Buffet à vif, Etat premier suivi d’Etat second
Buffet à vif, Etat premier suivi d’Etat second, de et avec Marguerite Bordat, Raphaël Cottin et Pierre Meunier
On connait bien maintenant le parcours atypique de Pierre Meunier qui occupe une place à part dans le théâtre français. Il a créé quelques spectacles tout à fait intéressants avec ses complices Hervé Pierre et Jean-Louis Coulloc’h (entre autres Eloge du poil, Vivant, Forbidden di sporgesi (voir Le Théâtre du Blog), souvent proches de la performance et de la sculpture in vivo, et en tout cas des arts plastiques.
Buffet à vif est dans la même ligne, avec une relation poétique à l’objet-petit ou encombrant, c’est le cas ici- et avec lequel il a raison d’avoir des comptes à régler, à la pesanteur, et aux tas de matériaux de toute sorte…
Cette performance créée au Festival d’Avignon/Sujets à vif ( photo plus haut) est reprise aujourd’hui au théâtre de la Bastille; «Détruire en venir à bout mettre à mal la chose qui nous occupe nous obsède nous encombre nous provoque (…) jusqu’à ce que ça pète que ça craque que ça ne ressemble plus à rien (…) à deux pour s’épauler dans cette rude tâche (…) en avant ! «
Tout est dit ou presque, de cet ovni créé par Pierre Meunier et ses deux complices ; ici, juste une scène au sol blanc, absolument nue, avec lumières simple sur la cène mais aussi dans la salle, et quelques accessoires comme un gros poste de radio, une masse, une hache de pompier, une autre hache et un boulet de fonte au bout d’une chaîne.
Les deux hommes, Pierre Meunier, assez baraqué et Raphaël Cottin, danseur, très mince-un peu Laurel et Hardy-arrivent par la salle (on entend les bruits de la vie de la rue la Roquette dont les portes de la salle resteront ouvertes) en poussant un diable rouge chargé d’une masse pesante mais indistincte parce qu’enfermée dans du papier bulle et solidement amarrée avec deux sangles à cliquets. Masse qu’ils vont quand même réussir à hisser sur le plateau, puis à porter de cour à jardin, pour finalement la placer au centre, sur des tapis de caoutchouc noirs destinés à protéger la scène, qu’ils ont auparavant jetés, puis cérémonieusement disposés.
Puis ils enlèvent le papier bulle avec soin, en tournant autour du buffet et en l’enroulant, dans un petit ballet ridicule sur la musique de Radio-Nostalgie (joli clin d’œil vu l’âge de l’objet!). Apparaît enfin la vedette de la soirée : un buffet deux corps, en bois clair collé sur une âme de contre-plaqué… comme on en vendait autrefois par dizaines chez M. Lévitan: « Bien l’bonjour, M’sieur Levitan, vous avez des meubles, vous avez des meubles, Bien l’bonjour, M’sieur Levitan vous avez des meubles…qui durent longtemps », petite pub imaginée par le grand Robert Desnos dans les années 30, chantait Charles Trenet à la radio».
Soit deux portes en bas et deux en haut séparées par une autre plus petite au centre, avec aussi deux tiroirs sous une plaque de marbre reconstitué rougeâtre et un miroir rectangulaire vertical. Bref, un rare condensé de laideur, comme en voit encore parfois dans des fermes de la France profonde, version années cinquante du buffet Henri II, lui-même aussi d’une rare laideur, qui abritait la vaisselle qui ne servait pour les fêtes, et dont les tiroirs recélaient un magma de factures, photos, billets de banque planqués, tournevis, couteau dit de poche, et vieille montre à gousset cassée.
Raphaël Cottin, une fois que Pierre Meunier a défoncé un des côtés, pénètre dans le meuble, tout en époussetant consciencieusement à l’extérieur, le tapis noir puis extrait du buffet, un dinosaure vert de quelques centimètres en plastique mou, oublié quand on l’a vidé. Et il nettoie, aussi encore et toujours aussi inutilement le pauvre buffet, voué à la mort comme dans un un ultime adieu. Il y a du Jacques Tati et du Pierre Etaix dans l’air…
Puis tous les deux, pantalon noir, chemise blanche et cravate ridicules, mais avec des gants de travail et munis de lunettes de protection-qu’ils vont aussi distribuer aux spectateurs du premier rang-vont s’attaquer plus radicalement au monstre et le fracasser à coup de hache et de masse. De la fumée s’échappe alors du bas du buffet suivi d’une explosion, comme si la bête se vengeait des attaques qu’on lui porte avec une rare violence. Juste retour des choses, le manche en bois de la hache de pompier se cassera aussi !
Le monstre va basculer vers l’avant puis vers l’arrière puis revient vers l’avant. Avant d’arriver par miracle à un équilibre instable, grâce aux deux sangles à cliquet dont les compères vont l’entourer. A ce moment précis, le buffet a quelque chose d’émouvant, comme s’il refusait de mourir, soutenu tant bien que mal et plutôt mal que bien par Pierre Meunier.
Tout se passe avec un bruit infernal: l’un fracasse le meuble avec une hache, l’autre avec une masse et va faire tourner à bout de bras un boulet en fonte qui va frapper violemment le bois avec un brui sinistre. Sans un mot, autre que ceux énoncés en sourdine par la radio qui accompagne cette mise à mort/destruction totale d’un vieux buffet qui surgit comme une belle métaphore de ce qui nous guette au quotidien…
La seconde partie, leur complice-en pantalon et marcel noirs-Marguerite Bordat, scénographe descend d’une passerelle, et va replacer les tapis noirs au centre de la scène, puis disposer de façon géométrique, pour une installation très éphémère, morceaux de bois, de marbre et de miroir. Aidée par ses deux complices et par les spectateurs que deux pancartes ont invité à venir les rejoindre sur la scène.
Public partagé devant cette performance d’une heure dix mais un poil longuette. Certains spectateurs et une mienne consœur n’étaient pas trop d’accord pour que l’on casse un meuble même laid, mais fonctionnel comme on peut en acheter dans les Emmaus de province. Et d’autres que c’était bien long: John Cage avait bien averti que l’ennui était inhérent aux happenings! Buffet à vif fleure bon ceux des années 70 où la destruction/reconstruction était déjà un thème souvent traité, entre autres par les actionnistes viennois. On pense aussi à cette performance qui, à l’époque (1974) avait fait grand bruit au Festival de Knock-le-Zoute: la construction d’un fauteuil Louis XV, de Wieslaw Hudon, un artiste polonais, par deux ouvriers tapissiers pendant une heure…
Mais ce cassage en règle de ce buffet résonne curieusement, en ces temps troublés où le Manuel Vals de service, droit dans ses bottes, arc-bouté sur SA loi, accuse la C.G.T. d’avoir eu une « attitude ambiguë » vis-à-vis des casseurs pendant la manifestation à Paris contre le projet de loi Travail.
Ce Buffet à vif n’appartient pas sans doute pas au meilleur cru de Pierre Meunier mais bon… En tout cas, ne ratez pas Forbiden di sporgesi la saison prochaine, au Théâtre de la Ville, dont notre amie Stéphanie Ruffier vous avait dit ici le plus grand bien…
Philippe du Vignal
Théâtre de la Bastille, rue de la Roquette Paris XIème jusqu’au 1er juillet, relâche les 18, 19, 25 et 26 juin. T : 01 43 57 42 14
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