasion,  encore et toujours, d’un retour sur lui-même dans le Liban et la Méditerranée de son enfance «pour m’enfoncer dans les abysses et retrouver ce poisson-soi dont les écailles reflètent une mémoire qui ne sait regarder que le présent. »
Wajdi Mouawad maîtrise parfaitement l’espace scénique mais moins le temps et, même si encore une fois, il sait créer des images de toute beauté, on a souvent l’impression qu’il se regarde un peu tourner ce film qui constitue l’essentiel d’un spectacle attachant mais trop long… Reste un souffle profondément poétique, indéniable, où il met tout en œuvre pour aller à la recherche de lui-même, et pour faire « ressentir le désir profond que notre existence soit grande et héroïque, belle, à la hauteur de ce qu’on espérait enfant ». Et ce n’est pas si fréquent. Wajdi Mouawad qui est un de nos meilleurs dramaturges est maintenant en charge du Théâtre National de la Colline. Rappelons à tous les imbéciles qu’il fut aussi un émigré chez nous et que la France lui doit beaucoup.

Philippe du Vignal

Spectacle joué au Théâtre National de Chaillot, Paris T : 01 53 65 30 00 les 31mai et 1er juin.
Cette Trilogie est éditée chez Actes-Sud

 


Archive pour 4 juin, 2016

Othello, variation pour trois acteurs

Othello, variation pour trois acteurs d’après William Shakespeare, conception de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano

OtelloNous sommes une centaine, assis en cercle  sur un plateau nu. Les trois acteurs se présentent : « Nous sommes de pauvres clowns chypriotes et nous allons jouer une tragédie que nous n’avons pas les moyens de nous payer. (…) Venise et Chypre revendent dans toute l’Europe, c’est le moyen d’augmenter notre capital. (…) Le retour de la confiance, vous n’écoutez pas les experts (…) et les Turcs ? La guerre n’est jamais bonne pour les affaires ».
Othello s’est converti, a enlevé la douce Desdémone qu’elle aime toujours et qu’elle suit dans la guerre  mais son père Brabantio se révolte…Les  acteurs interprètent tour à tour les différents personnages: le cynique et machiavélique Iago, la douce Desdémone et Othello, son époux qui l »aime mais qui va l’assassiner, avec une rage froide.

 Aucun accessoire, de simples chapeaux, foulards et maquillage pour Othello; les acteurs arpentent le plateau  de plus en plus vite. Othello, ours en cage,  » est violent, le monde aussi ! ». Et Cassio, dénoncé faussement par Iago, héritera de Chypre.  «Au départ, dit Nathalie Garraud, il n’y a pas de texte, pas de forme, pas d’esthétique. Il y a une chose qui nous préoccupe (…) une idée à déplier théâtralement : l’idée de la jeunesse, l’idée d’étranger… » Nous sommes fascinés par cette restitution à mains nues, enracinée dans une histoire à la fois ancienne et des plus actuelles de notre monde qui continue, sans trêve, à se déchirer. Une théâtralité terrifiante ! »
La compagnie Du Zieu travaille depuis 2006 sur des cycles de création, d’abord sur Les Suppliantes d’Eschyle, puis, de 2010 à 2013 sur C’est bien, c’est mal, sur la jeunesse, avec le principe d’un laboratoire permanent en lien avec le public.
Du Zieu
vient d’achever le cycle: Spectres de l’Europe avec Soudain la nuit présenté au dernier festival d’Avignon.Parallèlement, Nathalie Garraud a des projets de coopération à l’étranger, notamment avec le collectif Zoukak à Beyrouth, et pour European Cities on Stage mené par le Théâtre National de Bruxelles et le Festival d’Avignon.

Edith Rappoport

Le spectacle a été créé aux Ateliers Berthier en coopération avec L’Etoile du Nord à Paris,  et a été joué du 26 au 27 mai à la Comédie de Béthune.
Festival de Almada, Portugal du 11 au 13 juillet.
www.duzieu.net

 

 

 

L’École des femmes de Molière

L’École des femmes de Molière, mise en scène de Christian Schiaretti

98841-jcb_13n0701_269_bdIl existe au théâtre de ces incontournables chefs d’œuvres nés de la rencontre miraculeuse entre une époque, un homme et une grande question philosophique. L’École des femmes en fait partie : il a fallu à Molière l’amère expérience du mariage et la question obsédante de la liberté pour arriver à cette comédie follement drôle et, par la succession de révélations vers une vérité insupportable, aussi tragique à sa façon qu’Oedipe Roi.
  On connaît l’histoire : celle d’Arnolphe, un barbon… de quarante-deux ans et celle d’Agnès, sa pupille de dix-sept ans. A vouloir faire trop longtemps le jeune homme, quand il veut se marier «à sa mode», Arnolphe, autrement dit Monsieur de La Souche, a passé son tour.
Trop tard : s’il avait connu le mythe du sculpteur Pygmalion et de sa statue Galatée (il dit d’Agnès : « comme un morceau de cire entre mes doigts, elle est… »), il aurait su qu’il n‘était pas Dieu, que la créature échappe toujours à son créateur, et qu’un tyran n’est jamais libre.
Robin Renucci, grand acteur populaire, fait grandir le personnage, au fur et à mesure de la pièce : plus il va loin dans le ridicule et l’odieux, plus il fait rire, jusqu’au tragique. Malgré un personnage un peu indécis dans la première scène, alors que son partenaire, Patrick Palmero, lui,  rend bien vivant,  Chrysalde, le raisonneur.
  On aurait aimé un Arnolphe plus tranquille sur son projet de bonheur et d’ “honneur“ garanti. À côté de lui, Jeanne Cohendy joue une Agnès fraîche, joyeuse (les sévères Maximes du mariage la font rire, tant elle est innocente), et elle est de plus en plus sérieuse à mesure que la pièce avance et qu’elle en découvre les enjeux : sa propre puissance et celle de l’amour : «Que ne vous êtes-vous, comme lui, fait aimer ?», dit-elle à Arnolphe, et celle de la tyrannie.
La  chute : l’arrivée miraculeuse d’un père rescapé des Amériques ne clôt pas tout. Maxime Mansion, dans le rôle d’Horace, plutôt mal habillé, dessinant son étourdi à gros traits, peine à charmer. Et si c’était une ruse du metteur en scène, afin que le spectateur pressente qu’Horace peut devenir, lui aussi, un nouvel Arnolphe, quoique encore innocent, qui va «dormir en assurance», une fois Agnès confiée aux soins de son meilleur ennemi, savourant lui aussi un «bonheur garanti» ?
Pour cette magistrale réflexion sur la liberté-et pas seulement celle des femmes-et en hommage aux personnages populaires que sont Alain et Georgette (excellents Laurence Besson et Philippe Dusigne, ce soir-là), Christian Schiaretti a choisi la farce.
Devant un décor de maison de poupée, dont la porte surbaissée condamne Arnolphe au gag répété de se plier en deux, il y a ce qu’il faut de manches à balai. Les acteurs jouent vite, même si la torpeur, soigneusement cultivée, d’Agnès ralentit les choses avec justesse.
 Et pourtant, il manque à cette version tréteaux qui sera suivie d’une version en salle, un je ne sais quoi dans l’excès, malgré la folie d’Arnolphe, pour que la représentation nous embarque complètement. Mais une petite dose d‘insatisfaction ne nuit pas, si elle nous pousse à nous interroger sur les replis d’une pièce, comme on l’a dit, incontournable.

Christine Friedel

La Grande escale des Tréteaux de France  au Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes. T : 01 48 08 39 74  jusqu’au 12 juin.

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