Le Faiseur, d’Honoré de Balzac, mise en scène de Robin Renucci
Le Faiseur d’Honoré de Balzac, mise en scène de Robin Renucci
Si on voulait la résumer, la vie du célèbre écrivain tiendrait en quatre mots : il a voulu faire des affaires et gagner de l’argent pour pouvoir écrire tranquillement, ce qu’il a fait en permanence, mais comme un forçat, pour rembourser les dettes dûes à ces « affaires »!
La Maison Nucingen, César Biroteau, Gobsek, et cent passages dans ses divers romans ne parlent que de cela : crédits, débits, spéculations et dettes en tout genre.
Le Faiseur, unique comédie de l’auteur de La Comédie humaine, et satire lucide d’un capitalisme boursier naissant et triomphant, renvoie aussi, avec un humour acéré, à ses propres déboires.
Comme dans ses romans, Honoré de Balzac crée ici un type. Mais ce « faiseur », le bien nommé Mercadet (étymologiquement: l’homme du marché) fait preuve d’une telle activité imaginaire, joue si bien la comédie à ses dupes (dont lui-même …) qu’il ne pouvait se jouer que sur les planches. Le rôle était écrit pour Frédéric Lemaître mais il ne l’a pas joué pour cause de troubles révolutionnaires qui perturbait alors l’économie des théâtres.
Mais, ne nous plaignons pas, aujourd’hui nous avons Bruno Cadillon, remarquable interprète de ce drogué des affaires qui doit jouer la comédie mais aussi y faire entrer son entourage, et donc compliquer l’intrigue, en visionnaire de la finance, en jongleur d’argent virtuel, jouissant de sa puissance fragile et incessamment renaissante.
Bâtir des projets, saisir au vol la moindre occasion, la changer en opportunité, tomber, se relever, contourner, mentir, utiliser l’un contre l’autre, et jusqu’aux larmes sincères d’une jeune fille ni belle ni riche, ou la vertu de sa femme : Mercadet mêlange ses dettes et le mariage de sa fille! En fait, la vitalité de ce financier nous attache à lui, notre ennemi, et Balzac ne peut s’empêcher d’admirer en son personnage, sa propre vitalité à lui, tout en riant de ses échecs : le faiseur spécule sur des plantations d’ananas en Haute-Marne… comme lui-même l’avait tenté à Sèvres!
Robin Renucci a placé sa mise en scène sous le signe d’Honoré Daumier, l’un des grands illustrateurs d’Honoré de Balzac. Et ça fonctionne à merveille : le jeu des comédiens, outré juste ce qu’il faut, et précis comme une gravure, dans les beaux costumes de Thierry Delettre, nous emmène dans une jubilation communicative. Même ce qui pourrait être de l’ordre du discours ou de l’explication (le cauchemar du théâtre… ) prend vie, en situation, resserré par la dramaturge Evelyne Loew.
La scénographie de Samuel Poncet, ouverte et fluide, s’ouvre sur ce qu’il faut d’arrière-plans et de découvertes, où les comédiens, à côté sur le banc de touche, soutiennent leurs camarades pour que l’action ne s’arrête jamais. On y voit un intérieur bourgeois, entre emménagement et déménagement, tape-à-l’œil et cache-misère, clinquant et faux-semblants.
Bien sûr, la pièce résonne encore de façon terrible aujourd’hui, un peu appuyée quelquefois! Mais c’est la loi du genre.Bien sûr, Balzac donnera aux tourments de la famille un «fin heureuse» (quoique…), et un certain Godeau, que tous attendaient, arrivera selon un processus si inattendu qu’on l’avait deviné depuis un moment. Bien sûr, Balzac ne trichera pas et son Mercadet restera un faiseur jusqu’à la mort.
Et tout cela fait du beau théâtre populaire, intelligent, aiguisé, drôle, pour le plus grand plaisir des acteurs et du public.
Christine Friedel
La grande escale des Tréteaux de France, au Théâtre de l’Épée de bois à la Cartoucherie de Vincennes
T :01 48 08 39 74 jusqu’au 2 juillet.
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