Le travail des élèves de deuxième année au Conservatoire national
Le travail des élèves de deuxième année au Conservatoire National
Intérieur Jour Extérieur nuit, scènes d’Alfred de Musset, mise en scène de Sandy Ouvrier
L’équation relève du défi: comment rendre compte en fin d’année, du travail de neuf filles et neuf garçons. En donnant le même morceau de gâteau à tous et convenant à chaque personnalité, avec une certaine unité dans les textes, et sans que cela dure cinq heures! En privilégiant la notion d’exercice, à la fois individuel et collectif- avec la quasi-obligation de doubler les personnages, mais sans nuire à la mise en scène qui doit être des plus solides, avec musiques, éclairages, éléments de décors et costumes dignes de ce nom. Bref, un exercice de haute voltige…
Sandy Ouvrier s’en tire remarquablement avec des scènes et textes d’Alfred de Musset. Soit dans une première partie des extraits d’A quoi rêvent les jeunes filles, Fantasio, Lorenzaccio, ces derniers particulièrement réussis avec la marquise Cibo (Louise Chevillotte), le duc Alexandre (Florent Hu) le cardinal Cibo (Jean-Frédéric Lemoues) Philippe Strozzi (Marceau Deschamps-Segura) et Lorenzaccio (Sonia Carvalho de Almeida).
Costumes contemporains mais de qualité assez inégale, mobilier des années cinquante: gros fauteuils de cuir usé, poste de radio à lampes, et quelques châssis/éléments de décor montés sur roulettes et que déplacent les apprentis-comédiens selon les scènes. Imaginés par Frank Echantillon et François Rey qui font un clin d’œil au tournage de films avec de gros projecteurs eux aussi sur roulettes, et participent avec une rare efficacité à la réussite du projet.
Fil conducteur très malin: une voix off qui relie les différentes scènes d’une même pièce. Il y a aussi un extrait de La Nuit de mai, pas très convaincant et qui ne rend pas service à leurs interprètes et un morceau du Chandelier qui reste d’une étonnante actualité, non loin de François Truffaut.
L’étonnant dans l’histoire: l’apparente facilité (mais il y a sûrement un gros travail derrière) et le plaisir évident avec laquelle ces élèves se coulent dans les phrases de ce dramaturge décidément inoxydable qui a toujours fait la joie des apprentis-comédiens. Diction et gestuelle parfaites: la moindre des choses dans un Conservatoire national mais qui devient une denrée de plus en plus rare.
Seule réserve: une nette tendance à la criaillerie, inutile car le théâtre possède une acoustique des plus formidables, même sur un plateau nu et sans aucun pendrillon. Comme le rappelle une plaque sur la façade du théâtre, c’et ici que les Parisiens découvrirent la musique du jeune Ludwig van Beethoven…
La deuxième partie est consacrée de nouveau à Fantasio et à La Nuit de mai mais aussi et surtout, à l’incontournable On ne badine pas avec l’amour, qui clôt la soirée avec bonheur. On y retrouve les mêmes qualités de jeu et avec, pour une fois, celui des garçons à la même hauteur que celui des filles : notamment les trois Perdican: Selim Zahrani, Marceau Deschamps-Segura et Charlie Chabert) Rosette (Louise Guillaume) et les deux Camille: Hanne Mathisen Haga et Louise Chevillotte sont tout aussi bien.
On ne peut citer tout le monde et on sera sans doute injuste… Cette présentation de travail s’apparente à un vrai spectacle, et Sandy Ouvrier a réussi à créer des images qui donnent une belle tonalité à l’ensemble comme, entre autres, cette jeune femme derrière une fenêtre éclairée de l’intérieur (bon travail de Lauriano di Rosa), ces fleurs éparpillées sur le plateau, ou cette marche en rythme sous la neige qui tombe comme dans les spectacles de Jérôme Savary), de cour à l’arrière jardin, très “pinabauschienne”, avec filles et garçons munis d’un parapluie qu’ils ouvrent en entrant sur la plateau et qui laissent échapper des feuilles mortes: remarquable…
Seule réserve: cet ensemble de scènes tout à fait intéressant, réalisé avec intelligence et sensibilité, est, malgré un entracte, d’évidence beaucoup trop long. Pourquoi ne pas avoir fait deux volets? En tout cas, ces jeunes gens rêvés par Alfred de Musset semblent des plus actuels, et cette relation à un monde depuis longtemps évanoui, est sans doute, grâce à Sandy Ouvrier et à ses élèves, le plus émouvant dans cette présenatation…
Philippe du Vignal